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Music

Les sous-cultures musicales ont-elles encore un sens ?

Peut-on vraiment se différencier par le biais de la musique quand on va la puiser à la même source que celle où s'abreuvent vos parents, vos profs ou vos pires ennemis ?

Photo - Janette Beckmann Il est aujourd'hui possible d'avoir accès à n’importe quelle musique, n’importe où, n’importe quand. En un clic, on peut devenir propriétaire de la discographie de Neil Young ou de toutes les mixtapes de rap sudiste jamais sorties. Mais cet accès illimité n’est pas sans conséquences : aujourd’hui, à de très rares exceptions près (comme le psychobilly ou la country), plus personne n’écoute exclusivement un seul style de musique. On est de moins en moins investis dans les sous-cultures (ou contre-cultures) musicales et la musique a, de fait, perdu de son impact et de son pouvoir.

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Aujourd’hui, la culture skin est devenue un hashtag et les concerts une simple opportunité pour tester son drone ou son selfie-stick. Il y a encore quelques années, on dansait, s’habillait et prenait des drogues en fonction du style de musique qu’on écoutait et on choisissait ses potes en fonction de leurs goûts. Les gamins dépensaient le peu d'argent qu'ils avaient dans les sapes et les disques et essayaient de se forger leur propre identité, se différenciant ainsi de la culture dominante.

Comme le dit la photographe Elaine Constantine, réalisatrice de Northern Soul, « la musique dictait notre vie et la représentait. » La Northern Soul est née de la vague mod des années 60, au Twisted Wheel, un club de Manchester. Après avoir ratissé le catalogue de la Motown, les DJ’s se seont mis à chercher et à jouer des morceaux beaucoup moins connus, poussant des tas de jeunes en brogues, baggys et polos Fred Perry à se livrer à de véritables chasses au trésor pour retrouver tel ou tel titre. « Être différent à l’époque, c’était un sentiment incroyable, se souvient Elaine. Pendant que certains finissaient complètement saouls, les paupières semi-fermées après une soirée à se trémousser sur les hits du Top 50 dans la boite locale, nous on était tous encore debout en train de danser ».

Une soif de différence et une position volontairement en marge que partageaient d'autres cercles : punks, goths, skinheads, suedeheads, rude boys, teddy boys, mods, rockers, ravers et, globalement, toutes les sous-cultures embrassées par la jeunesse occidentale après la Seconde Guerre Mondiale. Gavin Watson, photographe et auteur du livre Skins and Punks se souvient qu’« à l’époque, la musique était liée à tout ce qu'il se passait. À l’école on parlait des groupes qu’on aimait et après les cours, on se retrouvait pour parler de musique. Entre camarades de classe, c’était quelque chose qui nous liait. Je me rappelle qu’à 14 ans, j’ai entendu Madness sur Top of the Pops. J’ai pris une vraie claque ce jour-là. Le lendemain à l’école, tout le monde ne parlait que de ça. On se demandait tous qui étaient ces mecs. Après, j’ai découvert que c’était des skinheads et je me suis dit ‘putain ! Ils sont incroyables. Je veux leur ressembler.’ » Mais en 1979, impossible de commander ses sapes en deux clics sur Asos et de recevoir sa tenue complète le jour suivant. Pour ressembler à son groupe favori, il fallait te bouger le cul. Sérieusement. Et même avec tous ces efforts, la musique restait quelque chose de difficilement accessible. OK, il y avait des magazines et quelques émissions à la télé et à la radio, mais il n’y avait ni Soundcloud, ni YouTube. Il n’y avait pas non plus de Tumblr dédiés au postérieur de Nicki Minaj et on ne pouvait pas s’abonner à un compte Instagram pour recevoir en temps réel tous les selfies de Nick Cave. Le seul endroit où l'on pouvait glâner des bribes d’informations supplémentaires, c'était dans les recoins sombres des concerts—lieux alors difficilement accessibles pour les ados. « Grâce à la musique, tout ce qu’on faisait devenait excitant », raconte Watson.

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La génération actuelle est à des années lumières de tout ça. Et pas juste parce qu'elle doit se débrouiller avec la hausse du chômage, la baisse du pouvoir d'achat, le prix de l’immobilier et le temps qui lui bouffent les réseaux sociaux. Aujourd’hui, on baigne dans un flux d’informations toujours plus important et on a immédiatement accès à tout et n’importe quoi. Pour Micke Pickering, l’un des DJs emblématiques de l'Hacienda, à Manchester, dans les années 80 et 90, « cette notion du ‘tout, tout de suite’ développée par Internet fait qu’il est de plus en plus difficile de conserver un esprit underground. Il y a toujours des sous-cultures. La différence, c'est qu'elles ne sont plus révolutionnaires. »

Car si Internet a rendu la musique accessible à tous, en nous permettant de nous connecter avec des gens du monde entier qui partagent nos goûts, ça a aussi été un anesthésiant redoutable dans la grande course à la consommation. Selon le célèbre photographe britannique Derek Ridgers, « il y a moins de scissions au sein des différents groupes de jeunes qu’il n’y en avait au début des 80’s. Grâce à Instagram, Facebook et Twitter, on a accès à tous les nouveaux contenus dès qu’ils sortent. Si quelque chose d’intéressant se passe, des gens vont le tweeter et tout le monde sera très vite au courant. Et, tout aussi rapidement, les gens vont se mettre à le commenter et à le critiquer. La sortie d’un nouveau morceau n’aura jamais l'impact émotionnel et générationnel qu'elle pouvait avoir dans les années 60, 70, 80 et 90. »

Si le terme « culture » se réfère aux idées, aux coutumes ou aux comportements sociaux dominants, alors la contre-culture doit représenter une alternative à tout ça. Mais avec internet, la nouveauté est assimilée à la culture mainstream à une vitesse incroyable. Et est-ce qu’un artiste peut vraiment rester underground si ses vidéos sont disponibles sur YouTube ? Peut-on vraiment se différencier par le biais de la musique quand on va la puiser à la même source (Spotify, iTunes) que celle où s'abreuvent vos parents, vos profs ou vos pires ennemis ? Aujourd’hui, si on jette un rapide coup d’œil à des tendances comme le Health Goth ou les Seapunks, on s’aperçoit qu’ils ne sont rien d’autre que le reflet du narcissisme qui caractérise la génération Y. Sérieux, regardez-vous réellement 5 minutes, pas à travers votre téléphone. Les normcore (tendance la plus recherchée dans Google en 2014) peuvent être considérés comme une forme de rébellion. Ils s’habillent de manière ultra conformiste et développent une mode insipide, ennuyeuse à l’image de la société. Mais en quoi le normcore est-il différent de ce contre quoi il est censé réagir ? Aucune des contre-cultures vestimentaires d’aujourd’hui n’est affiliée à un style de musique spécifique : elles renvoient juste à une image.

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