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Les punchlines du rap des années 90 expliquées aux nouvelles générations

De 3615 Ulla à Caramail en passant par Bullrot, Stéphane Collaro, Séverine Ferrer ou Georges Abitbol, toutes les références que les moins de 30 ans ne peuvent pas comprendre.

Il paraît que l’on ne guérit jamais vraiment de son enfance. Pas étonnant donc que que les rappeurs aient régulièrement fait allusion à leurs vertes années dans leurs textes. Mais loin des références cryptiques et des private jokes pour initiés, les MC’s ont construit avec le temps un véritable musée de la punchline constitué de dizaines de repères fédérateurs pour tous ceux qui ont grandi dans les années 80 et 90. Seulement voilà, il faut aujourd'hui penser aux nouvelles générations, à tous ces adolescents qui découvrent le hip-hop et qui ne comprennent pas lorsqu’un rappeur leur parle de « bornes kilométriques » (NTM, « La Fièvre »), de « Keuss » ou, plus sérieusement, du M.I.B, ce Mouvement de l’Immigration et des Banlieues inactifs depuis 2009 mais glorifiés dans « La France » des Spécialistes : « Y’a des pensées toutes faites et ceux qui les combattent comme le M.I.B/Défendre la France d'en bas, mec, on s'emboîte dans la même idée ». N'écoutant que notre devoir, nous sommes allés disséquer pour eux les expressions ou les références trop ancrées dans une époque pour avoir traversé le temps. « J’défouraille lui ou elle/Criminel depuis le minitel ». Pour les enfants d’internet, du porno en haut-débit et de Tinder, cette phase posée par B2O sur « Bakel City Gang » peut sembler floue. De 1980 au début des années 2000, le Minitel est l’outil informatique n°1 des français. Notre proto-internet local, si vous voulez. Une référence à ranger aux côtés de la « 504 Break chargée » de 113 (« Tonton Du Bled »), avec laquelle le crew de la Mafia K’1 Fry débarque sur le plateau des Victoires de la Musique en 2000, du « 36 15 Ulla » (adresse pour rencontres sur Minitel) de Swift Guad, le Liptonic et la Buick des X-Men (« Les Bidons Veulent Le Guidon » et « One One One »), le Motorola d’ATK (« Qu’est-ce que tu deviens ? ») ou le Caramail, ce fameux portail Web pour ados, de Hugo TSR : « Les condés sont bons qu’à prendre mes morceaux de caramel/Laisse-moi l’bédo, y’a des pédos qui trainent sur CaraMail. »

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Les rappeurs ont également pioché dans les objets cultes pour tout kids ayant grandi dans les nineties. On citera notamment : « T’es minable, t’es la Flik Flak et moi la Festina » de Sneazzy sur un freestyle Rap Contenders (Flik Flak est une montre suisse pour enfants), « Puis impossible que mes gars sentent pas l'shit/Mon moral j'aimerais l’voir incassable comme un Nokia 3310 » de VALD, « Ton truc vaut que d’chi et à la durée de vie d’un Tamagoshi » de Hifi, « Ils ont des pogos et songent à leur jacuzzi/À chacun son paradis » de MC Solaar, etc. Comme le dit ce dernier, « les temps changent » et tous ces jouets sont aujourd’hui remisés au fin fond d'un stock Emmaüs, d’une cave ou d’un grenier poussiéreux.

Un peu comme toutes ces fringues achetées à l’adolescence ou à l’entrée dans l’âge adulte. Il y a bien sûr le kitschissime Bullrot (« Blouson Bullrot Wear, inspiré du graff/N’aime pas l’esprit du rap français, paraît même qu’ça l’zahaf » d’Axiom), l’ancienne gloire Mohamed Dia (« On changera pas l'image qu'ils ont d'nous dans leur média/ Mais un agneau peut devenir un tigre, demande à Mohamed Dia » de Lino sur « Sentier De Gloire ») et le ricain Fubu (« Leur futur est dessiné/Leur destinée : des défilés en Fubu, les débrider leurs scooters tout mou » de Grems sur « Algèbre »), l’éternel Kangol (« Nike Cortez, bob Kangol/Heureusement qu'il y a eu l'rap, j'ai fucked up l'école » de Disiz) et Royal Wear que cite avec irrespect La Fouine sur « Krav Maga » (« En street swagg sur les Champs avec un pur Louis/J’ai vu ton gars en Royal Wear, j’avais honte pour lui »). À croire que les codes, langagiers ou vestimentaires, d’une même génération n’ont pas tous intérêt à perdurer dans le temps.

