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Music

Rick Ross a tout piqué à Freeway

L'ancien baron de la cocaïne revient sur l'escroquerie dont il est victime et sur les complots au coeur de l'industrie du rap.

« Freeway » Rick Ross. Photo de Daniel Funaki

Voici Ricky Donnell Ross alias « Freeway », un type dont la réputation s'est construite lors de la grande épidémie de crack qui a sévi dans les rues de Los Angeles au début des années 80, et qui décima les quartiers défavorisés des États-Unis. Freeway était le dealer des dealers. Mais cette époque est désormais révolue.

Si vous avez entendu parler de ce type, alors il y a de grandes chances pour que vous connaissiez également William Leonard Roberts II, plus communément appelé Rick Ross, opulent rappeur de Miami qui a défrayé la chronique au cours de ces cinq dernières années. En 2008, quelques mois après la sortie de son deuxième album studio, Trilla, on apprenait par exemple qu’il avait été surveillant en centre de détention. Une photo de lui en complet uniforme d’officier a d'abord filtré sur internet. Après quoi il y a eu un scan de son diplôme obtenu au sein de l’académie du Département des Services Correctionnels de Floride, accompagné de son numéro de sécurité sociale. Le rappeur a fait profil bas sur ce sujet, avant d'aborder le sujet sur son troisième album, Valley Of Death, dans le morceau « Deeper Than Rap ». Dans d’autres milieux musicaux, ce genre de détail serait passé totalement inaperçu. Mais dans le rap, où tout est conditionné par la street cred, Rick Ross était désormais pointé du doigt pour avoir bafoué tous les codes.

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Sa réputation entâchée, il aurait pu changer de nom et passer dans le camp adverse. Mais non. Le rappeur a continué à générer des milliers de vues sur YouTube, à faire du chiffre et à promouvoir son label MMG (qui utilise « accidentellement » le nom et le logo du constructeur auto Maybach), comme si de rien n’était. Il a continué à singer le milieu décadent du trafic de drogue et de la Mafia à gourmettes, à jouer son rôle dans le spectacle du hip-hop, sans jamais sortir de son personnage. C'est ce personnage qui lui vaut ses fans. C'est aussi ce personnage qui provoque la haine de ses nombreux détracteurs. Et ce n’est pas surprenant que depuis sa sortie de prison en 2009, Freeway a non seulement rejoint les voix de la discorde, mais a également engagé des actions en justice contre Ross pour plagiat.

Bien sûr, les rappeurs prennent depuis des décennies des noms de criminels notoires. Curtis Jackson a ainsi emprunté le sien à un voyou de Brooklyn nommé 50 Cent, qui du haut de ses 1m57 terrorisait des quartiers entiers de New York dans les années 80, braquant les dealers avec un pistolet dans chaque main avant d’éventuellement les tuer. AZ, le sidekick de Nas, a, lui, été traîné au tribunal après son premier et plus célèbre album de 1995, Doe Or Die. Azie Faison, fameux truand de Sugar Hill à Harlem, n’avait pas très bien pris le single du rappeur, « Sugar Hill ». La leçon à retenir de tout ça ? Les légendes vivantes de la rue n’aiment pas qu’on leur pique leurs sobriquets, surtout sans les prévenir. « Quand j’étais en taule j’ai reçu des lettres de mecs de Miami qui étaient aussi en prison, me demandant si je pouvais stopper le rappeur et l'empêcher d'utiliser leurs noms dans sa musique ou ses vidéos », raconte Freeway Ricky Ross. « Les mecs me disaient : je passe au tribunal, je dois me battre pour pas plonger et ce type sort des vidéos dans lesquelles il raconte que j’ai fait ceci et cela. » Malgré toutes ces allégations, Rick Ross possède de nombreux supporters dans les cercles criminels. En 2010, année qui marque le pic de sa carrière, MTV diffusait en rotation lourde son hit « Blowin Money Fast (BMF) », dans lequel il se compare sans vergogne à Big Meech et au kapo des Gangster Disciples de Chicago, Larry Hoover.

