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Music

Deveykus, le seul groupe de doom metal hassidique du monde

Dan Blackberg nous explique les points communs entre l'énergie du hardcore et celle des célébrations hassidiques et toutes les choses qui font que sa mère trouve Deveykus aussi bons que les Who.

J’ai découvert Deveykus par l’intermédiaire d’un ami israélien qui, connaissant ma passion pour la riffolade, m’a un soir envoyé un mail intitulé «GROUPE DE DOOM HASSIDIQUE ! » Sa fébrilité était palpable, mais je dois avouer que j’étais, pour ma part, relativement sceptique sur le fait que ces types en chapeaux fourrés qui arpentent les rues de Bed-Stuy (Brooklyn) avec leurs légions de gamins et leurs femmes aux mines épuisées, puissent balancer des riffs à la Candlemass dans l’épais secret de la nuit.

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Le moins qu’on puisse dire c’est que les photos du groupe (qui montrent une demi-douzaine de gentlemen tout à fait avenants et barbus, vêtus de chemises en coton) ne font pas vraiment état d’une grosse cred orthodoxe. Pour ce qui est de la musique, en revanche, c’est une toute autre limonade. Le premier album de Deveykus, Pillar Without Mercy, sorti cet été sur Tzadik Records, est en effet un mindfuck instrumental de premier ordre, mêlant doom, drone, tempos funéraires et mélodies klezmer jouées au trombone. J'ai contacté l’initiateur du projet, Dan Blackberg (un mec relativement important dans certains cercles expérimentaux), pour savoir ce qu'il se passait au juste sous son crâne tondu.

Noisey : De quelle façon la culture hassidique influence t-elle Deveykus ?
Dan Blackberg : La musique que nous composons est basée sur les mélodies hassidiques traditionnelles appelées nigoun (nigounim en hébreu). Elles sont, à la base, conçues pour être répetées à l’infini, comme un mantra, et permettre à ton esprit d’atteindre un état transcendental, si toutefois tes cordes vocales ne t’ont pas lâché entre temps ! Il y a dans la culture hassidique, comme dans la plupart des cultures basées sur le fondamentalisme religieux, tout un tas de choses complètement baisées, mais aussi une musique incroyable ! Un des grandes particularités de cette culture est de placer la musique au même niveau que les prières, voire même de la considérer comme plus importante encore, car c’est une manière d'élever son esprit vers le divin. Et je peux tout à fait adhérer à cette idée. Il y a autre chose que j’aime, c’est qu’elle se réapproprie d'autres styles de musique sous le prétexte de « récupérer les étincelles divines contenues dans les mélodies ». Je trouvais intéressant de faire le chemin inverse et de « recycler »ces mélodies que personne ne connait en dehors du monde juif.

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Le nom du groupe vient de la prononciaition yiddish du mot « deveykut », qui désigne un nigoun situé tout à l’extrémité du spectre méditatif. J'ai simplement choisi mes morceaux préférés de musique hassidiques, que j’ai ensuite déconstruit et recomposé pour qu'ils deviennent encore plus lents et doomy qu'ils ne l’étaient à l'origine.

J'espère que les gens nous accepteront comme un vrai groupe doom. Pour moi, le trombone est un instrument très doom. Ses capacités mélodiques sont assez limitées et ses sonorités conviennent donc parfaitement au sludge, par exemple. Je n’ai pas une connaissance exhaustive du doom, mais j'ai entendu beaucoup de trombone la dernière fois où j'ai vu Earth en live (leur version d' « Ourobouros Is Broken » au trombone était d’ailleurs complètement dingue) et il y en a pas mal sur l'album Monoliths And Dimensions de Sunn O))). Pour l’instant, j’estime que je suis encore un novice en matière de doom et de metal, mais les autres membres du groupes sont à fond dedans, surtout Eli Litwin, notre batteur. Je pense donc qu’ils ne tarderont pas à parfaire mon éducation dans le domaine !

