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Music

Le dernier X-Men : une interview avec John Doe

Le leader du groupe X revient sur l'explosion punk à Los Angeles dans un livre définitif, auquel ont participé Henry Rollins, Mike Watt et Exene Cervenka.

« The West is the best » [« C’est mieux à l’Ouest »] chantait Jim Morrison en 1967. « Get here, and we’ll do the rest. » [« Ramène-toi et on s’occupera du reste. »] Fatigué du climat pourri, du fatalisme maussade et du côté surfait et complaisant de la scène de la côte Est, John Doe a fini par entasser ses affaires dans sa voiture pour tracer vers la Cité des Anges, où il n’allait pas tarder à rencontrer une autre exilée, poétesse punk en devenir, Exene Cervenka. Ensemble, ils fonderont X, l’un des groupes les plus importants de ces 40 dernières années, qui a allumé la mèche de la fabuleuse explosion punk sur la côte Ouest. Un parcours entré dans l’Histoire et consigné en détails dans Under The Big Black Sun: A Personal History Of L.A. Punk, le livre que vient de signer John Doe, épaulé par quelques-unes des sommités punk de Californie du Sud comme Mike Watt (The Minutemen), Henry Rollins (Black Flag), Dave Alvin (The Blasters), Jack Grisham (TSOL), Charlotte Caffey (The Go Go’s), et Exene Cervenka, entre autres. Nous avons passé un coup de fil à Doe pour discuter de l’histoire du punk de la côte Ouest, mais aussi de The Westerner, son excellent nouvel album.

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Noisey : Tout le monde te connait sous le nom de John Doe, mais ton état civil est John Nomenson Duchac. Je l’ai bien prononcé ?
John Doe : Non, tu l’as très mal prononcé, comme tous ceux qui ont essayé avant toi. Comment faut-il le prononcer ?
Ne te prends pas la tête avec ça. J’aurais tout aussi pu te dire que mon vrai nom était Adolf Hitler, mais je ne pense pas que ça l’aurait fait, ou bien que je m’appelais Samuel Clemens. Mais au fond, on s’en fout. Je ne vois rien de plus cool que de s’appeler John Doe. Tu es né à Decatur, dans l’Illinois, et tu as grandi à Baltimore. Comment t’es venue l’idée de tout quitter pour Los Angeles ?
J’ai déménagé à L.A. parce que j’en avais marre de la côte Est. Il y a un bon paquet de fantômes de ce côté du pays, et il pleut de la neige fondue sans arrêt, un vrai temps de merde. À Baltimore, comme tu le sais déjà, on n’a qu’une seule célébrité : John Waters. Je suis allé au CBGB’s, je suis allé à Max’s Kansas City, j’ai vu les Talking Heads et les Heartbreakers, et je me suis rendu compte que ce truc de « scène musicale » était déjà pourri en 1976. Je suis allé à L.A. avec un pote et c’était magnifique. J’étais très fan des écrivains locaux : Nathaniel West, Charles Bukowski, ce genre de types. Il y a une liberté sur la côte Ouest qui n’existe pas sur la côte Est. L’idée, c’était « on se barre à L.A. et on leur apporte le punk qui n’est pas encore arrivé là-bas » ?
Le punk en était à ses balbutiements, partout. On sentait que ça allait arriver, et c’est pour ça que ça a pris si vite en Angleterre. Les Ramones y sont allés en 1974, et bam ! C’était parti. Au même moment, il y avait aussi quelques parias à L.A., dans le milieu musical, et on est arrivés pile au moment où les choses commençaient à démarrer.