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Dans le rap plus que dans tout autre style, le tristement célèbre « c’était mieux avant » semble régulièrement employé. Sinon, comment expliquer des titres tels « Tout N’est Pas Si Facile » de NTM, « Au Bon Vieux Temps » de la Mafia K’1 Fry ou « La Nostalgie Du Block » de Salif. Par conséquent, les phases transpirent la nostalgie : entre « Je lègue à tous mes potes mes vieux films de cul/ Ceux de la belle époque des pubis velus » d’un Lucio Bukowski qui a visiblement regardé plus de pornos avec Marilyn Jess qu'avec Anna Polina, et « Le Free Time est devenu la maison/En toute saison, sur les sièges étaient collés nos prénoms » d’un Shurik’n regrettant l’ancêtre du Quick, il faut bien avouer que nombre de rappeurs évoquent les années 1990 avec une pointe de nostalgie, voire d’amertume, dans la voix.

Une époque où l’on pouvait encore tourner des clips dans une cabine téléphonique sans paraître has been (hein Sully Sefil ?), où l’on pouvait faire référence à l’affaire du sang contaminé sans devoir affronter des regards béats et étonnés (« Pour qu’on oublie que l’histoire du sang contaminé/C’est pour du fric qu’ils l’ont pas trié », de NTM), où l’on pouvait faire un petit clin d’œil à un entraineur d’Auxerre et que cela parle à tout le monde (« Avec mon staff, comme Guy Roux on est tous des pinces » de 113), où D. Abuz System levait encore _« plus de _jupes_ qu'il n'y en a dans toute l'Ecosse »_ et où, bien sûr, on pouvait encore rouler en Safrane et ne pas passer pour un ministre ou un mec de la BAC (« 1 gramme 2 grammes 3 grammes ça crâne sur Instagram/Ça braque ça deal du crack ça frime en grosse berline même en Safrane » de Zoxea).

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Alors, forcément, beaucoup de rappeurs ont tendance à opposer cette époque à la nôtre, régie par le culte de l’apparence et les stars éphémères de la télé-réalité. Ainsi, il est aujourd’hui possible de se faire « baiser par Jeremstar, Vincent MC Doom et Magloire » (Alkpote, « Désanussage ») et d’avoir les bras aussi durs que « les faux seins de Zahia » (Kaaris, « Juste ») au sein d’une France au « taux d’remplissage record en Europe de tous les cards-pla » (JP Manova, « Is Everything Right ») et où les meufs portent toutes des « mini short American Apparel » (Dabaaz, « La Plus Belle Ce Soir »). Le ton est donné.

Et à force de poucher le bouchon, certains tombent parfois dans le ringard total. Un peu comme votre oncle à la ramasse, il lui arrive parfois d’utiliser des expressions désuètes, de celles qui n’ont aucune chance de traverser les époques. Parfois, c’est gentillet, comme lorsque Disiz emploie des expressions d’un gamin de dix ans sur « Salauds D’Pauvres » (« Ta vie fantasque, pas fantastique/Ta vie fastoche, fantoche, factice »). Parfois, c’est plus tendu, comme lorsque MC Jean Gab’1 lance le fameux « à la one again », lorsque Rohff nous dit que « c’est la chourave avant la bicrave » - le mec était pas mal dedans avec le funestement célèbre « Ça fait zizir » -, lorsque Kery James se la joue « Ghetto Super Classe », lorsque NTM nous parle de « technique de dékiz », lorsque Serum compose le « Son des Govas » ou encore lorsque La Cliqua nous explique que « le jeune de la rue craque, crevant la dalle à la recherche d’un Pascal » - un clin d’œil au célèbre Blaise Pascal présent sur les anciens billets de 500 Francs que 113 s’amuse également à mentionner sur « Les Princes De La Ville » (« Et pour s’payer un avocat, faut plein de pascals/Au tribunal, on s’en sort toujours mal »).

