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Rencontre avec F. Gary Gray le réalisateur de « Straight Outta Compton »

À quelques semaines de sa sortie en France, nous sommes allés parler d'Histoire, d'amitié et de violences policières avec le réalisateur du film sur N.W.A.

F. Gary Gray n’avait que 23 ans quand il a réalisé le clip de « It Was a Good Day » de Ice Cube, en 1993. Une vidéo dont on a, par la suite, retrouvé le style et l'esthétique sur Friday - son premier film, co-écrit avec Cube, sorti en 1995. Un succès critique et commercial qui a permis à Gray d'enchaîner avec plusieurs films d'action notables, tels que Le Prix à payer (1996), le remake de Braquage à l’Italienne (2003) ou l'excellent Que Justice soit faite (2009). Son dernier film, Straight Outta Compton, est un biopic consacré à N.W.A, le groupe de rap ultra-controversé de Los Angeles, formé par Dr. Dre, Ice Cube, Eazy-E, MC Ren et DJ Yella. Il retrace le tumultueux parcours du groupe, de ses origines à ses premiers succès, en passant par les drames et tensions causées par les malversations financières du manager Jerry Heller, et -fatalement- la mort prématurée de Eazy-E, en 1995.

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L'authenticité du film n'est pas vraiment à démontrer : il a été co-produit par Ice Cube, Dr. Dre et la veuve de Eazy-E, Tomica Woods-Wright et met en scène le fils de Cube, O’Shea Jackson Jr, dans le rôle de son père. Les affinités que Gray entretient avec les personnages centraux de son film sont manifestes — outre « It Was a Good Day », il a aussi réalisé le clip de Cube et de Dre pour leur morceau « Natural Born Killas » (1994) ainsi que celui de Dre pour « Keep Their Heads Ringin ».

J’ai appelé Gray chez lui, à Los Angeles, pour en savoir un peu plus sur le film, à quelques semaines de sa sortie.

Noisey : Straight Outta Compton est un projet dans lequel tu as mis énormément de ta personne.
F. Gary Gray : J'ai commencé ce boulot avec Cube, il est à mes côtés depuis le début - c'est donc une façon de boucler la boucle. Pour moi, pouvoir raconter l’histoire de N.W.A. et de ses membres — leur succès, leur chute, puis leur remontée vers la gloire — c’est une chance incroyable. J’ai grandi à Los Angeles à cette époque, j’ai été témoin de ce qu’ils racontaient dans leur morceaux, j’avais aussi vécu ces choses. Beaucoup des éléments du film se recoupent avec ma propre vie, beaucoup plus que dans les autres films que j’ai pu réaliser.

J’ai été impressionné par la longueur du film. 2h30, c’est une durée assez commune pour des films comme Les Affranchis ou Boogie Nights mais c’est la première fois que je vois ça pour une biopic rap. C’est révélateur.
Je n’y avais même pas pensé comme ça. Mais oui, j'imagine que c'est une première. Cela dit, c'était inévitable. Il y a de quoi faire trois films entiers avec l’histoire de N.W.A. Je n’ai pas vraiment réfléchi à la durée que devait faire le film, parce qu'il n'y a pas de déchet, il se passe des trucs à chaque plan. Tu ris, tu pleures, tu apprends des trucs. On a eu de très bonnes réactions de la part de personnes très différentes. Toutes en redemandaient !

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C'est génial de voir un film qui laisse le temps à l'histoire de se mettre en place.
Et le director’s cut est encore plus long [Rires]. On verra ce que ça donne, mais j’aime beaucoup le côté épique du film. C’est une histoire épique qui va bien au delà du groupe et de leur musique. C’est juste une… [pause] histoire importante. Désolé, je sors les grands mots, mais ça représente beaucoup pour moi, à différents niveaux. Mais oui, c'est une super histoire.

Ton film va bien au-delà de l'image qu'on associe habituellement à N.W.A., celle de petites frappes et de fouteurs de merde. Ces types étaient sérieux, travaillaient dur et s'intéressaient à des sujets graves, mais se faisaient délibérément passer pour des mecs agressifs. Ton film nous permet d’aller au delà de cette image et de réellement entrer dans leur vie.
Complètement. Il y a une humanité dans cette histoire qu’on n’associerait pas en temps normal à ce genre de musique. C’était important pour moi, je voulais que le public puisse rencontrer les mecs qui se cachaient derrière les morceaux, derrière le beat et les paroles, qu’il les voit comme des personnes à part entière. C’est ce qui rend le film spécial, sinon tu peux juste rentrer « N.W.A. » dans Google et tu auras tous les détails de leur histoire. Mais ce n’est pas sur Wikipédia que tu pourras ressentir la fraternité qui unissait ces mecs. C’est trop facile de ne voir dans ces types que des rappeurs de rue qui abordent des sujets controversés. Mais quand tu te rends compte de la fraternité et de l’esprit de famille qui les liaient et des motivations derrière leur musique, ton regard sur N.W.A. change.

