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Music

Donnez de l'amour à Mujeres

Le groupe de garage-punk le moins chiant du moment est Catalan et s'avère capable de nous parler aussi bien de ses fans Mexicains que de l'état du paysage culturel en Espagne.

Photo - Alexis Janicot On est tombés sur les Catalans de Mujeres au catering du festival Les 3 Eléphants, et comme souvent quand on réunit des européens autour d'une table, on en est vite venus à discuter politique. A moins que ce ne soit parce que ces types sont - comme le laissent penser leurs disques, véritables concentrés d'air frais dans une scène garage-punk plus moribonde que jamais - tout simplement cools, drôles et intéressants ? De l'état culturel de l'Espagne au pouvoir des marques dans la scène musicale, petits constats bien sentis entre amis. Noisey : Comment se passe cette tournée ?
Yago Alcover (guitare-chant) : Bien ! Il y a un grand changement parce qu'on a changé de batteur, donc c'est nouveau à nouveau ! On a déjà joué en Angleterre, en France, en Italie, en Hollande, en Allemagne, en Suisse… En Belgique plein de fois, car on a un label là-bas. On a aussi joué aux États-Unis, et cet été on va jouer au Costa Rica et à Mexico ! C'est la première fois que vous jouerez en Amérique du Sud, vous vous attendez à quoi ?
Yago Alcover : Franchement, c'est complètement fou, là-bas. J'y suis allé avec un autre groupe dans lequel je jouais, et c'est vraiment génial : le public est super énergique, ils sont rapidement très excités, de manière exagérée, même, démesurée, souvent. Tout est si dramatique et théâtral là-bas ! Je ne sais pas pourquoi c'est comme ça, c'est sans doute tout simplement culturel, je crois quand même qu'ils réagissent très fortement à tout ce qui leur paraît exotique, tout ce qui vient de l'extérieur. Ils sont hyper reconnaissants, genre ils te disent merci tout le temps, parfois c'est freaky !

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Martí Gallén Muñoz (guitare) : Moi, je trouve que le public est toujours plus ou moins le même, quel que soit le pays. Je m'explique : ce qu'on joue est très physique, je veux dire, c'est du rock & roll, et on essaye de faire bouger et danser les gens. Normalement, la réponse du public dépend plutôt de l'heure à laquelle tu joues, de la météo, si c'est en intérieur ou en extérieur, des autres groupes présents à l'affiche…

Et vous, dans quel contexte vous préférez jouer ?
Yago Alcover : Bah, en fait, et c'est pas de la langue de bois, tout nous va, parce que tout ce qui nous intéresse, c'est de jouer. On n'est pas là pour « percer » ou « faire carrière » comme on dit, on s'en fout complètement, on s'amuse juste. Ce n'est pas un job. On le fait pour le plaisir de jouer, le plaisir de voyager, et plus particulièrement de voyager entre potes, on ne va pas se mentir, on s'éclate, c'est ça l'idée. On ne se fait pas d'illusion, on n'en vivra jamais, on a tous des jobs à côté, on n'a pas de plan de carrière dans la musique. Tu vois cet après-midi, on a joué dans un bar devant 40 personnes, peut-être déjà bien bourrées, mais c'était parfait, on s'est amusés, on s'amuse à chaque fois. Après, bien sûr, il y a des concerts que tu apprécies plus que d'autres, par exemple quand on a joué à Austin, on était vraiment hyper excités. Y'en a qui vont là-bas pour consommer sans réfléchir, mais y'en a quand même un sacré paquet qui viennent spécifiquement pour découvrir la musique, les nouveaux groupes, et ça c'est un bon public.

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J'aime bien les festivals, parce qu'en un sens, c'est un challenge de jouer devant un quinquagénaire qui n'a jamais écouté de garage. Notre précédent batteur, les festivals, ça le saoûlait vraiment, il disait tout le temps : « Mais qu'est-ce que c'est que ce public de merde qui n'y connaît rien ? On devrait jouer ailleurs, on mérite mieux que ça, on n'a rien à faire là. » Bon, ce n'est plus notre batteur. Parce que nous tous ici, on adore jouer quand ce n'est pas gagné d'avance, et puis ça change, c'est cool quand c'est incertain et inédit pour nous aussi. Ça n'empêche pas d'avoir certains buts, genre j'adorerais jouer avec untel ou untel, ou alors dans telle salle… Mais on évite d'être prétentieux. Tu penses que la scène underground est trop élitiste ?
Yago Alcover : Ha ouais, l'underground peut être ultra-prétentieux, beaucoup plus que les artistes mainstream, en fait. On en a souvent parlé entre nous, en fait, mais ce qui nous intéresse, dans nos débats internes, c'est surtout les questions d'intégrité : où est-ce que tu places le curseur, quelles sont les limites à ne pas dépasser. Je t'avoue qu'au début, on en a dépassé certaines, oui, parce qu'on a pas mal bossé avec des marques, ce qui est toujours très délicat. A nos yeux, ce n'est pas forcément sale, mais ça pose vraiment un grand débat. Dans la scène punk, par exemple. Dans la scène garage aussi. Vous avez eu l'impression de vous être faits avoir ? Vous avez été des brand-bitches ?
Yago Alcover : Je crois qu'au début, en quelque sorte, oui, parce qu'on avait tendance à tout accepter. C'est très inconfortable comme position quand tu débutes : on n'osait pas refuser, parce qu'on avait peur que ça nous ferme des portes. Aujourd'hui, on se sent beaucoup plus libres de dire non à ce qui ne nous convient pas. Alors, oui, t'as raison, on a toujours le choix et on l'avait dès le début. Les compromis te semblent inévitables au départ.

