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Music

On ne remerciera jamais assez Montréal pour Chocolat

Le nouvel album du secret le mieux gardé du Québec sort dans une semaine sur Born Bad. Interview et écoute intégrale.

Toutes les photos sont de John Londono

Si l'on excepte ses hivers cruels et ses bières fétides (sérieux les gars, vous mettez quoi dans la Moosehead ? On dirait de la transpiration de nouveau-né avec des bulles), Montréal correspond à peu de choses près à mon idée du paradis : des trottoirs larges, une super équipe de hockey et une scène musicale aux airs de gigantesque famille dysfonctionnelle. De Voivod aux Georges Leningrad en passant par les Doughboys et Duchess Says, la capitale de l'oie blanche a engendré une longue descendence d'éclopés de genie et de loquedus au grand coeur. Une lignée échevelée au sein de laquelle Chocolat s'est fait une place en 2007, à grands coups de dérapages fuzz et de suppliques affligées, adressées à l'aube par des types qui n'étaient de toute évidence pas prêts à ce que les bars sonnent l'heure de la fermeture et que la lumière du jour vienne contrecarrer leur plans de fuite vers une équivoque paire de

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panties

.

Après avoir annoncé la couleur avec un premier EP hystérique, s'être bâti une réputation de fouteurs de merde qui leur vaudra d'être bannis de tous les rades du Québec et enfanté dans la douleur un premier album étonamment raffiné (

Piano Élégant

, en 2008), Chocolat se désintègre en plein vol. Trop de tout trop vite, Jimmy Hunt (figure des nuits montréalaises spécialisée dans les one-man bands claudiquants) et Ysael Pepin (déjà croisé chez Demon's Claws) se mettent au vert le temps de retrouver un semblant de stabilité, avant de revenir à la surprise générale avec le spectaculaire Tss Tss, deuxième LP narcotique, taillé pour le cinemascope et les grands espaces désolés, qui sortira la semaine prochaine sur Born Bad et que vous pouvez écouter en intégralité ci-dessous. On en a profité pour aller passer un moment avec Jimmy et Ysael, pour parler de l'incroyable odyssée de Chocolat.

Noisey : Est-ce que vous pouvez nous raconter comment Chocolat s'est formé il y a presque 10 ans à Montréal ? De l'extérieur on a l'impression que vous vous êtes un peu tombés dessus par hasard, de nuit, au rythme des rencontres.

Ysael Pepin :

C’est un peu ça en effet ! Un soir ou j’était bien en forme, je suis allé voir Jimmy avec son groupe. J’ai trouvé que le band n’était pas à la hauteur de ses composition. Je lui ai donc proposé de former un nouveau groupe, avec les meilleurs ! Donc moi, bien entendu. Il m’a trouvé rigolo je pense. On s’est saoulés toute la nuit et avons pris énormément de cocaine en se faisait des tas de promesses : façonner ensemble le meilleur groupe du monde, redéfinir et mettre à jour le rock en français, s’acheter un chalet avec l’argent qu'on allait faire, etc… Je me souviens également lui avoir dit qu’il était aussi bon que Plume Latraverse [

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songwriter québecois, modèle d'intégrité et d'indépendance depuis plus de 45 ans, en gros l'équivalent local de Gérard Manset

], ce qui n’est pas à prendre à la légère comme compliment !

Jimmy Hunt :

Ysael a une bonne mémoire ! J’étais fan des Demon’s Claws. Je trouvais que le rock francophone sonnait comme une joke. Quand j’ai vu les Demon's Claws et les Black Lips jouer dans un petit bar sur Saint-Laurent j’ai compris que j’avais besoin d’eux. Ysael sonnait comme Paul Samwell-Smith [

le cerveau des Yardbirds

], j’avais jamais entendu un band sonner comme ça en live ! Et quelques semaines plus tard, il est venu me parler, une nuit…

Votre premier EP sent d'ailleurs beaucoup la nuit : c'est fiévreux, urgent, un peu fauché, il y a pas mal de filles. Bon après, il y a aussi Johnny Depp, dont je ne m'explique pas trop la présence…

Ysael :