Tu as as également joué dans Electric Simcha, un groupe de « punk rock hassidique ». Tu t’es lancé dans une vraie thématique, on dirait. Quand est-ce que tu montes ton groupe de black metal hassidique ?
Mec, je me demande bien comment un groupe black metal hassidique pourrait sonner. Je pense que ce serait assez génial. Il y a quelques années, j'étais tombé sur la page Myspace d'un groupe appelé Schneerson. C’était du pur death metal, joué par des types de la communauté. Ils avaient tous des pseudonymes et ne voulaient pas donner leurs vrais noms par peur de se faire jeter de leur école religieuse. Je ne sais pas si c'était vrai ou pas, mais c'était assez fascinant.

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Avec Electric Simcha, on jouait des nigoun très rapides et bruyants, qu’on mélangeait au punk rock pour essayer de créer quelque chose de nouveau. Quand le groupe a démarré, en 2010, je venais tout juste de finir Our band could be your life, le livre de Michael Azerrad, donc j'écoutais pas mal les premiers Black Flag, les Minutemen et Husker Dü. L’énergie hardcore était pour moi très similaire à celle des célébrations hassidiques. J'ai donc réuni quelques amis intéressés par l’idée, et on l'a fait.

Voyons-voir… Electric Simcha en 2010, Devekyus en 2012-2013… fais moi signe en 2015, on sera sans doute prêts pour le black-metal !

Pourquoi avoir choisi d'évoluer dans le milieu confiné du doom/drone alors que tu aurais pu faire découvrir la musique hassidique à un plus grand public en jouant de la pop ou du rock traditionnel ?
Tout simplement parce que la découverte de groupes comme Earth, Sunn O))), Bohren & Der Club of Gore et Khanate m’a fait entrevoir un gigantesque champ de possibilités musicales, et que cette musique correspond parfaitement à ma vision du truc. Une salle pleine de mecs avec de longues barbes, habillés en noir, éventuellement défoncés à la vodka, chantant ces chansons sans s'arrêter, pendant des heures… Le tableau est beaucoup trop brutal et ésotérique pour être incorporé dans un emballage mainstream. Et puis le mélange entre metal expérimental et musique juive est un terrain encore relativement vierge, alors qu’il y a déjà énormément de références juives dans la pop et le mainstream. Mon but, c’était d’accorder l’intensité cette musique à la judéité des compositions. De réunir deux univers complètement différents.

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On peut entendre des influences jazz et prog rock dans la musique de Deveykus, et ton nom n'est pas inconnu des fans de musique expérimentale. Quel est ton background musical au juste ?
Mon chemin jusqu’au metal à été très long et tortueux ! J'ai commencé par le classique et le jazz, que j’ai étudié très jeune. J'ai ensuite découvert les formes les plus avant-gardistes de ces musiques vers l’âge de 18 ans, que j’ai également étudié, auNew England Conservatory entre autres. Je m'intéressais parallèlement à la musique klezmer traditionnelle. J’apprenais toutes les parties au trombone sur de vieux enregistrements des années 20. Je ne connaissais pas grand monde dans cette sphère là, mais j’ai réussi malgré tout à m’entourer d'une petite poignée de gens qui avaient envie de jouer de la musique traditionnelle. Après mes études, j'ai déménagé à Philadelphie, j'ai beaucoup joué à New York et en Europe avec des gens comme Frank London et Michael Winograd, et puis je suis rentré à la maison, où je me suis mis au free jazz et la musique improvisée.

Je suis donc, d’une certaine façon, complètement passé à côté de l'histoire du rock et de la pop. Je n'ai jamais écouté de rock quand j'étais gosse. Je n'aurais pas pu te dire à quoi Nirvana ressemblait avant mes 25 ans, sans parler des Melvins ou de Black Flag. Mais vu que je suis arrivé tardivement au rock, il a eu énormément d'impact sur moi. Parce qu’il m'a fourni, je crois, les passerelles qui m’ont permis de relier les différentes étapes de mon parcours musical.

