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Music

Neneh Cherry s'est trouvé la meilleure planque de toute l'industrie musicale

Les gens lui foutent la paix, elle enregistre ce qu'elle veut, s'amuse comme une dingue et se moque bien de savoir ce qu'on pense d'elle.

Sauf erreur, Neneh Cherry n'apparaît pas dans la video de lancement de Tidal, le Waterworld du streaming lancé par Jay Z. Et pour cause, la fille du trompettiste Don Cherry n'appartient aujourd'hui plus vraiment au monde de l'entertainment. Après une éclipse de 10 ans, la suédoise est revenu par une petite porte un rien flippante, puisqu'elle se résumait principalement à des collaborations avec des musiciens de jazz. Avant de lâcher l'an dernier l'ambitieux Blank Project, album produit par Four Tet qui marquait définitivement son retour sur une base aride et minimale, loin des playlists RTL 2 encore hantées par son duo avec Youssou N'Dour. A un mois de son passage à Marseille dans le cadre du festival L'Edition, on est allés passer un moment avec celle qui a cotoyé Television et les Talking Heads durant son enfance new-yorkaise et qui a joué les icônes post-punk avec les Slits et Rip, Rig+ Panic.

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Noisey : Blank Project est sorti il y a un peu plus d'un an, maintenant. Quel est ton regard sur ce disque et son accueil ?

J'ai justement vu Kieran [

Hebden aka Four Tet, qui a produit le disque

] cet après midi et on parlait de faire quelque chose à nouveau ensemble. Ça a été un drôle de voyage tout ça. Il y a 3 ou 4 ans je me suis dit qu'il était temps de faire un nouveau disque mais je n'avais aucune idée de comment j'allais y arriver. Kieran a fait de cette expérience quelque chose de très ouvert. On a tout enregistré en 5 jours avec RocketNumberNine. On a fait 2 morceaux par jours de manière très spontanée. Avec du recul, je me rends compte que c'est de cette façon que j'ai toujours voulu travailler, de manière très simple. Le résultat a été très positif, je ne pensais pas que ça marcherait ausi bien. Ça fait tellement longtemps que je fais ça, c'est agréable de sentir que je pouvais prendre un nouveau départ.

Comment s'est passée la collaboration avec Four Tet ? Tu as senti le besoin d'avoir un producteur qui est aussi un musicien avec un univers sonore affirmé ?

Je pense, oui. Il faut vraiment avoir confiance en son producteur et Kieran s'est beaucoup intéressé à ce que je voulais. Je ne voulais pas avoir besoin d'expliquer mes intentions artistiques, j'avais juste envie d'expérimenter , et lui m'a laissé faire. C'est un très bon musicien mais c'est surtout une très grosse tête, sûrement une des plus gros intellectuels de mon entourage. Moi, je suis intuitive, mais je ne suis pas très bonne pour organiser les choses. Lui, a créé un chemin, et nous l'avons suivi. C'est un disque personnel car il y a beaucoup d'émotions dedans, mais c'est loin d'être un disque parfait. Il ne faut pas l'analyser car il y a plein de « fuck ups » dedans. Mais c'est ce qui fait son charme.

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Je veux bosser comme ça aujourd'hui . J'appartiens aussi au monde de la pop, je serai toujours intéressée par le format chanson, mais je veux aussi sortir de ma zone de confort. Ça me ramène à mes débuts, où je faisais des choses plus rugueuses et expérimentales.

Quel a été ton premier choc musical ? Reste-t-il quelque chose de cela dans ta musique aujourd'hui et si oui, quoi ?

Oh mon Dieu [

silence

]. Je me rappelle écouter Sly and The Family Stone et les Jackson 5. J'adorais le fait que Michael Jackson soit aussi un enfant. Mes parents avaient installé une balançoire en plein milieu du salon, et je me balançais en écoutant Sly, c'est un de mes tous premiers souvenirs, vers 6 ans. Il y avait une rebellion dans cette musique qui m'a beaucoup marqué. Quand j'étais ado, je me suis lancé dans Parliament et Funkadelic et il y avait déjà cet esprit pré-punk, qui est ensuite devenu le mien.

Sly and the Family Stone était aussi un des premiers groupes avec des blancs et des noirs dans le même line up.

Oui ce côté là, politique, était marquant et a laissé des traces en moi. A cette époque on vivait aux USA, il y avait la guerre du Vietnam et je côtoyais beaucoup de gens engagés, artistes ou non, et ça marqué mon inconscient. J'ai gardé une conscience politique de cette époque là.

Quel est l'étape ou la sortie de disque la plus marquante de ta carrière, et celle que tu as regretté ?

