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Comment la « panique satanique » a envahi l'Amérique dans les années 80

Le livre « Satanic Panic » revient sur l'époque où Satan, Prince, le heavy metal, les ados déconneurs et Cyndi Lauper étaient tous logés à la même enseigne.

L’hystérie collective a gagné les Etats-Unis pendant une bonne partie des années 80. Dans son nouveau livre, Satanic Panic : Pop-Cultural Panic in the 1980s, Spectacular Optical rend hommage à cette période étrange de l’Histoire américaine, à travers des analyses de plusieurs auteurs qui ont abordé le sujet sous tous ses angles, de Donjons & Dragons à Venom. « J’ai grandi durant cette période de 'panique satanique' et depuis 5 ans, je constate un regain d’intérêt pour le sujet - peut-être parce que certaines personnes qui étaient ados au moment des faits sont aujourd’hui écrivains ou réalisateurs - c’est dans l’air du temps, je suppose », explique Kier-La Janisse, fondatrice et éditeur-en-chef de Spectacular Optical, la maison d’édition qui publie l'ouvrage.

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« Dans les années 70, les gens étaient persuadés que les forces occultes se cachaient partout, jusque dans les banlieues pavillonnaires. À l'arrivée, des tas de gens se sont laissés gagner par l’hystérie collective de la 'panique satanique' », ajoute t’elle. « On a considéré cette époque comme satanique, mais Satan n’était qu’un détail perdu au milieu d'une incroyable hystérie - toutes les forces occultes, le paganisme et même les formes de fantasy les plus inoffensives se sont retrouvées mêlées au supposé 'satanisme' des années 80. Les parents craignaient surtout que des détraqués puissent commettre l’irréparable au nom de Satan. Certains étaient aussi adeptes de théories conspirationnistes, convaincus que leurs enfants pouvaient être manipulés par des forces surnaturelles ou que des bébés étaient tués en guise de sacrifice. Mais tous étaient convaincus de l’existence de 'satanistes' (la plupart du temps, des adolescents) exercant une influence néfaste sur leurs enfants.

Lorsque la « panique satanique » a frappé les États-Unis, l’heure n’était pas franchement aux bluettes pop. Les jeunes se passionnaient pour des groupes rapides et agressifs comme Iron Maiden, Def Leppard et Judas Priest et même la pop mainstream prenait le chemin du vice, avec des gens comme Madonna, Cyndi Lauper ou Prince. Un phénomène très mal vu par une partie de la population, au point que de nombreux parents ont commencé à y voire l’oeuvre du Malin.

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La contributrice Liisa Ladouceur souligne : « Les parents n’avaient pas seulement peur de Satan. Ils avaient peur tout court. La famille américaine, telle qu’elle était traditionnellement construite, a connu de nombreux bouleversements au début des années 80. Depuis les années 70, le nombre de divorces n’avait pas cessé d’augmenter et de plus en plus de femmes travaillaient hors de leur foyer. Pour la première fois, des parents confiaient leurs enfants à des étrangers, dans des garderies, et beaucoup ne savaient pas ce que leurs enfants faisaient après l’école, puisqu’ils n’étaient pas à la maison pour les surveiller. C’était une source d’inquiétude légitime. Mais quand les tabloïds et les talk shows ont commencé à aborder le sujet des cultes sataniques et des adorateurs du diable, ils ont commencé à entrevoir une menace bien réelle et à craindre pour la sécurité de leurs enfants ».

La fameuse liste des « Filthy Fifteen ». Dès 1985, Satan a commencé à apparaître dans les recoins sombres de chaque banlieue, des histoires de sacrifices rituels circulaient et les parents, paniqués, se débarssaient des disques de metal, de punk et de rock’n’roll de leurs enfants, espérant les éloigner des chemins de l’enfer. Une hystérie encouragée par le Parents Music Resource Center (PMRC), organisme fondé par Tipper Gore, à l’origine de la liste bien connue des « Filthy Fifteen » — un document qui clouait au pilori 15 morceaux pour leur contenu occulte, sexuel ou pro-drogues.