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Dans le livre, il y a ce chapitre génial où tu parles du L.A. des années 70, une ville qui ne coûtait pas cher, agréable à vivre, sans embouteillages, dans laquelle on pouvait acheter une bagnole vintage super cool des années 50 ou 60 pour 500 dollars, et la faire réparer par Billy Zoom, le guitariste de X. On pouvait rejoindre le désert ou le bord de l’océan Pacifique en moins d’une heure. Est-ce que cette mobilité a eu un impact sur la scène punk de la côte Ouest ?
Oui, je crois. Et je pense qu’il faut mentionner le quartier de East Side [majoritairement Latino] qui nous a permis de ressentir une vraie liberté et une facilité à nous échapper. Parce qu’ils valorisaient cette idée de prendre la route ?
Oui, la liberté avant tout, et je crois qu’il n’y a rien de plus libérateur que d’être dans une voiture. C’est toi qui décides de ta destination, et tu pars quand tu veux. C’est justement pour ça que les gens s’énervent à ce point dans une voiture : car quelqu’un d’autre s’immisce dans leur espace-temps. Mais dégage, putain ! Laisse-moi rouler ! Quand est-ce que tu as rencontré Exene [future chanteuse de X] pour la première fois ?
J’organisais une série de lectures poétiques à Baltimore. À cette époque, à Baltimore et Washington D.C., le milieu de la poésie était très actif et populaire parce que la poésie était une performance qui allait au-delà du simple texte imprimé. Les gens écrivaient des choses très marrantes, avec souvent un côté gay et lesbien. J’ai réalisé que le meilleur moyen de rencontrer du monde à L.A. c’était justement de traîner dans ce milieu. Exene venait tout juste d’obtenir un boulot via un programme gouvernemental, et travaillait dans une petite maison d’édition qui s’appelait Beyond Baroque. Ils avaient un atelier d’écriture orienté poésie le mardi soir, et c’est là qu’on s’est rencontrés. Ça a été le coup de foudre ?
C’était un personnage très excentrique à l’époque, et ça l’est toujours. Je ne sais pas si c’était un coup de foudre, mais en tout cas, ça ne l’était pas pour elle. Il m’a quand même fallu huit ou neuf mois de harcèlement pour qu’elle finisse par… Enfin, j’en sais rien, on était amis, d’abord. Puis on a commencé une relation amoureuse. Je me suis rendu compte que j’avais trouvé mon âme soeur, et qu’on allait garder ce lien spécial toute notre vie.

