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Retombé pour la France : une conversation avec Arnold Turboust

À l'occasion de la sortie de son cinquième album, nous avions beaucoup de questions à poser au très discret sidekick d'Etienne Daho.

​Top : j'ai été clavier pour l'influent groupe rennais Marquis de Sade, puis membre à part entière de leurs pendants nantais, Privates Jokes, avant de revenir à Rennes pour composer les plus gros tubes d'un certain Etienne Daho, j'ai ensuite chanté mes propre titres, dont un single inattendu avec l'actrice Zabou en 1986 qui a fait les belles heures du Top 50, tout le monde a honteusement oublié mon premier album Let's Go a Goa, mais j'en ai sorti 3 autres dont le bien-nommé Démodé en 2010, je reviens aujourd'hui avec le cinquième du nom, je fais partie de cette longue lignée d'auteurs timides ala française, je suis, je suis, je suis ? Arnold Turboust. Bien joué. Nous avons profité de la sortie du nouvel album éponyme de ce héros très discret de la pop française pour poser quelques questions au deuxième homme de « Tombé pour la France ». Rentrez vos chemises XXL dans votre futal, ça commence.

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Noisey : Vous avez écrit et collaboré avec énormément de monde dans la variété et la pop française, et pourtant, 30 ans après vos débuts, peu de gens savent qui vous êtes. Il est cher payé, « le prix du silence » ?
Arnold Turboust :Je n'ai jamais réellement cherché à être absolument devant, je me suis toujours dit que si cela arrivait je m'adapterais mais qu'avant tout, je devais me concentrer sur la qualité de ma musique. Paraître est si difficile… Cependant, un peu plus de lumière ne serait pas pour me déplaire !

Est-ce qu'on vous confond encore avec Etienne Daho aujourd'hui ?
Evidemment, très souvent. C'est d'ailleurs quelquefois difficile à assumer. Je pense que notre association a laissé beaucoup de traces dans l'imaginaire, nos chansons sont encore très présentes et ce style musical est bien souvent uniquement attribué à Etienne car c'est lui qui est surtout dans la lumière  !  Mais je dois dire que je lui dois beaucoup, peut-être autant qu'il me doit, si l'on se doit quelque chose…

​​Bien avant cette association, vous passez votre jeunesse en Normandie, comment vous retrouvez-vous ensuite à Rennes (sur le premier album de Marquis de Sade) puis à Nantes (au sein des Private Jokes) ?
Au lycée, précisément en terminale, presque tous les midis, je jouais avec un pote très bon batteur Eric Morinière. Après le bac, je l'ai perdu un peu de vue. J'étais au Havre où je continuais mes études et lui à Rennes, où il jouait avec son nouveau groupe, Marquis de Sade. Par bonheur, lui ne m'avait pas oublié et au moment de l'enregistrement de leur premier album ils avaient besoin d'un clavier, Eric a aussitôt pensé à moi et c'est comme ça que je me suis retrouvé à Rennes, dans un studio, à jouer dans l'un des plus prestigieux groupes du moment.

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Après je suis parti à Nantes. Mes parents acceptant mal le fait que j'abandonne mes études pour une très hypothétique carrière musicale, m'avaient envoyé dans une école là-bas où je ne suis resté que deux mois. J'ai très rapidement rencontré des musiciens et nous avons formé Private Jokes. Après quoi je suis reparti à Rennes pour faire le premier album d'Octobre !

Le Charles Trenet de la new wave (Photo : Youri Lenquette)

Comment on passe d'homme-synthé à auteur-compositeur-interprète ?
C'est une progression très lente en effet. Au début, je n'étais que musicien puis plus ou moins arrangeur, ensuite compositeur, et enfin auteur/compositeur/interprète. Celadit, tout ceci me semble très logique… Lorsque que j'ai commencé à apprendre le piano, ce qui m'intéressait le plus était non pas de parfaitement exécuter le morceau mais plutôt de comprendre ses passages harmoniques.

Quels disques tournaient sur votre platine en 1980 ?​
J'écoutais entre autres les Stranglers, New Musik, Ryuichi Sakamoto, Talking Heads, Jah Wobble, Brian Eno, David Byrne, Tuxedomoon, etc…

Comment naît cette association avec Daho et l'éternel tube « Tombé pour la France » ? Vous veniez tous les deux d'un environnement plutôt rock, underground, ça vous a gêné que le titre connaisse un tel succès, vous les deux grands timides ?
La rencontre avec Etienne a eu lieu dès les premiers jours où je suis arrivé à Rennes. Il m'a confié qu'il voulait être chanteur, j'ai dû lui répondre que s'il voulait, je pouvais lui écrire desuperbes musiques… La première chanson importante où j'interviens est « Le Grand sommeil ».

