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Music

Stephen Morris n'a pas envie qu'on se souvienne de Joy Division comme d'une bande de types morbides

« Ma théorie est simple : si les gens sont à ce point obsédés par ce groupe, c'est parce qu'on n'a jamais eu l'opportunité d'enregistrer un troisième album pourri. »

Vous avez peut-être, vous aussi, connu durant votre scolarité, un ou deux mecs vous soutenant mordicus que Ian Curtis s'est suicidé dans une église, et sur un bloc de glace, histoire de bien sentir la mort arriver. Joy Division fait partie de ces groupes sur lesquels les mythes et légendes perdurent, malgré les années et les tonnes de films et documentaires sortis sur le sujet. L'Histoire du groupe, au sein de laquelle la ville de Manchester et le label Factory Records jouent un rôle central, continue à inspirer chercheurs, nerds, théoriciens divers et même quelques pilleurs de tombes.

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Réalisé par Grant Gee et écrit par Jon Savage, le documentaire Joy Division fait partie des documents les plus complets et fouillés disponibles sur l'Histoire du groupe. A des lieues de l'exubérant 24 Hour Party People et du génial mais terriblement austère Control, Joy Division rassemble une somme considérable de témoignages directs, sous la forme d'images d'archives et d'interviews. Pour les fans, c'est l'occasion de recoller les morceaux d'une histoire qu'ils cherchent depuis des années à comprendre. Pour les intervenants, le groupe, leurs proches, leurs familles, c'est un peu plus compliqué. Au long des entretiens, ils réalisent parfois que leurs souvenirs leur ont échappé et ont fini par se dissoudre dans la légende.

C'est le cas de Stephen Morris, batteur de Joy Division et New Order, qui, loin de l'image sombre et dépressive que beaucoup accolent au groupe, se souvient de Joy Division comme d'une bande de braves types hilares. Mais lorsque arrivent les questions plus complexes, plus profondes, Morris se perd, s'emmêle les pinceaux—dans son esprit, la réalité et la fiction se mélangent et il devient de plus en plus difficile de les séparer. On a profité de la diffusion de Joy Division sur BBC4 pour passer un moment avec lui et parler de tout ça.

Noisey : Selon toi, pourquoi est-ce que les gens continuent à être fascinés par l'Histoire de Joy Division ?
Stephen Morris : Parce qu'elle est incomplète. Ma théorie est simple : si les gens sont à ce point obsédés par ce groupe, c'est parce qu'on n'a jamais eu l'opportunité d'enregistrer un troisième album pourri. L'histoire s'est arrêtée d'un coup, brutalement, sans prévenir, alors que le groupe était en pleine ascension. Si on nous avait laissé le temps de redescendre et d'enregistrer un troisième album, on aurait splitté proprement, Ian serait devenu acteur et les choses seraient complètement différentes. Mais là, les gens sont obligés de faire travailler leur imagination. Il y a pas mal d'espaces vides à remplir. Et c'est pour ça que Joy Division les intéresse toujours.

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Ça fait quoi de voir sa vie transformée en mythe, dans des films, des documentaires ?
Eh bien, déjà, c'est incroyablement répétitif ! Et j'ai l'impression qu'à chaque fois que j'entends quelqu'un raconter tout ça, ou que je donne une interview à ce sujet, les événements m'échappent un peu plus. Ça m'est arrivé d'avoir à répondre pendant plusieurs heures à des questions sur Joy Division et de réaliser que, dans mes souvenirs, l'ordre des évènements est totalement différent de l'ordre avéré.

C'est marrant comment, avec le temps, on acquiert cette capacité à transformer les souvenirs en histoires.
Complètement ! C'est assez déstabilisant. Tu es là à dire 'OK, tout ça s'est passé ici, dans cet immeuble' et puis on t'apprend que l'immeuble n'a été construit qu'en 1980 et qu'il est donc impossible que les choses se soient déroulées là.