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Il y avait des similarités très particulières entre X et les Doors : les deux groupes étaient littéraires, transgressifs, sombres et basés à L.A. Qu’est-ce que vous pensiez de ces comparaisons ? Vous en étiez flattés ou agacés ?
On était de grands fans des Doors. Ils étaient l’aristocratie du rock, en quelque sorte. Ils avaient des tubes et sont toujours restés artistiquement indépendants. Aujourd’hui leur musique sonne exactement comme elle sonnait à l’époque. Si tu prends Jimi Hendrix, il y a des trucs qui sonnent vraiment datés, parce qu’ils sont trop basés sur le blues américain. Donc on était immensément flattés d’être comparés aux Doors. Je crois que c’est parce qu’on ressentait exactement ce qu’abordaient Raymond Chandler ou certains films noirs : à L.A. c’est encore plus évident pour un prolo de voir les sommes d’argent que gaspillent les riches. C’était ça, nos influences en 1977. Dans le livre, vous picolez des bières en permanence. C’était de toute évidence le carburant de la scène punk de la côte Ouest.
Tu as raison. Mais on buvait aussi du gin, histoire de se sentir un peu speed et psychédélique, à chaque fois qu’on pouvait en trouver. Et puis du speed - les « black beauty » - et ce genre de trucs. En gros, on prenait tout ce qui n'était pas cher et dispo. Tu évoques aussi les effets destructeurs de l’héroïne. Tu utilises cette métaphore géniale pour décrire ta brève expérience avec cette drogue : tu as rampé lentement jusqu’au bord de la falaise, tu as regardé en contrebas, tu t’es rendu compte de la hauteur vertigineuse, pour finalement reculer et dire : « On se casse ». J’imagine que vous y avez goûté un peu, vous êtes rendus compte que ça risquait de mal finir, et avez décidé de passer à autre chose. Dans votre milieu, ils sont nombreux à ne pas avoir fait ce choix, et à en avoir finalement payé le prix fort.
On l’a vraiment fait, on n’y a pas seulement goûté. On ne l’a pas fumée, ou ce genre de conneries. Non, on l’a fait à fond, pour de vrai, une dizaine de fois en tout. Je parle de mon expérience personnelle. Je dis « on » parce qu’on n’était jamais seuls à faire ça - et je ne vais citer personne - et c’était vraiment génial. C’était comme faire un voyage en restant dans une pièce, et c’est le meilleur truc qui soit. Mais j’ai compris très tôt que c’était beaucoup trop puissant, et que cette drogue allait finir par me dominer, alors que j’avais des tas d’autre choses à faire. On considérait souvent, à tort, le punk comme un mouvement anti-hippie. Sauf qu’en réalité, quiconque était impliqué dans la scène punk et avait un peu de jugeotte à propos de la musique et de l’art se rendait compte que l’impulsion de base était la même : un esprit bohème qui consiste à chercher la liberté et le sens dans un monde qui en est vidé. C’est la même motivation que partageaient les punks, les hippies, et avant eux la Beat Generation, et les jazzmen, et ainsi de suite. Des coupes de cheveux différentes, des vêtements différents, mais les mêmes motivations. T'es d'accord avec ça ?
Oui, c’est ça. Mais si aujourd’hui on peut dire ça, à l’époque, le contexte était vraiment différent : chacun voulait hisser son propre drapeau et créer sa petite chapelle, alors que le « Peace & Love » sentait déjà le roussi, car il était synonyme de lenteur. Nous, on voulait que ça aille vite ! Je crois donc qu’il s’agissait plutôt de délimiter son propre territoire, et de tracer une frontière en affirmant : « Ça, c’était avant. Maintenant, on est ici. » Et quand on a vu ce qu’il se passait à Altamont [où à eu lieu le fameux concert gratuit des Rolling Stones dont la sécurité était assurée par les Hell’s Angels et qui s’est soldé par un meurtre], on a compris que l’époque était en train de changer. Fini le « Peace & Love ». Tout ça n’était qu’un paquet de conneries. Peut-être que ça tenait la route entre 1965 et 1968, mais après 1975, il était clair que non. Aujourd’hui, c’est facile de regarder le Patti Smith Group et de se rendre compte que ce n’était qu’une bande de hippies. Même les Germs nous taxaient de hippies, juste parce qu’il nous arrivait de jouer des morceaux lents. La scène punk de L.A. était réputée pour sa violence, notamment lors de la transition entre le punk et le hardcore dans la première moitié des années 80. Tu saurais expliquer comment et pourquoi c’est arrivé, et comment ça a contribué à changer les choses ?
J’aimerais pouvoir l’expliquer, et je crois qu’on a essayé de le faire dans le livre. Je pense que c’était simplement une évolution naturelle. Le genre de musique qu’on jouait était vraiment sauvage et personne ne savait encore comment y réagir. C’était rapide et furieux et, évidemment, ceux qui sont arrivés après nous avaient envie d’être encore plus rapides et furieux. Alors le milieu punk a grossi et grandi, s’est étendu à Orange County où tu avais tous ces jeunes garçons athlétiques, bourrés de testostérone, qui avaient besoin de se dépenser, et qui se faisaient tabasser comme le raconte Jack Grisham [de TSOL] dans ce chapitre, et finissaient par se taper les uns sur les autres. Tout est devenu de plus en plus bizarre. Ce chapitre de Jack Grisham fait partie de mes préférés. C’est un texte vraiment puissant, féroce et intense.
J’étais très heureux de voir que le résultat était aussi intense, et j’ai aimé ce que j’ai ressenti en le lisant : « C’est toi qui as commencé ce merdier, et nous, on l’a mené au bout. Si t’as un problème avec ça, va te faire foutre ! » Et c’est génial ! C’est exactement l’attitude que les gens avaient à l’époque, et je suis content de voir que Jack est encore capable de l’exprimer comme ça, bien qu’il soit plus raisonnable dans la vraie vie. Mais j’ai adoré ça, oui.

