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Music

Une conversation avec DJ Head, le premier DJ d'Eminem

Il nous parle de Detroit, de ses beat battles avec J Dilla, et de son indestructible SP1200.

DJ Head, tout à droite Ça fait quoi d'avoir été le DJ et producteur d'Eminem au sommet de sa carrière, en 2000, et de n'avoir plus aucun contact avec lui treize ans plus tard ? Demandez à DJ Head. Né Kevin Bell, Head a grandi à Detroit, où il a étudié le classique et le jazz, avant de porter les caisses de disques des DJs locaux. Il s'est retrouvé très vite mêlé à la scène hip-hop locale, où il a rencontré les légendes comme Proof. Au milieu des années 90, Head et Proof ont balancé une série de mixtapes intitulées W.E.G.O.. En 1997, Head a produit The Underground, le premier EP d'un groupe encore balbutiant, D12. Il a ensuite collaboré au EP Attack of the Weirdos de Bizarre, qui contenait « Trife Thieves », sur lequel on pouvait entendre rapper un jeune mec qui se faisait alors appeler Marshall Mathers. La collaboration entre Head et Eminem a fonctionné dès le départ, et Head a fini par produire les morceaux-clés du EP Slim Shady, puis des albums Marshall Mathers et The Eminem Show. Il est, à terme, devenu le DJ attitré d'Eminem - on peut l'apercevoir sur la plateforme surélevée, pile entre les trois feuilles de cannabis géantes, dans la vidéo de la tournée Up In Smoke - et a fait partie intégrante du team de production de Shady. Et puis il a disparu. Pendant l'enregistrement de The Eminem Show, Em a commencé à s'occuper lui-même de la prod, et après la sortie de l'album, sa relation avec Head fut tout simplement interrompue. Depuis, un pote qui examine avec minutie tout ce qui est écrit dans les livrets et sur Discogs, s'est demandé ce qu'était devenu DJ Head, un nom sur lequel il avait buté de nombreuses fois. Head a un peu hésité à me balancer des détails personnels - à propos d'Eminem, sur leur séparation, sur Dr Dre. Je l'ai poussé à me parler du rôle précis qu'il avait joué sur les albums classiques d'Eminem, de ses beat battles avec J Dilla, et des morceaux inédits d'Eminem qu'il aimerait enfin voir sortir. Noisey : Comment est-ce que t'as rencontré Eminem ?
DJ Head : Par l'intermédiaire de Proof, avec qui j'étais à l'école. Proof, je l'ai rencontré dans le bureau du principal. N'étant pas vraiment le genre fouteur de merde, je me demande encore ce que je faisais là, mais le fait est que nous nous sommes retrouvés tous les deux dans ce bureau. Quelques années plus tard, à la fac, un pote rappeur voulait absolument me présenter ses amis du lycée. Et qui je vois débarquer ? Proof. On a renoué contact et on s'est plus lâché. C'est ensuite qu'il m'a présenté à Eminem. C'est quoi le premier truc que vous avez composé ensemble ?
Moi et Proof, on avait fait cet interlude sur le premier album d'Eminem, Infinite, un disque dont personne ne parle jamais. On a enchaîné avec le EP Slim Shady et le EP de Bizarre et ainsi de suite. Avant ça, j'avais déjà taffé avec des mecs qui traînaient au Hip-Hop Shop, cet endroit était cool, c'était un passage obligé quand tu débarquais à Detroit. Tous les samedis, entre 16h et 18h, des battles étaient organisées dans ce Hip-Hop Shop. Et tous les MCs se pointaient, c'était comme notre mini Apollo, sur la 7 Mile. Beaucoup de mecs se sont retrouvés là : Proof, Eminem, 5 Elementz, Phat Kat, Royce de 5'9", Obie Trice, Elzhi, Slum Village. C'était the place to be à l'époque. Le magasin appartenait à Maurice Malone, on ne payait jamais l'entrée parce Maurice faisait plein de thunes, il était styliste. Tout le monde traînait là-bas, et Eminem y a fait ses premières battles.

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T'étais le DJ d'Eminem sur toute la tournée Up In Smoke. Ça devait être assez dingue. Il était comment Em ?