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Comment as-tu été exposé à la musique ashkénaze ? As-tu été élevée dans une famille pratiquante ? Ou bien as-tu pris conscience de cet héritage culturel au fil du temps ?
J’ai été élevé dans une famille juive classique. On célébrait la plupart des fêtes et jours fériés, mais on se souciait pas vraiment de tout le délire kasher et on n’allait aux offices de prières qu’une fois par mois. Cela dit, j’ai quand même effectué toute ma scolarité dans une école hébraïque et fait le pélérinage en Terre Sainte. Mais mon goût pour la musique klezmer ne vient pas de là. J’ai juste pris un CD au hasard dans la collection de mes parents. J'avais déjà perdu mes illusions concernant l'idéologie religieuse à cette époque, et la musique m’a permis d’aborder les traditions et la religion sous un autre angle. Il y a beaucoup de choses passionnantes dans le judaïsme, mais je ne le pratique pas. C'est surtout la musique juive qui m’intéresse. J'ai de la chance parce qu’il y en a des tonnes ! Malheureuseument, elle date en majorité d'il y a 80 ou 100 ans.

Contrairement à beaucoup de groupes punk ou doom, Electric Simcha et Deveykus semblent plutôt attirés par des éléments positifs : les mélodies festives, la transe extatique…****
La clé du truc, c’est le mot « extatique ». En revanche, je ne dirais pas que notre musique exprime la positivité, mais plutôt la survie. Ces mélodies ont été créées à la base par des gens qui étaient soumis à une souffrance terrible en Europe et qui ont continué à en baver après leur arrivée aux USA. Beaucoup de ces chansons étaient motivées par le besoin de quitter une réalité devenue totalement insupportable. Donc, oui, bien sûr, c’est une musique de fête, de célébration, et donc une musique foncièrement positive, mais elles est aussi très sombre et tourmentée. Il y a toujours ce truc qui te rappelle qu’une fois le mariage terminé, les choses pourraient mal tourner. On retrouve cet aspect là dans la musique d’Electric Simcha et de Deveykus, quand nous soulignons les problèmes inhérents à la culture hassidique, comme le traitement réservé aux femmes par exemple.

J'ai vu une vidéo d'un de vos derniers concerts, et j'ai été frappé par la puissance de votre performance. Je dois reconnaître que c'est vraiment prenant.
Merci beaucoup ! Sur scène, nous essayons d'atteindre une intensité sonore dans laquelle on n’ait d’autre choix que de s’immerger totalement. Les guitares et la basse forment ces énormes vague harmoniques sur lesquelles tangue doucement la batterie, pendant que le trombone tente de se forcer un chemin au milieu de tout ça. Le son est ample, immersif, conçu pour te faire vibrer de la tête aux pieds. Putain, c'est tellement excitant de jouer ce genre de trucs… Je joue avec mon trombone comme si c’était une lance de lumière qui percerait le son et attirerait les gens dans un lent torrent d'énergie mouvante. Je pense que le reste du groupe serait d'accord avec moi pour dire que chacun de nos concerts a été une expérience extrêmement bouleversante.

Quelles ont été les réactions ?
J'ai été extrêmement touché par la façon dont notre musique a été accueillie. Lors de notre release party à New York, les metalheads ont autant apprécié que certains juifs orthodoxes. Je suis vraiment excité à l'idée de continuer à jouer cette musique partout dans le monde.

Quels sont les projets futurs de Deveykus ?
J'aimerais trouver un moyen de jouer dans une communauté religieuse à New York. Je crois que le point culminant de notre parcours serait de se faire bannir par un rabin hassidique, qu'il interdise aux gens d'écouter notre musique, de peur qu’ils soient séduits par le monde extérieur. J'aimerais aussi jouer dans des festivals. Le son de notre groupe est conçu pour être joué sur des gros sound systems. J'espère sincèrement que des festivals juifs nous programmeront, parce que ce que nous faisons est complètement inédit dans le monde de la musique juive et que notre son peut attirer un nouveau public.

Pour finir, j’aimerais savoir ce que ta mère pense de tout ça. Je crois que la mienne serait hyper contente si je montais un groupe de bluegrass catholique.
Ma mère aime assez ce qu'on fait ! Elle est venue au concert à New York et m'a dit que ça lui avait rappelé le concert des Who au Filmore East dans les années 60 ! Je ne sais pas dans quelle mesure on sonne comme les Who, mais j'accepte volontiers la comparaison !