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Il y a aussi des passages très légers dans le film. Les gens se sont beaucoup marrés lors de la projection à laquelle j’ai assisté. C’était important pour toi d’injecter de l’humour au film ?
J’ai grandi dans un environnement parfois dangereux, mais on a aussi beaucoup rigolé. Mon premier film, Friday, parle de dealers de weed de manière hyper drôle. Et c’est pareil pour tous mes films, je suppose, il y a une petite dose d’humour qui vient contrebalancer l’aspect dramatique. C’était juste un groupe de kids qui s'exprimaient librement sur des choses qui les touchaient, des choses de leur quotidien. Il y a d'ailleurs plein de moments marrants sur leurs albums. Le film a pris le même chemin, il est cru, authentique, parfois drôle et parfois triste. Comme l'album Straight Outta Compton.

Le film ne prend pas de pincettes pour décrire les violences policières. Tu as utilisé, en toile de fond, le passage à tabac de Rodney King par les forces de police en 1991, l’acquittement des officiers et les émeutes sans précédent qui ont eu lieu à Los Angeles l'année suivante. C’est un sujet toujours d’actualité, malheureusement. Le jour où j’ai vu le film, j'ai appris le meurtre de Sam DuBose à Cincinnati [un automobiliste noir tué par un policier blanc après un contrôle de la circulation] et, quelques jours après, on a eu l’affaire Sandra Bland [une jeune femme noire soumise à un contrôle policier musclé pour avoir oublié son clignotant, qui s’est par la suite suicidée dans sa cellule]. Le propos du film est toujours actuel.
On ne savait pas du tout que la sortie du film allait coïncider avec toutes ces affaires de violences policières. Ca fait 4 ans que je bosse sur le film, ça ne faisait pas les gros titres à l’époque. C’est quand on a terminé le film que de plus en plus d’affaires dans ce genre ont éclaté. Ça me rend triste. J’aurais aimé pouvoir dire « hey, vous vous rappelez, à l’époque, ça arrivait tout le temps, mais aujourd’hui ce n’est plus le cas ». Rien ne change, malheureusement. J’espère sincèrement que ces évènements vont obliger nos députés et nos leaders à se bouger. Parce que maintenant, à chaque fois qu’un évènement de ce genre surviendra, il ne sera plus passé sous silence, comme ça pouvait être le cas dans le passé.

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Straight Outta Compton pourrait marquer le début d’un nouveau cycle de films plus sérieux consacrés à cette époque, après des trucs comme CB4 (1993) et Fear of a Black Hat (1994) qui parodiaient le gangsta rap et en donnaient une image assez débile. Tu penses quoi de ces films ?
Je ne me rappelle plus trop des films, mais je me rappelle du moment où ils sont sortis. Je me souviens que c’était des films parodiques, ce qui m'a interpellé, forcément. Quand tu réalises un film comme Straight Outta Compton, il faut avoir conscience qu’il pourra très facilement ne pas être compris. Le public peut tout à fait ne pas prendre au sérieux cette histoire, et ne la voir que comme une parodie des années 80 ou du groupe. Je voulais faire un film cru, réel et authentique, à l'opposé d'une comédie.

Je suis content que Dre, Cube, Yella et Ren m’aient aidé pour les détails de l’histoire. La veuve de Eazy, Tomica, a aussi contribué. Le groupe était impliqué, on a sorti ce film ensemble— ainsi qu'avec les techniciens et mon équipe — et quand tu le mates, tu as bien conscience du poids et de l’importance de cette histoire et de ce groupe.

Les costumes sont dingues aussi. Tu peux m’en parler ?
Kelli Jones, notre costumière, avait déjà bossé sur la série Sons of Anarchy donc elle s’y connaît en sous-cultures. Elle a dû prendre chacun des personnages à part et faire en sorte de bien montrer son ascension sociale en faisant évoluer son style vestimentaire, à mesure qu’ils gagnaient de l’argent. Quand tu dois habiller cinq types de Los Angeles qui se foutaient pas mal de la mode, les individualiser les uns par rapport aux autres et rendre compte de leur histoire avec leurs fringues, c’est vraiment un défi. Elle s’est hyper bien débrouillée — je pense qu’elle mérite d’être nominée aux Oscars pour ça.

J'ai l'impression qu'il se passe un truc avec le rap de la côte ouest dans la culture actuelle. Je m’en suis rendu compte avec le film Dope, qui se déroule à Inglewood et dont le personnage principal rédige une thèse à propos des paroles de « It Was a Good Day » de Ice Cube, un morceau dont tu as réalisé le clip. Tu penses que ton film fait partie de ce revival West Coast ?
Je n'en ai aucune idée. On m'a dit que Dope était un très bon film… Mais j’étais tellement pris dans l'univers de N.W.A. que je n’ai pas eu l’occasion d’aller le voir. La seule chose qui m’intéresse c’est ce qui va faire que l’histoire défonce. C’est peut-être cliché, mais pour moi c’est une histoire universelle. Que tu vives à LA, New York ou à l'autre bout du monde, tu pourras t’identifier à ce que tu vois dans le film.

Straight Outta Compton sortira en France le 16 septembre 2015.

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