Il était pareil que quand je l'ai rencontré au magasin la première fois. Il devenait gros ouais, mais il n'était pas encore vraiment « installé. » Chacun faisait son boulot, et puis arrive un moment où t'es tellement occupé que tu fais plus gaffe à ce qui se passe autour de toi. On s'est bien marré sur cette tournée, mais c'était finalement pas très différent de nos soirées à Detroit. On achetait des bières, on traînait au coin de la rue. C'était l'insouciance, on kiffait simplement.

C'était quoi votre méthode de travail en studio ?

On commençait par écouter des tas de disques, on trouvait les kicks de batteries et on construisait la séquence rythmique, ce qui nous faisait déjà une bonne base. Après tu commences à construire autour de ça. Tu peux faire vingt, trente beats par jour, mais tu n'en gardes généralement qu'un ou deux au final. Et dès qu'il y en a un qui sonne vraiment bien, tu commences à créer ton morceau.

Kim, sa copine de l'époque, elle était souvent dans les parages ?

Non elle n'était jamais au studio. Elle est venue en tournée quelques fois. Quand on jouait au billard, ou qu'on traînait ensemble, elle se pointait parfois. Elle a même rencontré mes parents une fois, c'était festif !

Sur le LP Marshall Mathers, tu es dans les crédits de

«

Marshall Mathers

»,

«

Drug Ballad

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»,

«

Amityville

»,

«

Under the Influence

»,

mais surtout « Criminal.

»

C'est l'époque où je commençais à changer de matos, de boîtes à rhythmes. J'utilisais beaucoup ma SP1200, et les beatheads connaissent bien la puissance de cette machine. C'était très limité, mais bordel, le son qui en sortait était tellement

hard

. Alors que c'était une vielle machine analogique, hyper simple. Je voulais passer à autre chose, et je me familiarisais en même temps avec le MPC3000. Si

Marshall Mathers

tabasse autant c'est parce que tout est analogique dessus. On enregistrait tout sur cassette.

T'avais pressenti qu'Eminem allait devenir une superstar ?

Personne n'avait imaginé ça. Pas une seconde. On avait tous des tafs la journée, et on avait le rap pour se défouler. J'ai jamais eu le sentiment qu'il allait percer avant la sortie de

Marshall Mathers.

C'est devenu tellement gros à ce moment là. Bordel, les TRL Awards et tout ça. Il était sur MTV, aux Grammys, aux American Music Awards. Alors que bon, y'a mieux que Detroit niveau passerelle médiatique, personne n'était dans un délire Hollywoodien ici. Et au vu de nos backgrounds, personne ne pensait que tout ça pouvait se produire.

Après Eminem Show, vous avez coupé les ponts. Qu'est ce qu'il s'est passé ?

J'ai déménagé en Europe quelques années, pour faire des concerts et continuer à gagner des thunes.

Et il ne t'a jamais recontacté ?

Non. Il a suivi sa route. Il a fait son film,

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8 Mile

, et il a continué seul.

Ça t'a fait chier ?

Non, c'était ok pour moi.

Tu as participé à des centaines de morceaux dont personne n'a jamais entendu parler. Quels sont les chutes de studio les plus mortelles dont tu te souviennes ?

Il y a une chanson sur laquelle j'aimerais bien remettre la main. Je sais qu'Eminem ne l'aimait pas du tout. Je crois que c'est Dre ou Mel-Man qui l'avait faite. Je ne me rappelle même plus du titre, mais c'était un putain de track. Whooo ! Il a été composé entre

Marshall Mathers

et

Eminem Show

. Ce morceau mec… C'était tellement ouf. Un classique immédiat. Tellement Eminem. Tu sais, ce truc à la fois drôle et ultra sérieux, c'était dans ce délire là. J'aurais dû la copier quelque part, putain ! Eminem ne l'aimait pas, alors que tout le monde l'adorait.

« Mec, tu vas sortir ce morceau, et tout de suite ! ». Le flow, les rimes, tout était calé au millimètre. Je n'avais pas repensé à ce titre depuis longtemps.

Certains de tes meilleurs morceaux sont sur le premier EP d'Eminem, Slim Shady, des titres comme

«

Low, Down, Dirty

»

et

«

No One’s Iller.

»

Yep. Il y a une anecdote intéressante autour de

«

No One’s Iller.

