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Music

Le premier jour il y eut George Clinton et le deuxième jour il y eut le funk

Le leader de Funkadelic et Parliament nous a parlé de l'élévation des consciences et de ses collaborations avec Kendrick Lamar et Flying Lotus.

Illustration - Dan Evans

Si la définition première d'une religion est d'établir un ensemble de croyances en rapport direct avec une existence supérieure, alors le P-Funk en est une et ceux qui prétendent le contraire sont dans le blasphème. George Clinton et ses apôtres se sont servis de la parole de James Brown, ont proféré des vérités immuables (« Fake the funk and your nose will grow »), et ont transformé des êtres humains éphémères en personnages immortels durant un règne qui a ouvert de nouvelles voies à la culture noire et a permis, plus globalement, l'élévation des consciences. Danser sous le Mothership était un acte pieux. Et ça l'est toujours. Le funk continue de se modeler et  il est propagé à travers la musique d'artistes comme Kendrick Lamar et WOKE, le trio composé de Flying Lotus, Thundercat et Shabazz Palaces.

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Mais ça n'a pas été simple. En général, les religions véhiculent un message de paix, même si leurs prophètes se retrouvent souvent dans des situations horribles. Sauf que Clinton n'a jamais été jeté dans le Lac de Feu ni été victime d'invasions de sauterelles. À 74 ans, il n'a même pas besoin de tourner à l'âge pour rester financièrement dans le vert. Ce qui n'empêche qu'il a passé ces dernières années à se battre contre Armen Boladian, le fondateur du label Bridgeport Music, qui possède les droits de la majorité de ses oeuvres. Si Clinton avait les droits de ses propres morceaux, rien que le sampling lui génèrerait des millions de dollars. Mais au lieu de ça, c'est Boladian qui engage les poursuites dès qu'un sample de P-Funk sort sur le marché. Le pouvoir du funk n'a pas pu échapper à l'opportunisme. Mais Clinton a encore l'âge de lutter.

Malgré toutes ces embrouilles, le pilote du vaisseau P-Funk a trouvé les ressources nécessaires pour renaître artistiquement. L'année dernière, Funkadelic a sorti un album de 33 titres, First Ya Gotta Shake the Gate, le premier album du groupe depuis 33 ans. Et n'y voyez aucune coïncidence avec l'âge du Christ. George Clinton n'est juste pas du genre à capitaliser sempiternellement sur son passé. C'est pour ça qu'il figure aussi sur To Pimp A Butterfly, et qu'il bosse actuellement avec Flying Lotus. Pas d'inquiétude donc, la philosophie funk court toujours, et plus de 40 ans après, sur quoi s'éclate le Dr Funkenstein ? On lui a demandé.

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Noisey : Ton autobiographie se termine par une conversation en studio avec Kendrick Lamar.
George Clinton : J'avais un morceau qui sortait sur cet album avec Kendrick Lamar, et il n'en avait pas fait un avec moi encore à cette époque. Mais depuis, on enregistré un de mes morceaux ensemble. Il était prêt à devenir ce qu'il est aujourd'hui. Je l'ai su quand j'ai fait cette chanson avec lui, je savais qu'il allait devenir exactement celui qu'il est maintenant.

Qu'est ce qui t'a conduit à lui ?
Mes petits-enfants me disaient à quel point il était branché et m'ont contacté pour que je fasse un disque avec lui. J'y ai cru jusqu'à ce jour. Quand je lui ai parlé, j'ai tout de suite compris. On dirait qu'il a mon âge - il a ce type de connaissance et de conscience de l'industrie musicale tout en étant créatif.

Cette session a eu lieu quand ?
L'année dernière.

Philosophiquement parlant, est-ce qu'il existe une tradition funk ?
Le funk vivra toujours. Il s'agit de donner le meilleur de toi-même, et si tu peux donner le meilleur, laisse-le juste faire, tu laisses le funk prendre le contrôle. Normalement, il te conduira là où tu dois aller. En ce moment, j'ai pas mal de chance de travailler aux côtés de Louie Vega, Kendrick Lamar et Ice Cube. On a fait un single pour la vidéo « Ain't That Funkin' Kinda Hard On You » qui va sortir dans quelques semaines. Et la version avec Kendrick et Ice Cube sera bientôt disponible. Donc, fais juste du mieux que tu peux et le funk t'emmènera où tu veux. Et je pense que je suis à ma place actuellement, entre le nouveau hip-hop, le vieux hip-hop et la musique électronique. En faisant toujours le funk que je veux.

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Est-ce qu'il y a un élément libérateur quand on parle de funk ?
Tu as toujours besoin d'un adversaire pour te provoquer à faire du funk. Ces temps-ci, notre adversaire n'est pas seulement la guerre qui infecte le monde et tout ça, mais à notre niveau, ce sont les copyrights qui tentent de protéger les droits des artistes et des compositeurs. On mène une grande lutte… Quand j'ai découvert ce qu'il se passait dans les agences qui étaient censées nous protéger - comme BMI, les majors et les gros labels - j'ai réalisé qu'ils faisaient la même chose que ce qu'ils faisaient avec les banques il y a quelques années, mais avec la musique protégée. Ils m'ont désespéré à tel point que j'ai voulu sortir un tout nouvel album de 33 chansons. Ca m'a motivé finalement.