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Depuis, Rick Ross a été menacé par les sbires de Hoover, l’obligeant même à annuler un concert. Meech a, en revanche, apprécié l'hommage et a donné son aval à l’artiste. Le nom « BMF » lui-même était un clin d’œil au cartel Black Mafia Family que Meech dirigeait avant son arrestation en 2005.

« Je ne sais pas si Meech lui a parlé directement ou pas. Peut-être bien. Je peux le comprendre. Meech cherche la paix et essaie de démarrer une nouvelle vie. Peut-être que Roberts l’a contacté et que Meech a répondu à son invitation, j’en sais rien », nous dit Freeway. « En même temps, ça ne change rien au fait que je sais d’où ce mec vient. Et je sais ce que sa musique implique. »

Freeway croit qu’un projet secret se trame, un truc bien plus obscur et conspirationniste que le simple vol d’un nom et d’une réputation. Il pense qu’en coulisse, Rick Ross est payé par ses anciens chefs en vue d’une grande mission : égarer les hommes noirs, les jeunes et les vieux, dans le but d’enrichir les puissants.

« Les syndicats de la police ont fait passer beaucoup de lois dans ce pays afin de renforcer leurs rangs. C’est un gang puissant en nombre. Plus les gens commettent des crimes, plus les policiers sont nombreux et plus le syndicat devient important », affirme t-il. « Roberts est le premier coupable potentiel parce qu’il a fait partie intégrante de l’organisation. Tout ça va bien au-delà de l’industrie musicale. »

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Freeway pense que le complot est profondément lié du système judiciaire, une théorie qu’il n’est pas le seul à partager.

Un témoignage anonyme au sujet d’un meeting secret

publié l’année dernière a fait sensation. Lors de cette rencontre, sensée avoir eu lieu en 1991, des exécutifs de l’industrie musicale avaient imaginé un plan pour faire du rap la musique la plus importante du pays. Leur objectif : orienter les gains générés par les ventes de disques vers le secteur alors bourgeonnant des prisons privées.

Il est impossible de valider une révélation aussi anonyme, comme il est impossible de la contredire. Malgré tout, des gens se sont amusés à comparer leurs informations et à relier certains faits. Certains ont remarqué que BlackRock avait des parts à la fois dans Vivendi (parent du groupe Universal) et dans la gigantesque entreprise carcérale Corrections Corporation of America. À noter également que les quatre billiards de dollars à l’actif de la firme sont aussi répartis dans Wal-Mart, Chevron et dans 5% de presque la moitié des entreprises américaines côtées en bourse.

« Je m’intéresse à tout ce qui ressemble à la vérité », affirme Freeway. « Si un truc me paraît insensé alors je me pose les bonnes questions. Si tu te penches sur le système judiciaire, ici en Amérique, peux-tu dire qu’il fonctionne ? 2,2 millions de nos citoyens sont en prison. Si tu y réfléchis bien, ça va absolument dans le sens des gens qui ont mis ce système en place. Ils voulaient coffrer des gens. Laisser les gens en liberté ne les intéresse pas, ça ne leur rapporte pas d’argent. »

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Le milieu carcéral est un gros marché aux Etats-Unis. Le pays possède le plus haut taux d’incarcération au monde, presque un adulte sur cent est en prison. La population américaine représente 5% de la population mondiale, et 25% de la population carcérale mondiale.

Un phénomène récent, qui a étonamment été constaté au moment ou le taux de criminalité chutait. Au milieu des années 80, en toute discrétion, le congrès et l’état ont commencé à mettre les lois à jour, en créant par exemple une différence de peine bien plus grande entre la possession et la distribution de cocaïne selon sa forme, poudre ou caillou.

Au cœur de l’Anti-Drug Abuse Act, on pouvait lire le rapport 100:1 qui stipulait qu’un gramme de crack équivalait à peu près à 80 grammes de cocaïne aux yeux de l'Oncle Sam. Encore aujourd’hui, le ratio de 18:1 est toujours grossièrement disproportionné. Tout ça a pénalisé les plus pauvres d’une manière encore plus dure. Pendant ce temps, les prisons privées américaines se sont remplies, et les actionnaires

ont regardé leurs titres augmenter

.