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Certains, quitte à être à la rue, le font de manière ouvertement vulgaire. Comme Seth Gueko adaptant l'argot gitan sur « Aboudouflash » (« Aller, mange tes morts, j'veux d'la jouvelle comme Rihanna ») aux bonnes manières d’Odezenne sur « Tu Pu Du Cu » (« T’es gourgandine, les métaphores, c’est pas ton biz’ »), du gentillet « Pisse-froid, peine-à-jouir » de Baloji sur « Spoiler » à l’archaïque « Zouave » de Kamelancien, les rappeurs ont fréquemment prouvé qu’il était possible de transformer des expressions en apparence banales en des sommets d’inventivité.

Loi non écrite : le rappeur aime cumuler les références, faire du name-dropping et établir un possible lien étroit entre son vécu et celui de ses auditeurs. Seulement voilà : tous les films n’ont pas eu la même postérité que Scarface (ce qui permet encore aujourd’hui à PNL de composer un morceau tel que « Plus Tony Que Sosa ») et tous les MC’s des années 1980 et 1990 ne bénéficient pas d’une aura aussi mythique que celle de 2Pac ou Biggie. Par conséquent, beaucoup de comparaisons peuvent paraître obscures aujourd’hui : de Mystik regrettant que beaucoup lui « préfèrent un des 3T » - le groupe des fils du frère de Michael Jackson, pour les trois qui se souviennent- dans « On Fait Les Choses » à Venom multipliant les références au cinéma hollywoodien des eighties au sein de l’album Un Justicier Dans La Ville, des 2 Bal 2 Neg qui filent « aussi vite que Speedy Gonzalez » à la volonté de Flynt d’entrer dans le rap « par la fenêtre comme dans Général Lee », en passant par les nombreuses allusions d’une nouvelle génération incarnée par Nekfeu et biberonnée à la pop culture, les points de repères sont parfois confus.

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Par exemple, lorsque Doc Gyneco, sur « Viens Voir Le Docteur », rappe que beaucoup de filles rêvent d’ « être Brenda/ D’avoir ton Dylan et d’insulter ton papa », il fait un clin d’œil appuyé et éloquent aux deux personnages de la série Beverly Hills, mythique pour des millions de cœurs adolescents et solitaires des années 1990. À l’image également de Disiz qui, sur « C’est ça la France », te rappelle le temps où tu « r’gardais Stéphane Collaro et son Cocorico show/Son émission d’beaufs pour les cochons et les gros », de Busta Flex qui se dit être « boombastick comme Shaggy » ou de Leeroy qui, dans un morceau avec Akhenaton, X-Men et Oxmo Puccino (« Anthology »), évoque Dragon Ball Z à travers les personnages Kibito et Kaio Shin (« C’est la pagaille, les deux samouraïs pratiquent le Muay-Thaï/ Même en fusion, Kibito et Kaio Shin taillent »).

Au final, tous ces clins d’œil continuent aujourd’hui encore d’avoir leur utilité : ils permettent de garder en mémoire des figures cultes d'une époque, tombées depuis dans l’oubli, la misère ou même la prostitution. Après tout, qui sait ce qu’est devenue Séverine Ferrer, animatrice de Fan de sur M6, sinon une référence pour Booba dans « Pirates » (« Vitres noires, SLR/Riche, noir et célèbre/Gallardo, M3, M6, Séverine Ferrer ») ? Tabatha Cash continue-t-elle d’en avoir « plein l’cul » comme le prétend Anton Serra sur un freestyle avec Oster Lapwass (« T’en as plein l’dos, plein l’cul comme Tabatha Cash/Et tu pourras jamais dire, que toi t’abats du cash ») ? George Abitbol, auquel fait référence Grems dans « Pinocchio » a-t-il réellement encore La Classe Américaine ? Wesley Snipes continue-t-il de chier des millions de dollars vingt-ans après son interprétation de Nino Brown dans New Jack City et neuf ans après la punchline de Despo Rutti dans « Les Sirènes du Charbon » ? Tracy Chapman n’est-elle pas tout simplement retombée dans l’oubli (Psy4 De La Rime : « Tu m’parles de la gloire, j’en mets un trait si ça m’échappe man/ Mais j’représente les frères en fumette sur Tracy Chapman ») ?

Vous l'aurez compris, la liste longue et on s'arrêtera là afin de raison garder, non sans avoir mentionné au préalable l'inévitable « Je Zappe et Je Mate » de Passi (pic ultime citant aussi bien les émissions Saga-Cités, L’œil du Cyclone et La Chance Aux Chansons que l’émission de proto-télé-réalité Témoin N°1). Après tout, comme le dit Kery James : « Comprendront que ceux qui doivent comprendre. »