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« Tombé pour La France » est le reflet de notre vie de cette époque, fête puis discothèque, puis encore fête et/ou discothèque. À Rennes, on fréquentait Le Batchi, Le Stanley, L'Espace, La Chaumière à Saint-Lunaire, puis Le Floride à Nantes où j'avais mes habitudes. À Paris j'aimais bien les Bains Douches ainsi que le Palace et Le Privilège. C'est une musique qui a été crée spécialement pour coller à son époque et aussi être diffusée en boîte… C'est surtout Etienne qui a dû assumer ce succès, mais c'est vrai que je ne m'attendais pas à un tel raz de marée.

​​Avant la sortie de Pop Satori, vous travailliez déjà sur vos morceaux en solo ? Quel a été le déclic pour « Adélaïde » ? Et qui a choisi Zabou ?
Pas spécialement, j'étais bien comme ça. Je me suis mis à chanter parce que je ne voyais pas qui d'autre pouvait interpréter cette chanson, « Adélaïde ». Je me suis donc aventuré un peu plus loin, j'ai posé ma voix sur la démo, ensuite, Zabou qui était une amie et à qui j'avais également proposé d'écrire des chansons l'écouté. Je pense que c'est Etienne qui m'a suggéré de lui proposer !

30 ans après, ce tube, comme ceux de Daho, n'a pas vieilli, et fait toujours son effet sur les pistes. C'est quoi le secret Turboust ?
Il n'y a pas de secret. J'ai toujours avancé au feeling, à l'intuition, et maintenant, toutes ces musiques que j'ai composé dans ma chambrette sont diffusées un peu partout dans le monde, c'est magique. J'ai rencontré il y a peu un DJ new-yorkais qui m'a confié qu'il passait régulièrement « Adélaïde » dans les soirées là-bas en Amérique et qu'à chaque fois, il remplissait la piste.Comment dire… je suis extrêmement touché. C'est juste incroyable et je n'aurais jamais imaginé ça !

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Votre deuxième single des 80's, « Les Envahisseurs », s'inspirait de la série du même nom. C'est un truc qui vous branchait, la science-fiction ?
Oui j'ai toujours beaucoup apprécié  la science fiction, mon grand-père achetait un tas de bouquins et de revues dans le genre que je lisais avec curiosité. J'ai souvent pensé que ce n'était qu'une anticipation de l'avenir. Dans mon esprit, après «Adélaïde », il fallait absolument un titre fun, mais différent. C'est Jacques Duvall qui a écrit le texte et j'ai réalisé l'enregistrement avec Marc Moulin au studio Synsound de Dan Lacksman [membres du groupe belge Telex]​.

Vous aviez d'autres influences littéraires que celles que récite Daho dans « Paris, le Flore » ?​
Non, pas spécialement de références. Ce qui m'intéressait plutôt c'était la façon d'écrire les textes, je lisais beaucoup de poésie, et j'écoutais en boucle ceux que je considérais comme mes pairs, de Trenet à Gainsbourg…​

Let's Go a Goa, votre premier album sort en 1988. A l'époque, les sonorités new beat ou house déferlent sur l'hexagone. Vous y êtes resté insensible ?
Au début, je n'avais aucune attirance pour ce genre, j'étais plus intéressé par les débuts du rap, De La Soul, Jungle Brothers, A Tribe Called Quest, et l'utilisation des samplers. Ce n'est que petit à petit que je me suis intéressé à cette musique mais plus pour les sonorités, l'électronique, la façon de mixer etc…​

Arnold Turboust et Richard Conning dans le studio de Telex à Bruxelles, circa 88.

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Vous avez signé des chansons pour Tess, Lina et d'autres ; je suis toujours frappé de voir la quantité de chanteuses qui ont sorti des singles dans les années 80. Que retiendra t-on de cette décennie ?
Plus de possibilités, de facilité pour trouver des labels, l'argent via la pub n'était pas encore trop présent… Personnellement, ce que je retiens surtout de ces années, c'est l'amusement, l'immensité des possibles, la liberté, comme dirait Jean Rochefort « La vie quoi… »

