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Music

Run The Jewels vont vous apprendre à vous aimer les uns les autres

Après avoir mis 2014 à genoux, El-P et Killer Mike nous ont donné une leçon de camaraderie et de relations humaines.

Personne n’a été plus gâté pendant les fêtes que Killer Mike et El-P. Numéro 1 pour Pitchfork, Complex, Stereogum, Spin ou USA Today, l’album Run The Jewels 2 s’est imposé façon blitzkrieg dans une année rap mollassonne. Entre le second couteau gangsta-conscient d’Atlanta et le parrain du rap backpacker new-yorkais, l’alchimie est devenue si puissante qu’elle annule toute résistance. Les haters ne peuvent que taper en-dessous de la ceinture en dénonçant la récupération politique des émeutes de Ferguson. Pendant ce temps, le monde se pâme d’adoration pour cet odd couple de quarantenaires tapageurs et généreux. Le baromètre du cool est bon pour la casse. Pour réaliser cet exploit, El et Mike se sont appuyé sur une donnée tout à fait originale dans un game où le règlement de compte est l’une des rares marques d’affection : leur amitié. Un amour réciproque et sincère qui transpire de leur son comme de leurs paroles. La camaraderie serait-elle l’avenir du rap américain ? En attendant d’y croire, Run The Jewels vous offre une leçon de relations humaines. Noisey : OK, racontez-moi votre première rencontre.
El-P : On s'est rencontrés en studio. J'ai pris l'avion pour Atlanta sur la recommandation d'un ami commun, Jason Demarco, le producteur exécutif de son album R.A.P. Music. Sans être très familiers de nos catalogues respectifs, on en savait assez l'un sur l'autre pour avoir envie de se voir. Dès le premier jour, on avait écrit deux chansons. Il y avait déjà de la magie dans l'air.

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C'était donc un cas de « friendship at first sight » ?
Killer Mike : C'est une bonne manière de le décrire !
El-P : Au départ, notre relation était basée sur notre amour de la musique. Puis on s'est assis, on a fumé un peu de weed et on a commencé à parler de tout le reste.

Qu'aimez-vous faire ensemble en dehors de la musique ?
El-P : Boire, fumer, dire de la merde, avaler des champis, mater des films, glander. Comme deux amis qui essayent de s'inspirer mutuellement.
Killer Mike : La bouffe chinoise. Récemment, on est aussi allé au Costa Rica avec nos femmes pour son anniversaire.
El-P : En fait, on passe le clair de notre temps ensemble. Jamais plus de deux semaines à la maison entre chaque session.

Cette amitié n'est pas trop envahissante pour elles ?
El-P : Tu plaisantes, elles s'adorent ! Il est marié, moi j'ai une copine.
Killer Mike : Elles nous vannent, bien sûr, c'est ce que font les femmes. Mais on n'est pas le genre de bros qui excluent leurs femmes de Broland. C'est peut-être un cliché, mais l'album Run The Jewels 2 a été réalisé en famille.
El-P : Même notre tour manager a rencontré sa copine à un de nos shows !

Vu de l'extérieur, vos parcours semblent assez éloignés. New York et Atlanta, le rap indé et le gangsta, ce n'était pas forcément gagné d'avance.
El-P : On est né la même année à un mois d'écart. Nos vies sont parallèles à plein de niveaux. C'est vrai qu'on n'a pas les mêmes influences et qu'on n'a pas vécu aux mêmes endroits, mais on se tire vers le haut. À 35 ans, sans le chercher, j'ai trouvé mon frère. On dit qu'on ne choisit pas sa famille, je n'ai pas non plus choisi Mike. J'ai même cherché à fuir ce bâtard car je savais qu'il allait prendre beaucoup de mon temps ! J'avais peur de placer à nouveau ma foi dans un autre musicien. Je préférais me concentrer sur mes trucs. Puis j'ai vu arriver ce mec et j'ai compris que cette philosophie, qui était bonne pour moi, était aussi un peu limitée.

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Killer Mike : Je ne voulais pas non plus avoir à m'occuper de quelqu'un. Quand tu accordes des faveurs, tu es souvent récompensé par de la rancœur et de la honte. Je connais beaucoup de traîtres qui sont conscients d'avoir merdé mais restent incapables de le reconnaître. Ma définition d'une bonne amitié, c'est quand on est prêt à s'investir autant l'un que l'autre. El est mon partenaire, pas mon aide de camp.

El-P : Notre domaine, c'est l'humain. Il fait essayer de se connaître soi-même. Mike et moi, on est arrivé à ce point de notre vie où on ne veut plus pisser dans des violons. Grâce à lui et quelques autres, je me suis rapproché de la personne que je veux être quand je serai grand-père. It's a big deal.

Photo - Victor Michael Sentez-vous parfois de la suspicion ou du mauvais esprit dans le milieu hip hop, à propos de votre relation ?
El-P : Il y a ce sous-entendu comme quoi Mike et moi n'aurions aucune raison d'être amis. Parce qu'il est noir et que je suis blanc. Pour certains, ça cache forcément quelque chose. Je l'ai fait entrer dans le club secret des Blancs et en échange il fait semblant d'être mon pote.
Killer Mike : Exact, j'ai enfin ma carte de membre ! Hahaha.

Vous pensez que ça va peu à peu changer, ces clichés ?
Killer Mike : Je ne sais pas si les rappers vont changer. Ce que je sais, c'est qu'on rencontre des amis noirs et blancs dans tous les états où on joue. Même à Nashville. On voit des gens avec des backgrounds économiques très différents qui font la fête ensemble. Les jeunes de dix-sept ans côtoient des quarantenaires. Des filles sont au premier rang. Je sais que de bonnes choses arrivent quand des cultures différentes se réunissent. Les mauvaises choses arrivent quand tout est polarisé. On a grandi à une époque où le rap, c'était tout le monde. Mais en chemin l'idée s'est perdue. J'ai vu les Beastie Boys en concert quand j'avais douze ans, les gamins noirs et blancs étaient sur la même longueur d'onde. Ils partageaient le même toit.

Michaël Patin réunit les peuples mieux que personne. Il n'est pas sur Twitter.