Après cette soirée de rencontre, on en a passé plein d’autres dans le même genre et on a fini pas monter le groupe dont on parlait. On s'est donc mis à jouer ensemble plus sérieusement. C’était une période plutôt naïve et confuse pour nous, mais au milieu de tout ce chaos, on a joué beaucoup de musique. Nous étions un groupe bien focusé, convaincu de de pouvoir générer de bons disques. On avait la chance d’avoir Jimmy comme compositeur, de super musiciens (Dale Mcdonald, Brian Hilderbrand, Martin Chouinard) mais aussi un adorable personnage du nom de Bob Olivier qui nous à pris sous son aile et nous a ouvert les portes de sont studio pour nous permettre d’enregistrer notre premier EP, sans stress et avec les conseils et l’inspiration qu’il apportait au groupe. Nous étions en effet pas mal fauchés. Je crois qu'aucun de nous n'avait de boulot à côté à ce moment-là… Moi, je faisais juste la basse pour les Demon's Claws… Je me souviens que Bob Olivier donnait parfois du poisson congelé à Jimmy !

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Jimmy :

J’avais monté la plupart de ces tounes avec un autre band avant mais sans avoir rien enregistré. Après quelques test avec Ysael, on a recruté les autres membres. Et effectivement, on était pas mal le cliché rock : alcool, coke, sexe et des shows improvisés à 40 %. Mais on restait quand même ambitieux, malgré tout. On se donnait à fond pour donner de bons shows et trouver le bon son. On voulait que le public se sente étourdi après nos performances. Et ça fonctionnait, je crois. On écoutait les premiers mixes du EP durant nos DJ sets dans les bars où on travaillait, on testait leur effet sur les gens. Ç’était cool d’avoir trouvé le bon mélange. Pour ce qui est de Johnny Depp, c’est parce que j'étais dans ma prériode indécise. Quand j’étais high je faisais plus de différence entre les gars et les filles. C’est une histoire de pirates.

Piano Élégant, votre premier album est justement beaucoup plus élégant que le premier EP, plus raffiné, plus travaillé. Vous vouliez plaire aux mères des filles que vous aviez dragué avec le premier ?

Ysael :

[

Rires

] C’est un peu ça je crois… On essayait possiblement de se calmer, sans trop y arriver. Ce disque nous à fait connaitre à un public un peu plus large, mais comme nous étions complètement incontrôlables, beaucoup de portes se sont rapidement refermée sur nos gros nez rouges remplis de veines éclatés. On est alors retournés faire la fête pour oublier tout ça.

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Jimmy : J’aime ce disque et il me tape sur les nerfs en même temps. Je crois que j’ai essayé de nous sortir de la scène garage qui commençait à me faire chier avec ses règles, ses codes. Mais ça a quand même donné un son particulier, un hybride de chanson et de rock à la Kinks, moins brutal. Cela dit, à choisir, je préfère la période du EP.

Cet album vous a en tout cas permis de jouer aux JO de Vancouver. C'est quoi cette histoire ?

Ysael :

Par chance, à Vancouver, ils n’avaient pas eu vent de notre mauvaise réputation et nous ont invité pour faire partie de la délégation francophone… Un truc politique quoi… On a joué en première partie de Damian Marley devant un public de sportifs, c’était pas mal.

Jimmy :

Moi, j’ai rien compris. Ça sentait le pot intensément sur scène et pour faire lever la foule je devais crier : « TEAM CANADA ! »

À partir de là, Chocolat part en brioche un peu : le groupe est mis de côté, Jimmy a d'autres projets… Il se passe quoi ?

Ysael :

Comme on ne pouvait plus vraiment faire de concerts ici et que la merde était un peu pogné entre certain membre du band (divergence d’opinions, problèmes d’argent, etc…), on a pris une pause.

Jimmy :

J’avais plus d’idées pour la suite et notre réputation de fouteurs de merde rendait tout compliqué… J'avais besoins d’essayer autre chose. Il me fallait un break, loin du bruit et des acouphènes. Dale parlait de s’exiler à Berlin… Bref, on a senti que c'était le moment de lever le pied.

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Qu'est-ce qui a fait revenir Chocolat finalement ?

Ysael :

Jimmy et moi, on a toujours pas mal continué de jouer ensemble. Je devais jouer sur son premier disque solo, mais comme j’avais eu deux enfants entre temps, mes horaires n'étaient plus aussi flexibles. J’ai quand même réussi à jouer quelques notes sur son deuxième LP ! Et puis il y a eu le band qu’on a fait pendant quelque mois qui s’appelait Fantômes…. Finalement Jimmy ma appelé après pour me dire qu’il avait composé un nouveau disque pour Chocolat et on est partis en studio. Et nous avions cette fois la chance d'être accompagnés par deux types incroyables : Emanuel Éthier à la guitare et réalisation et François Régis Pagé, à la prise de son. Ce dernier à aussi investi beaucoup de son temps pour nous permettre de produire le disque dans un grand studio (Victor), sans stress et à moindre coût.