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Gore et ses Washington Wives ont cherché à sauver la jeunesse de l’obscénité et de la vulgarité en mettant en place un système de classification obligatoire (auquel on doit, entre autre, ce foutu sticker « Parental Guidance : Explicit Lyrics » qui a jalonné les années 90). Une croisade qui a valu à des gens tels que Frank Zappa, John Denver ou Dee Snider de Twisted Sister d'aller plaider leur cause devant le Sénat.

« En Amérique du Nord, l’affaire a pris énormément d’ampleur, entre les stickers d’avertissement et les auditions menées par le PMRC. C’est difficile à imaginer, mais certains groupes étaient pointés du doigt par le pays entier, parfois même sans le moindre argument valable. C’était la vie avant Internet, explique t-elle. Et alors que Dee Snider de Twisted Sister comparaissait en justice pour défendre sa musique, des groupes comme Venom ou King Diamond tournaient dans tout le pays sans être au courant que leurs paroles faisaient débat au Sénat. Ce n’est pas comme s’ils risquaient de se faire virer de leur label ou de ne plus avoir de distribution — c’était des groupes de metal underground, signés sur des labels indépendants et dont les disques étaient, à l'époque, difficiles à trouver en Amérique du Nord. Si vous lisez des interviews d’eux aujourd’hui, vous verrez qu’ils n’ont eu connaissance de cet épisode que des années plus tard. »

Si la « panique satanique » n’a finalement pas fait de tort au heavy metal — au contraire, elle l’a même certainement rendu encore plus attractif aux yeux des adolescents — elle a toutefois causé de nombreux drames. C'est par exemple à cause d’elle que les « Trois de Memphis West » ont été emprisonnés à tort pendant plusieurs dizaines d’années, victimes de la chasse aux sorcières la plus surréaliste des années 80. Et comme Janisse le souligne, ce n'est qu'un évènement parmi d'autres.

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« On ne s’attendait pas à ce que le livre aborde des sujets aussi difficiles, confie Janisse. Je suppose que ceux qui, comme moi, étaient adolescents dans les années 80, se souviennent surtout de l’impact de la « panique satanique » sur la culture adolescente. On associe cette époque à l’oppression et aux restrictions que nous imposaient nos parents, à cause de la peur semée par les médias. Tout ça était vrai, mais on ne se rend pas compte que la « panique satanique » a aussi concerné les enfants et les problèmes liés à leur sécurité. S'il y a clairement des chapitres fun dans le livre, comme celui sur les films d’horreur, le heavy metal et les VHS chrétiennes plutôt douteuses, il y en a aussi d’autres qui s’intéressent aux enfants et aux violences dont ils ont été victimes à l'époque. Beaucoup de ces affaires n’ont jamais été élucidées. La vie de nombreuses personnes a été ruinée à cause de fausses accusations, tandis que d’autres ont pu passer entre les gouttes. C’est sûrement l’aspect le plus tragique de cette période. »

Alors qu’elle se documentait sur son chapitre « The Filthy Fifteen : quand Venom et King Diamond rencontrèrent les Washington Wives », Ladouceur a mis le doigt sur un autre aspect du phénomène, moins surprenant celui-ci.

« Les personnes condamnées à l'époque pour conspiration avec le Diable refusent généralement de vous parler. Même celles qui ont vraiment appartenu à des groupuscules satanistes et avaient de véritables convictions dans le domaine. Si vous leur demandez ce qu’ils pensent réellement du diable, s’ils sont intimement convaincus de son existence ou s'ils ont mal vécu le fait d’être stigmatisés, ils refuseront de vous répondre, explique Liisa. Encore aujourd’hui, beaucoup ressentent le besoin de se protéger et de protéger les leurs, au cas où une nouvelle chasse aux sorcières serait décrétée. Donc, même si je pense que Venom et King Diamond n’ont rien caché de leur histoire, on ne connaîtra jamais tout… » À l'arrivée, les croisés de la censure ont (presque) rendu les armes, laissant régner librement Satan, le sexe, la drogue et le heavy metal. La « panique satanique » a fini par s’estomper, mais Tipper Gore et ses copines ont encore à répondre de leurs actes, notamment face à Damien Echols (l’un des Trois de Memphis West) qui a été relâché depuis. Satanic Panic : Pop-Cultural Panic in the 1980s est disponible en pré-commande sur Spectacular Optical. Le démon habite Kim Kelly sur Twitter