De 1994 à 2007, silence radio en solo. Votre deuxième album Mes amis et moi est-il un mauvais souvenir ?
Non, bien au contraire. Mes amis et moi reste un très bon souvenir, un album dont je suis très fier. Si j'ai mis autant de temps pour donner une suite à celui-ci c'est parce que l'exigence était élevée. En outre, pendant cette période, j'ai beaucoup travaillé avec Etienne, sur Eden, « Mon manège à moi », puis pour Brigitte Fontaine (« Conne​ »). Ensuite et surtout, c'est parce que mon pote, celui avec qui je travaillais depuis le début, s'est tué dans un accident de moto… Ce fut la fin d'une époque pour moi, et je n'avais plus aucune envie de composer…​

L'album de votre retour, Toute sortie est définitive, est sorti en indé, avec un titre à interprétations multiples. Difficile de revenir dans le business quand on l'a quitté une fois ?
C'est tout l'intérêt de ce titre justement, j'aime me cacher dans toutes les significations possibles . Ce retour n'était pas plus difficile qu'à l'époque, même si l'eau avait coulé sous les ponts et qu'il fallait s'adapter. C'est aussi à cette époque que je m'aperçois que ma musique commence un brin à compter…

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Parlez-moi de ce morceau surprenant avec Doc Gynéco, « La Pompadour ».
Oui, d'ailleurs, cette version n'a jamais été commercialisée, elle est juste en écoute sur YouTube ! Le titre s'est fait par l'intermédiaire d'un ami, Stéphane Loisy (c'est d'ailleurs lui qui m'a permis de sortir cet album), qui pensait qu'un duo avec Doc Gyneco sur cette chanson pouvait être très intéressant et de fait… Je me souviendrai toujours de l'arrivée de Bruno en studio. À mon grand étonnement, il avait préparé un texte qui collait parfaitement avec le mien, qui le complétait, je devenais le narrateur, genre « Alain Decaux raconte ». Et lui déclamait, avec sa façon très humoristique, son histoire .

Après Démodé (aveu de faiblesse, qualité de l'époque ?), vous revenez avec un album plus calme, jazzy, voire lounge, en noir et blanc. Avec qui avez-vous travaillé sur celui-là ? On doit encore galérer pour financer ses disques lorsqu'on est le co-auteur de « Tombé pour la France » ?
A l'époque de Démodé, je me sentais d'un autre siècle c'est un peu ce que je dis dans la chanson du même nom. Pour ce nouvel album, j'ai retrouvé Richard Conning  [producteur/remixeur anglais et guitariste/chanteur de The Lines​]​ pour cet album, 30 ans après Let's Go a Goa et Pop Satori, et nous avons fonctionné comme un groupe. Lui habitant à Los Angeles et moi près de Paris, nous avons donc utilisé les serveurs Ftp pour échanger nos fichiers, et Xavier Tox Géronimi nous a rejoint à la toute fin pour ajouter ses guitares dont il a le secret.

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Chaque nouvel album est une aventure et à chaque fois tout est à refaire. Même si j'ai la chance d'avoir créer quelques titres plutôt importants, pour autant le financement de mes albums n'est pas automatique, je vais donc au charbon comme tout le monde !

« Silence », «​ rêve », «​ flou », «​ invisible »… Le champ lexical est toujours très Turboust. Comment on fait pour construire une carrière sur l'absence et la légèreté sans tomber dans la superficialité ? Et aussi pour conserver son timbre après toutes ces années !
Du silence naît la musique, les partitions sont des notes entourées de silence ou l'inverse. Il est vrai que j'ai utilisé sur deux titres le mot silence c'est peut-être ma façon de me mettre à l'abri et de me boucher les oreilles pour ne pas entendre le danger qui gronde alentour.

Ma carrière, si l'on peut parler comme ça, je ne l'ai jamais planifiée, théorisée, je me suis juste laissé mener par le bout du nez. C'est la musique qui est venue me chercher et elle a fait de moi ce qu'elle a voulu. « À petits pas chassés puis à grandes enjambées » comme je le dis dans la chanson « Ma danseuse ».

Mon timbre c'est vrai n'a guère changé au cours de ces années, probablement la cigarette… J'ai juste perdu un peu d'aigu en route et a contrario, gagner des graves, mais pas tant que ça finalement…

Pour terminer, vous trouvez qu'il existe un héritage Turboust dans la chanson française contemporaine, de Burgalat à Lafayette ?
Bertrand Burgalat a produit avec moi et Jack Bally l'album Mes amis et moi, mais je serais bien prétentieux d'affirmer cela. En tous cas, ce n'est pas à moi de le dire même si il est vrai que quelquefois, quelque part, j'entends des musiques qui me rappellent les miennes… Et c'est très flatteur.

Arnold Turboust sort le 14 octobre chez Hebra Records​.​

Rod Glacial est sur Twitter​ mais à quoi bon.