»

J'avais trois jobs en même temps à cette époque, je taffais 70 heures par semaine, j'étais rincé. Et Em m'appelait sans arrêt pour me demander des beats. Je le barratinais, je l'évitais, parce que j'étais crevé. Et puis, il a booké un créneau au studio, et il s'est pointé chez moi en me demandant si j'avais enfin ce putain de beat. Je lui ai menti et répondu oui. J'ai filé au sous-sol avec ma SP1200 et j'ai fait un beat en dix minutes.

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Moi, J Dilla, Proof et T3 de Slum Village on organisait des

beat battles

dans la cave de mes parents, ils ramenaient tous leurs machines. Dilla et moi on était très potes. Je crois que c'est Proof qui avait eu cette idée, il devait se faire chier. Les règles étaient les suivantes : les autres te choisissaient cinq disques, un où tu devais trouver un break de batterie et quatre autres pour les samples, les boucles, etc. Donc tu avais ces cinq disques et vingt minutes devant toi pour faire un beat. On faisait chacun notre beat dans un coin et ensuite on les écoutait, un par un.

Pendant une de ces sessions, Dilla a composé

«

Drop

» pour The Pharcyde, et une autre fois j'ai fait le beat de

«

Just The Two Of Us

.

»

C'était hyper stimulant comme expérience, ça nous a vite permis d'être capable de faire n'importe quel beat en vingt minutes ou presque. Pour

«

No One’s Iller

»

, je sortais juste du taf, j'avais chopé une bière à l'épicerie et j'ai fait ce beat en 10 minutes, le temps de la boire en fait.

Tu l'as rencontré comment Dilla ?

Via Proof, encore une fois, même si nos chemins s'étaient plus ou moins croisés avant. J'ai jamais réellement bossé avec lui non plus, mais il me passait parfois des accapellas pour que je fasse des remixes avec, des trucs de Masta Ace… Lui, il taffait sur les prods de Pharcyde, qui était signé chez Delicious Vinyl.

Dilla chillait tout le temps chez moi. J'avais une collec de disques plutôt correcte, j'étais DJ depuis un moment et on me filait des trucs. On allait souvent chez les disquaires ensemble aussi, pour chercher des samples. On devenait dingues parfois. On repartait avec des piles de disques… À l'époque Internet ne régissait pas le marché, et pour 100$ tu pouvais acheter des tonnes de bons trucs. Maintenant, faudrait ajouter un 0.

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Il utilisait ma SP1200 aussi. Elle a pas mal servi pour ses premières prods d'ailleurs, celles de The Pharcyde, Little Indian, Mad Skillz. Eh oui, tout ça a été fait sur ma machine ! Je l'ai toujours dans un placard. Je l'avais acheté avec la carte de crédit qu'ils te filaient lors de ton entrée à la fac, c'est ce qui se faisait avant. Un pote m'avait rencardé sur cette SP1200 qui traînait dans un magasin de musique, en super état, avec la boîte et tout. J'en cherchais une depuis un moment, ils n'en fabriquaient déjà plus beaucoup. On devait être en 1991. J'ai traversé le Michigan pour me rendre dans ce fameux magasin de Mount Clemens, en banlieue de Detroit. C'est mon premier investissement. Et j'ai encore cette machine, vingt ans après.

Tu te souviens de beats précis que Dilla faisait quand vous trainiez ensemble ?

Des tas de trucs, mec.

«

Runnin'

» sûrement. En fait, il voulait rester en contact avec nous parce qu'on sortait ces mixtapes avec Proof,

W.E.G.O.

J nous filait ses beats en avant-première et on se chargeait de les diffuser sans les rues de Detroit. Cette mentalité

beat battle

nous a poussé à toujours progresser, à toujours être prêts. Quand j'ai fait

«

Just The Two Of Us

» je me disais,

« sérieux

, c'est pas comme si personne n'avait déjà samplé ce morceau

. C'est juste une nouvelle version, vous excitez pas. »

Mais je crois que les gens ont vraiment aimé la façon dont j'ai remanié ça.

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Donc finalement, tu n'a jamais bossé avec Dre ?

En fait, Dre m'a aidé à mixer

«

Shit On You

»

de D-12. Il ne m'a rien appris de nouveau, mais il utilisait quelques ruses de mixage auxquelles je réfléchis encore. Par exemple sur

«

Guilty Conscience

,

»

je me demandais comment il avait réussi à extraire ce kick de batterie du sample… Je me le demande toujours d'ailleurs.

Max Weinstein est sur Twitter - @dubmaxx