Je ne suis pas quelqu'un qui regrette les choses. Chaque chose mène à une autre, y compris les erreurs. Mais je pense que j'ai appris à mieux réfléchir pour éviter les erreurs. Après j'en ai fait tellement [

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rires

]. J'ai juste choisi de ne pas les regretter. Quand j'avais 28, 29 ans et que j'appartenais au monde la Pop -je trouve le terme mainstream ridicule- et j'ai commencé à me sentir étouffée et un peu utilisée. J'analysais trop les choses et j'ai décidé de quitter ce monde là, tout du moins en partie. Je voulais être un peu moins sous le feu des projecteurs et être un peu plus libre.Une étape cruciale a été mon disque avec The Thing [

groupe free jazz suédois, qui a bossé avec Thurston Moore, Jim O' Rourke, etc.

] : The Cherry Thing. C'est ce qui a mené à

Blank Project

. C'était une renaissance pour moi. On a improvisé, on ne se connaissait pas vraiment. On a travaillé très vite en quelques jours. C'était un disque free jazz avec une énergie punk et c'est beaucoup plus proche de ce que je suis vraiment. Ça a été une sorte de douche froide qui m'a réveillé. J'étais dans une période pas facile, ma mère venait de mourir et c'est devenu une expérience très puissante.

Tu sembles avoir un pied dans la sphère indépendante et en même temps faire partie de la culture pop, comme tu le disais plus haut. On pourrait penser que tu as ouvert la porte à des artistes comme FKA Twigs par exemple qui joue aussi sur les deux tableaux.

Tu sais, je n'ai pas envie de penser comme ça. Je me sentirais vraiment comme une merde à dire « tu vois cette jeune chanteuse à succès, elle me doit tout ». Mais je sens une connexion avec FKA TWIGS ou MIA. J'ai l'impression qu'on appartient à la même famille . Elles m'inspirent aussi quelque part et ça me rend heureuse de voir ce genre d'artistes rencontrer un succès populaire.

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En live tu vas jouer avec RocketNumberNine avec qui tu as aussi collaboré sur Blank Project. Peux tu nous parler de votre relation artistique ?

C'est une relation assez marrante, presque familiale. Quand on a fait le disque, on ne se connaissait pas depuis longtemps, nos relations étaient assez naives. Mais depuis on a énormément joué ensemble, on est très fusionnel. Eux et moi on forme un groupe à part entière maintenant, on joue live en trio, même si j'aimerais ajouter quelques musiciens en live. On revient d'Australie, et notre dernier concert était à l'Opera de Sydney, c'était dingue et très puissant. Leur niveau m'oblige aussi à prendre plus de risques avec ma voix, en tant qu'instrument.

On a l'impression qu'il se passe des choses intéressantes dans le Jazz aujourd'hui car c'est une musique qu'on laisse un peu tranquille, pas d'histoires de modes ou de tendances, et du coup les musiciens semblent beaucoup plus libérés que dans le rock ou l'électronique par ex. Qu'en penses-tu ?

L'attitude des musiciens de jazz actuels est très inspirante pour moi. Il n'y a pas d'oeillères et pas vraiment de règles strictes, sûrement moins que dans la production électronique par exemple. J'aime beaucoup travailler avec les gens du free jazz, ils sont très ouverts. J'ai redécouvert Alice Coltrane et elle devient une énorme influence. On sent d'ailleurs son empreinte chez Flying Lotus [

Alice Coltrane est la grand tante de Steven Ellison aka Flying Lotus

]

.

Je ne me suis jamais vu comme quelqu'un d'éclectique, je n'ai pas envie de devoir justifier mes influences très diverses, et cette attitude là vient du jazz.

Quel est ton regard sur la place des femmes dans la musique d'aujourd'hui ? Les choses ont-elles évolué depuis ton passage chez les Slits par exemple ?
C'est une question très compliquée. La place des femmes dans la musique a toujours été cruciale. Quand tu repenses au blues originel, Ma Rayney ou Bessie Smith, par exemple, qui sont sûrement mes plus grandes influences, elles étaient déjà présentes et ont ouvert la voie pour des chanteuses comme nous. Ce que je retiens de la situation actuelle, c'est que les femmes musiciennes sont beaucoup plus conscientes du combat qu'elles doivent mener et elles se battent de manière plus efficace. Et en même temps, il y a toujours tous ces putains de stéréotypes qui nous collent à la peau. Il ne se passe pas un jour sans lequel je doive réfléchir à combien je pèse, à ma tenue ou à ce que les gens vont en penser. Je dois penser à toute cette merde quand je me lève le matin et c'est un sacré poids à porter. Mais la jeune génération m'a l'air très consciente de cela. Il ne faut pas oublier qu'on a un combat à mener, et ce à un niveau politique. Cela ne concerne pas que les femmes d'ailleurs. Mais je garde espoir. Parfois je me sens merdique hein, mais j'ai choisi de garder espoir. Quels sont tes prochains projets ?
J'ai écrit un nouveau disque et on enregistre des démos. Je voudrais re-bosser sur une période très courte. On va sortir un EP je pense et faire pas mal de festivals cet été. Et je vais jouer dans un court métrage en Suède, là, ce mois-ci. Neneh Cherry sera le samedi 13 juin à Marseille dans le cadre du festival L'Edition. Adrien Durand n'a pas encore trouvé de planque. En attendant, il est sur Twitter - @AdrienInBloom