Donc les adversaires ce sont les labels qui volent la musique aux artistes ?
Eh bien, ils prennent tous ceux qui sont jeunes et qui veulent réussir ; les artistes qui feraient tout pour lancer leur carrière. Mais une fois qu'ils l'ont fait, les labels se servent d'eux. En ce moment, ils essaient de récupérer les droits à mes successeurs et aux héritiers d'autres musiciens. Ils ne veulent pas juste prendre l'argent, il veulent acquérir les droits pour l'éternité. C'est une chose que les gens ignorent.

Au début de ta carrière, tu avais un groupe de doo-wop. Est-ce que tu as eu peur d'éloigner ton public noir lorsque tu es passé à la musique psyche ?
À chaque fois que tu passes à la pop ou que tu fais des mélanges, tu perdras le public avec lequel tu as commencé. C'est ce qui s'est passé quand la musique noire est devenue la pop de la nouvelle génération. Ce qui est très black pendant dix ans devient très pop pour les dix années d'après. En ce qui concerne le rock'n'roll, beaucoup de Noirs pensent que c'est une musique totalement blanche. Ils ne connaissent pas l'histoire de Little Richard et Chuck Berry. La seule chose qu'ils savent c'est que Jimi Hendrix jouait des trucs psychédéliques. Donc ouais, tu perds de l'audience quand tu passes d'un public à l'autre. La plupart de la musique noire actuelle - le hip-hop - est totalement pop.

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Et à propos de l'idée d'étendre le champ de sa conscience, est-ce que ça a joué un rôle avec le funk ?
Ca a joué un rôle dans toute la musique qui a été faite en 67, 68 et 69. C'est devenu une réalité même si tu jouais du classique. La substance chimique en vogue à l'époque fasiait naître toutes les idées qui étaient mises en musique. Tu avais Frank Zappa, qui était bizarre. Mais toutes ces drogues qui élevaient la conscience t'amenaient au sein d'un territoire délimité de la pensée. Les Beatles ont couvert énormément de terrain avec ce qu'ils chantaient et ce qu'ils écrivaient, tu sais… C'était la conscience de la jeunesse de cette période. Tu apprenais beaucoup du monde. Une fois que ton esprit commençait à s'étendre, tu te mettais à apprécier toutes sortes de musique : le classique, le jazz, le rock.

Sun Ra était une de tes influences ?
Je ne le connaissais même pas quand on s'y est mis. Je me suis vraiment penché sur lui dans les années 90. Je connaissais son importance, ses musiciens et tout, mais je n'avais pas encore plongé dans sa discographie. Je pensais juste que c'était du jazz venu d'ailleurs. Puis je me suis aperçu des années plus tard qu'il avait une carrière similaire à la mienne, qu'il faisait du doo-wop à ses débuts à Chicago. Il appréciait tous les styles musicaux - et il avait été approché par des extra-terrestres.

Et qu'est-ce qui t'a amené à Flying Lotus ?
Je l'ai rencontré en même temps que Kendrick Lamar. On a fait « Wesley's Theory ». J'ai été soufflé par leurs styles. En fait, on est en train d'enregistrer un album ensemble avec Parliament.

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Ça tue.
Je les apprécie beaucoup. Ils ont complètement leur place sur le vaisseau.

Parle-moi des sessions de « The Lavishments of Light Looking ».
Elles ont eu lieu il y a quelques mois. Ca s'est fait très rapidement, un mois et demi avant la sortie. On est allés chez Flying Lotus, on a discuté et écouté quelques trucs. Il voulait qu'on fasse quelque chose et il avait un morceau sur lequel bosser. Donc on a bossé dessus, et avant que je ne sois au courant, c'était déjà en ligne.

Tu as pensé quoi du produit fini ?

Ca m'a mis sur les fesses. Quand je l'ai écouté la première fois sur Adult Swim, j'ai trouvé ça incroyable, je ne savais même pas que ça devait sortir cette semaine-là.

Qu'est ce qui t'a poussé à renaître artisitiquement ? Juste ces histoires de copyrights ?
C'est tout ce dont je te parle. Ce qui m'a inspiré à revenir c'est l'envie de filer un coup de pied à quelqu'un… Mais tu sais, tu dois rester pertinent vis-à-vis des gens qui te portent vraiment de l'attention. Donc, pour ce faire, il fallait qu'on fasse quelque chose de frais et d'actuel au lieu de juste jacasser à propos des trucs du passé. Donc j'ai écrit le livre, l'album, et relié les deux ensemble [ils portent tous les deux le même nom].

Qu'est ce qui est funky chez Flying Lotus selon toi ?
Eh bien, merde, tout ce qui le concerne est funky. Je veux dire, au-delà du style, sans s'embarasser des concepts, ça reste de la bonne musique funky. C'est jazzy, mais c'est accessible pour les jeunes. Ils n'ont même pas encore de catégorie pour ça.

Ça sonne toujours futuriste en cette période.
C'est enssentiellement ça oui. Ils parlent de futurisme, d'afro-futurisme. C'est probablement le meilleur exemple de ce que ce terme signifie pour moi.

Tu penses quoi du terme afro-futurisme d'ailleurs ?
Je ne savais pas trop quoi en penser avant. Puis j'ai entendu Flying Lotus, et ça a fait sens, parce que ce qu'il fait est une musique délibérément futuriste. Pareil pour Sun Ra. En ce qui me concerne, je l'utilisais en tant que concept. J'ai fait des tas de choses, comme aller au fond des mers [Motor Booty Affair], dans l'outre espace. Sun Ra et Jimi Hendrix, ils étaient définitivement ailleurs. Ce que Flying Lotus est en train de faire est ce qu'on faisait avec le Mothership, de la bonne musique qui représente l'afro-futurisme. Brian Josephs est sur Twitter en attendant de monter dans le vaisseau.