Les flics de L.A. étaient connus pour leur brutalité, et il n’était pas rare pour un punk d’être agressé, voire tabassé, et arrêté aléatoirement dans la rue, juste parce qu’il avait un look bizarre. Tu en as fait l’expérience ?
Oui, je me suis fait arrêter en sortant d’une répétition et ils m’ont demandé ce que je faisais. J’ai répondu que je venais de répéter avec mon groupe, et ils m’ont questionné sur le genre de musique, ce à quoi j’ai répondu que c’était un truc plutôt oldie. Ils ont alors entrepris de me faire chanter « Be-Bop-A-Lula » dans la sono de leur voiture. Je t’avoue que je me suis fait dessus pendant toute la scène. Je ne sais plus si j’ai raconté ça dans le bouquin. Si, tu évoques cette scène dans le livre.
Je me souviens aussi d’une grosse émeute de police lors d’un concert de charité pendant la St Patrick. Il y avait pas mal de monde avec des points de suture, qui se faisaient matraquer. J’ai observé tout ça, en sécurité depuis ma loge qui donnait sur le MacArthur Park. J’ai vraiment eu de la chance de m’en sortir sans être tabassé, mais ça n'a pas été le cas de tout le monde. Les flics ne comprenaient rien au punk. Ça ne leur plaisait pas, car les gens avaient l’air réellement menaçant, alors que le mouvement qui allait suivre à L.A. - la vague hair-metal - était constituée de gens qui traînaient sur Sunset Strip, juste pour le style. Les garçons et les filles correspondaient à des catégories facilement identifiables par les flics. Les filles avaient des mini-jupes et les garçons étaient qualifiés de « pédés » par les flics, une façon de dire : « ok, tout va bien, pas besoin de les coffrer ». Alors qu’avec les punks, c’était plutôt : « Quelle horreur ! Ces gens sont vraiment louches et je n’aime pas ça du tout. » Toi et Exene êtes allés vous marier à Tijuana, accompagnés d’une vingtaine d’amis. Dans le livre, tu insinues que la situation a dérapé et qu’une partie des invités a fini en taule. Qu’est-ce qui s’est passé au juste ?
On avait invité notre roadie, Chuck Barren, qui venait de L.A., et Exene avait convié un vieil ami de New York, Johnny O’Kane. C’était deux types très dangereux, qui sont morts aujourd’hui - parce que c’est ce qui arrive aux types dangereux. On avait organisé la réception dans un bar, évidemment, qui s’appelait La Ballena. Les deux types n’ont pas arrêté de se provoquer, et on a réussi à calmer le jeu à chaque fois, jusqu’à ce que ça devienne incontrôlable, et qu’ils commencent vraiment à se battre. Ça a continué dans la rue, où la police les a arrêtés. Ils avaient chacun un gros couteau - l’un d’entre eux avait un cran d’arrêt, je crois bien. Et ils ont fini en taule. En même temps, on ne peut pas imaginer un mariage punk sans l’intervention des flics, pas vrai ?
Sans doute. Bref, c’était la vie qu’on menait à l’époque. La pochette de ton dernier album, The Westerner, est très belle. Tu peux m’en parler ?
C’est Shepard Fairey qui l’a faite, et le disque est dédicacé à mon ami Michael Blake, qui était un grand fan des Doors. Je cherchais une illustration sur internet, et j’avais déjà décidé du titre de l’album. Quand j’ai vu cette image, j’ai su que ce serait la pochette. J’avais déjà rencontré deux fois Shepard, qui est un grand fan de X. Il voulait justement me proposer cette image, qui fait déjà partie d’une campagne intitulée Protect The Sacred à propos des droits des Amérindiens, un sujet qui était cher à mon ami Michael, qui a écrit Danse Avec Les Loups. Je crois donc que c’est cet ami disparu qui m’a aidé à trouver cette pochette, depuis l’au-delà. Une dernière question : Bernie Sanders ou Hillary Clinton ?
Oh, Bernie. Bonne réponse.
Cela dit je pense que les médias montrent bien à quel point les gens détestent les femmes, quand on voit le traitement qu’ils réservent à Hillary Clinton. Je pense que le monde entier, ou du moins les États-Unis, prouvent qu’ils détestent les femmes. Je ne veux pas dire que Hillary Clinton est complètement innocente, mais c’est quand même du foutage de gueule. Tout ça n’est qu’un mirage. Je suis tellement déçu, y compris par le deuxième mandat d'Obama, que je préfère penser que je ne suis pas dans le même bateau qu’eux, et que tout ça n’est qu’un putain de mirage, parce que tout ça est devenu complètement insensé.