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Music

J'ai vu deux légendes du reggae chanter l'unité dans un Paris sous le choc

Samedi dernier, les Twinkle Brothers ont rappelé au public du New Morning que Babylone était un piège.

Le week-end dernier régnait une ambiance mêlée d'angoisse et de solidarité dans la « capitale du monde ». Encore sous le choc de la fusillade survenue dans les bureaux de Charlie Hebdo le 7 janvier, les Parisiens cherchaient désespérément un signe de fraternité -l’un des trois fondements de la République- en espérant que celle-ci soit toujours en vie.

Samedi soir, dans l’enceinte historique du New Morning (club où ont joué, entre autres, Art Blakey, Bob Dylan, Dizzy Gillespie ou Chet Baker), un groupe fondé dans les années 60 à Falmouth, en Jamaïque, a réuni un public encore traumatisé par les récents événements, dans un véritable élan de communion, sans pour autant minimiser les questions difficiles soulevées par ces attaques.

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Les Twinkle Brothers, emmenés par les frères Norman et Raltston Grant ont sorti une soixantaine d’albums depuis 1964. Fervents rastafaris, leur reggae-dub est suivi depuis des années en France par un public restreint mais très dévoué. Pendant environ deux heures, ils ont appelé à la l’unité par des messages forts et pas seulement basés sur le facile « One Love »— deux mots qui ornent les chambres de tous les fumeurs de weed dont les connaissances en matière de musique enfumée s’arrêtent à Legend de Bob Marley.

Norman Grant, l’homme aux longues dreadlocks grisonnantes, se tenait sur le devant de la scène, entouré de son groupe tel un prophète avec une vérité à répandre. Dès le début, il a donné le ton avec « Repent » et son refrain « There’s a Room in Zion for Everyone ! » Grant sait que ce leitmotiv est loin d’être ancré dans nos sociétés. Son groupe marie les préceptes du Peace & Love à un commentaire social très dur qui évoque à la fois la famine, le chômage ou encore les problèmes liés à l’immigration et à l’exil.

« Babylone est un piège ! » ont scandé les Twinkle Bros dans leur reprise de « Babylon is a Trap » de Dub Judah. Un morceau qui renvoie à la lutte perpétuelle de tout individu vivant dans un pays qui n’est pas le sien : « Due to lack of education / Wicked a control the nation / Due to lack of employment / the youth them turn a militant ». Le reggae est à la base une musique de résistance, un vent de progrès social venant de Trelawny au nord de la Jamaïque, un appel à l’unité et une mise en garde sur l’état de nos sociétés qui résonne depuis des décennies.

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La musique jouée live devrait nous faire ressentir ce sentiment de vie et de mort. Il faut créer un climat d’urgence pour rassembler la foule. Si un concert ne représente qu’une simple date de plus sur une tournée, alors à quoi bon ? L’an dernier, j’ai vu The War On Drugs dans une salle de Londres. La musique était bonne, le live super bon, mais il n’y a eu aucune étincelle, aucune communion, le public ressemblait à une bande de zombies qui bougeait la tête comme des moutons défoncés. On a bu de la bière coupée à l’eau dans des gobelets en plastique et on est tous rentrés sagement chez nous en se demandant pourquoi on était si fatigués.

Rien à voir avec ce qui s'est passé ce samedi. Les Twinkle Brothers, qui tournent depuis plus de 50 ans, ont joué comme si leurs vies en dépendaient. En période de deuil national, ils ont apporté leur part de vérité et ont rappelé l’urgence de la situation, quand d’autres groupes auraient simplement proposé au public des discours prémâchés, fades et bien conformes. Norman Grant criait « PARIS ! » pendant et entre chaque morceau, encourageant la foule, de tout horizon et de tout âge, à rester avec lui, à rester unis. Il a ajouté : « Je veux que cette génération s'acquitte de ses péchés… Notre travail et celui des troisième et quatrième générations, c’est de remettre de l’ordre dans tout ce foutoir… C’est un message très simple. Soyons-unis. » C’était simplement de la musique mais c’était important, car, oui, la musique est importante. On a quitté la salle avec les batteries complètement rechargées.

Le lendemain, à la marche, des gens une fois de plus de tous horizons, de tous âges, de toutes origines, étaient réunis ensemble, loin de l’hypocrisie de leurs dirigeants politiques pour célébrer ensemble la liberté, l’égalité et la fraternité au sens premier du terme. Ces idéaux souvent bafoués refont sens quand on les retrouve dans la rue ou en concert. « Montrez à vos frères que vous les aimez »… C’était le message final des Twinkle Brothers, le même qu’à de la marche.

La Place de la République était devenue le point de convergence de tous ceux qui voulaient se rassembler, que ce soit groupe de pro-Palestinien et un autre de pro-Israélien, s’embrassaient et se prenaient dans les bras en chantant pour la paix : la vision d’un Zion ouvert à tous.

Oscar répand la paix sur Twitter - @oscarrickettnow