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Martí Gallén Muñoz : Et puis quand tu commences à t'entourer un peu, et ça dépend aussi d'avec qui tu travailles, mais très souvent, on te laisse entendre qu'il y a des choses que tu ne peux pas refuser, et toi, tu ne connais rien à l'industrie de la musique, alors tu crois ce qu'on te dit. C'est un sentiment très désagréable de t'être fait avoir, quand tu commences à comprendre comment tout ça marche. Mais tes erreurs, après tu sais que tu ne les referas pas. Tu grandis.

Yago Alcover : Voilà, après, en tant que groupe, en tant que projet, tu affines un peu qui tu es, pourquoi tu es là, parce que t'as plus de connaissances, tu sais comment ça marche, et tu peux commencer à radicaliser un peu ta démarche, tes choix, t'es plus affirmé, tu sais ce que tu veux et ce que tu ne veux pas, et surtout, tu sais quels contrats signer ou pas ! T'évites de te vendre dans le mauvais sens du terme, quoi.

Pol Rodellar (basse) : Quand on a arrêté de bosser avec notre premier label, on a essayé de reprendre tout le contrôle sur notre groupe, parce que le problème avec les labels, c'est qu'ils voudraient souvent un contrôle artistique sur ce que tu fais… Mais ça nous a épuisés, à un moment, t'as quand même besoin de t'entourer un peu. Alors, tu choisis mieux.

Quelle est votre position dans la scène musicale espagnole ?
Yago Alcover : Le truc, c'est que l'industrie du disque, en Espagne, fonctionne par coups commerciaux, tous les groupes sont des kleenex. T'es hyper important le lundi, et le dimanche t'es rien du tout. Notre musique n'est pas hyper populaire en Espagne : le marché est trusté par la grosse scène pop très marketée et par la variété ultra-commerciale. En gros, un spectre qui va d'Enrique Inglesias à Delorean. Les groupes plus rock, si tu connais des groupes de Barcelone par exemple, en général, ils sont tous signés à l'étranger, pas sur des labels espagnols, parce qu'ils en connaissent les limites, alors ils travaillent globalement. Regarde le groupe Hinds par exemple, ça a marché pour elles parce qu'elles sont sur un label anglais. Jamais ça n'aurait marché en Espagne. Pourquoi la scène indépendante espagnole est-elle obligée de s'exporter pour se développer ?
Yago Alcover : C'est lié au fait que pendant 40 ans, il y a eu un vide immense en Espagne : la pop culture vient à peine de débarquer chez nous, en réalité, quand ça explosait partout dans le monde, on n'en savait rien en Espagne, il ne se passait rien. Et ce décalage est lié au fait qu'au départ, on rejetait la culture pop en Espagne parce que c'était le cheval de Troie des américains, vu d'ici. Un peu comme en Italie.

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Martí Gallén Muñoz : Le truc, surtout, c'est qu'on a vécu sous une dictature pendant quarante ans. Du coup, tout était hors d'atteinte, on n'avait pas de relation avec l'Europe et l'Occident, on était isolé en tant que culture, ça a vraiment freiné la progression de la culture pop. Elle est née dans les années 50 aux USA, mais elle n'est arrivée qu'à la fin des années 70 chez nous.

Est-ce que l'Espagne peut rattraper son retard en matière de culture pop, selon vous ?
Martí Gallén Muñoz : Non, c'est impossible. Pourquoi ? Parce que c'est pathologique et historique : par exemple, quand tous les rails de chemins de fer étaient harmonisés en Europe, ils construisaient des rails différents et incompatibles en Espagne. C'est l'illustration parfaite. Est-ce que l'Espagne est condamnée à rester en décalage ?
Martí Gallén Muñoz : Franchement, ce serait une super nouvelle pour nous tous si ça évoluait, mais c'est très mal barré.

Yago Alcover : On n'a pas de signes encourageants, rien ne nous laisse entrevoir cette évolution pour l'instant. Ce n'est même pas un problème économique actuel, même si la crise n'arrange rien, mais c'est vraiment un souci de conservatisme politique historique, au départ.

Martí Gallén Muñoz : Franchement, il ne faut pas mettre ce phénomène sur le dos de la crise économique, parce que c'est une excuse, ce n'est qu'un putain de prétexte. C'est trop facile pour les politiques de nous faire avaler des pilules à ce propos, histoire de bien maintenir l'immobilisme du pays. Et ça, tu l'observes aussi en Europe, maintenant, ce conservatisme, ça se répand. En Espagne, avant, on était bloqué entre le côté communiste, le mur de Berlin, tout ça, et le capitalisme occidental. On a du faire des concessions au socialisme. On a construit l'état-providence, parce qu'on avait le communisme pour ennemi. Aujourd'hui qu'on n'a plus aucun ennemi politique en tant que pays, on n'a plus aucun ennemi contre lequel se battre politiquement, alors l’État n'a plus aucune pression ! Il n'y a aucune urgence à construire une idéologie politique, alors pourquoi s'emmerder. La seule idéologie qui gouverne en Espagne, c'est l'argent. Et c'est comme ça dans toute l'Europe maintenant.

Marathon, le troisième album de Mujeres, est disponible chez 62 TV Records.