Cette surpopulation est le résultat direct de l’épidémie de crack à laquelle Freeway a participé. Durant ses sept années dans les affaires, entre 1983 et 1989, il a bâti un empire qui s’est répandu à travers tout le pays, de New York à LA, du Texas au Midwest.

Les procureurs fédéraux ont estimé que, durant cette période, Freeway a acheté et revendu des tonnes de cocaïne. en prenant compte de l’inflation, il aurait manipulé pas loin de 2,5 milliards de dollars et fait un bénéfice de 850 millions nets. Il a blanchi ces gains illicites en investissant dans l’immobilier tout le long de la Harbor Freeway de Los Angeles. D'où son nom.

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Freeway n’était pas un caïd du milieu à ses débuts, il a dû apprendre. Son principal mentor, Danilo Blandón, importait de la cocaïne en toute impunité et envoyait les recettes dans son pays d’origine, le Nicaragua, alors plongé dans une guerre par procuration, avec d’un côté, les révolutionnaires sandinistes soutenus par les Russes, et de l’autre les Contras.

La Maison Blanche ne voulait pour rien au monde voir le communisme à sa porte, et sous couverture, la CIA a commencé à approvisionner les Contras en armes, violant de fait l’amendement Boland. Dans le même temps, le gouvernement américain fermait les yeux sur le trafic de Blandón, tout en sanctionnant financièrement ses importations destinées à soutenir la cause Nicaraguayenne. Ce business confus remonta évidemment aux oreilles d’un haut cadre, et le FBI arrêta Blandón, qui, selon Freeway, l’a balancé par la suite.

L’implication de la CIA dans l’affaire Blandón, et plus largement son rôle dans le trafic de cocaïne sont relativement flous. Mais à la suite d’une enquête interne, l’ancien inspecteur général de l’agence, Frederick Hitz, a témoigné devant une commission de la Chambre des congrès et déclaré ceci : « Il y a certains cas où la CIA aurait pu rompre de manière définitive ses liens avec les individus soutenant le programme Contra, qui était aussi mêlé au trafic de drogue. Mais elle n’a jamais pris aucune disposition pour régler la question. »

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Plus culpabilisant encore, Ronald Reagan fut obligé de s’adresser à la nation en direct à la télévision, assumant la responsabilité et l’implication de son administration dans ce qui devint l’affaire Iran-Contra. Pour le propre compte du gouvernement, elle procura des armes à l’Iran en échange d’otages et aida les guérilleros du Nicaragua à parvenir à leurs fins.

L’histoire de Freeway est aussi incroyable que cette prétendue réunion de 1991. Et pourtant, des preuves accablantes nous font douter.

Un homme libre, un trafiquant de drogue repenti vit maintenant dans un monde sans dessus dessous. Selon lui, un monde où des imposteurs sont payés pour usurper des identités de gangsters afin de graisser la patte de la machine carcérale capitaliste. Un monde où l'on ne donne jamais la parole aux hommes réhabilités.

« Personne en Amérique n’a autant d'expérience dans le trafic de drogue que moi », affirme Freeway, sans aucune once de fierté. « Qui est mieux placé que moi pour dire aux gosses que vendre de la drogue ne leur apportera rien ? »

Que ce soit sur l’escroquerie de Rick Ross ou sur cette prétendue conspiration, il est impossible de contredire Freeway. Est-ce que l’industrie musicale a des intérêts dans le système pénitencier américain ou non ? Cela n’a pas vraiment d’importance. D’une façon ou d’une autre, le monde américain des affaires continuera de réaliser du profit en vendant des stéréotypes profondément négatifs. Mais dans le personnage incarné par William Leonard Roberts II, Freeway Ricky Ross voit bien plus qu’un stéréotype. Il se voit lui-même.