Jimmy :

Ce disque m'est tombé dessus, alors que je pensais en avoir fini avec Chocolat. On se rapprochait de l'idée de départ. De quelque chose de plus musical, moins chanson. De plus axé sur la section rythmique, avec des structures plus progressives. Et pour les textes, plus de sacré, plus de spirituel, et moins d’histoires nocturnes.

Il y a quelque chose qu'on retrouve tout au long de vos disques, c'est ce côté mécanique, un peu à la Suicide, comme si tout ce bordel était traîné par un petit moteur. C'est voulu ? C'est une marque de fabrique ou un truc arrivé totalement par hasard ?

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Ysael :

Je suis un grand fan de Suicide, j’ai une fois écouté leeur premier album en boucle sous MDMA, pendant toute une nuit. Ça vient peut-être de là !

Jimmy :

J’écoutais beaucoup cet album pendant la période du premier EP. C’est un incontournable. Hyper minimaliste mais plus sauvage, glauque et unique que bien des bands ! Ils ont mis le doigt sur LE truc. Mais dans notre cas, ce moteur dont tu parles, c’est entièrement dû à Brian et Ysael. Ce sont eux qui créent ce bourdonnement. On ne sait jamais trop ou ça va s’arrêter. C’est pour ça que je laisse des sectionses improvisé sur un ou deux accord dans les compos. À partir d’un certain point, ce sont eux qui prennent le volant.

Sur Tss Tss, il y a un truc plus flamboyant, plus ambitieux et en même temps plus mélancolique que sur les autres disques de Chocolat. Des morceaux comme « Mèche » ou « Apocalypse », on a envie de les écouter au sommet d'une montagne, seul, ou à la rigueur en compagnie d'un vieil indien muet. Vous vouliez passer un cap justement, aller vers quelque chose de plus cinématographique, de plus imagé ?

Ysael :

Ma vie a pas mal changé ces dernières années, celle de Jimmy et Brian aussi. Je suis maintenant un père de famille sobre et passionné de course à pied ! Possible que ça ait transformé ma façon de jouer.

Jimmy :

Et puis j’ai assemblé le puzzle de l’album et terminé la plupart des textes dans une yourte en forêt ! Donc, c'est totalement raccord avec ton impression. Pour le reste, comme l'a dit Ysael, nos vies ont changé. Les histoire de bars, de dope, ça fait tout simplement moins partie de nos vies. Par contre la science, l’anthropologie, la spiritualité, le surnaturel et l’absurde, ça, c’est inépuisable. Du coup, je trouve ce disque plus ouvert et moins égocentrique.

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Vous écoutez quoi en ce moment ?

Ysael :

John Fahey, Electric Wizard, Swans, Thelonious Monk, Ariel Pink. Et je me tape la discographie de Born Bad, du coup ! Je découvre les nouveaux poulains et ré-écoute Magnetix, Cheveu et Jack of Heart qui sont des potes et à qui j’ai bien hâte de rendre une petite visite !

Jimmy :

Alice Cooper.

Welcome To My Nightmare, School's Out

et

Billion Dollar Babies

.

Et la prochaine fois que je passe à Montréal, quels groupes vous me conseillez d'aller voir ?

Ysael :

Timber Timbre, même si j'ai cru comprendre qu'il marchait pas mal chez vous déjà. Sinon Bloodshot Bill ! Ça, c'est quelqu’un qu’il faut absolument avoir vu au moins une fois dans sa vie !

Jimmy :

Corridor, également.

Pour finir, vous avez des trucs prévus pour les mois à venir ?

Jimmy :

Je travaille aussi sur notre prochain album, depuis plusieurs semaines. C’est presque prêt pour le cannage. Si on a assez de temps on va enregistrer cet été. Ensuite, il y aura pas mal de shows ici.

Ysael :

Oui, on a de nouveau beaucoup de concerts ici au Québec, vu qu'on est maintenant de bons petits gars ! Et on va venir vous rendre visite au printemps, après la sortie du disque sur Born Bad !

Jimmy :

Probablement en mai. On se tient au jus.

Définitivement.

Tss Tss

sortira le 1er février sur Born Bad Records. Vous pouvez le pré-commander ici.

Lelo Jimmy Batista est le rédacteur en chef de Noisey France. Il a laissé une paire de chaussures à Montréal et compte bien la récupérer. Il est sur Twitter - @lelojbatista