Cela dit, c'est mieux quand vous êtes directement impliqués, non ? Dans Joy Division, par exemple, c'est vous qui racontez votre propre histoire, il n'y a pas de point de vue extérieur.
Là, l'avantage, c'est qu'on connaissait très bien Jon Savage et qu'il était là à l'époque, avec nous, donc ça a donné un truc qui tenait à peu près debout. Rien à voir avec Control et 24 Hour Party People. Dans Joy Division, on parle de ce qu'il s'est vraiment passé - ou tout du moins, de ce que l'on croit qu'il s'est passé, de tout ce dont on se souvient. Je ne l'ai pas revu depuis sa sortie en 2007, mais je crois que si je le regardais aujourd'hui, ça me rendrait assez triste. C'est une des dernières apparitions de Tony Wilson, Annik Honore [la petite amie de Ian Curtis] est morte peut de temps après aussi. C'est bien qu'ils aient pu participer à ce documentaire là.

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Manchester est un des personnages principaux de l'Histoire.
On ne le réalisait pas sur le moment, mais quoi que tu fasses, ton environnement, le lieu où tu vis, déteint sur ta musique. Et dans notre cas, c'était Manchester et tous ces foutus clubs. Quand je regardais par la fenêtre de notre local de répétition, je voyais la crasse d'un côté et la pluie de l'autre. Nous étions entourés par des immeubles abandonnés et des bâtiments délabrés, qui sont, pour la plupart, devenus de gigantesques centres commerciaux ou de somptueux restaurants. Mais à l'époque, il n'y avait rien, c'était la désolation totale. Avec Factory Records, Tony Wilson et Rob Gretton ont rendu Manchester plus vivable—ils nous ont permis de faire ce qu'on voulait.

Tu gardes de bons souvenirs de vos tout débuts, quand personne ne vous connaissait ?
Oui. Notre local de répétition était sordide, on se les gelait dedans. On était en plein dans les pires clichés du Nord ! Mais dès qu'on se mettait à jouer, c'était génial. On était complètement absorbés. Quand on a commencé, on n'avait même pas de magnétophone pour enregistrer. Notre musique n'existait que dans nos têtes et lorsqu'on se réunissait dans cette pièce horrible. Elle n'avait pas de vie extérieure.

Du coup, sans enregistrement, vous deviez souvent vous prendre la tête sur tel ou tel changement dans les morceaux ?
Oh oui, tout le temps. On se reposait pas mal sur Ian, parce que c'était le seul qui écrivait ses parties. Je lisais son carnet de paroles l'autre jour et il y a des passages qui m'ont fait hurler de rire. On avait fait des annotations dessus, du genre « changement d'accord », juste à côté du moment en question dans les paroles. Ça m'a fait rire, parce qu'à l'époque, aucun de nous ne savait ce qu'était un accord. On savait juste que c'était un mot du vocabulaire musical. On n'avait pas la moindre idée de ce qu'on faisait.

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C'est ce que disent pas mal des gens interviewés dans le documentaire !
Parce que c'est vrai. Totalement vrai. C'est marrant, parce qu'on est en train de represser pas mal de nos disques en vinyle en ce moment, et je me souviens que pendant les enregistrements, on n'arrêtait pas de dire : « Notre musique n'est pas sordide ! Notre musique n'est pas déprimante ! » Et quand les réécoute aujourd'hui, je me dis : « Mais comment on n'a pas pu croire une seconde que ce n'était ni sordide ni déprimant ? » Les gens n'arrêtaient pas de nous dire qu'on faisait une musique très sombre et on répondait : « Mais pas du tout, regardez-nous, on n'arrête pas de déconner ». Et c'était vrai. On était complètement à l'opposé de la musique qu'on enregistrait. Et on ne captait pas ce décalage du tout. On était complètement à la rue.

C'est difficile pour toi de revenir sur certains passages de l'histoire ? Je pense particulièrement aux différents décès.
Là encore, c'est assez drôle. Les moments les plus difficiles sont souvent les choses sans importance, celles sur lesquelles tu penses que tu n'auras aucun mal à parler. Les faits restent les faits. Par contre, se souvenir d'un détail précis, de ce qu'on faisait tel ou tel jour, ça peut devenir bizarre. A force de l'entendre racontée par des tas de gens différents, je me sens aujourd'hui presque étranger à toute cette histoire. Du coup, quand on me demande de retrouver ma place dedans, je suis parfois un peu perdu. Voire complètement.

Tu penses quoi de ces gens qui veulent racheter la maison de Ian Curtis à Macclesfield pour en faire un musée ?
Je crois que Macclesfield devrait s'occuper de cette maison. Il y a des tonnes et des tonnes de gens qui viennent ici à cause de cette baraque et de Joy Division. Je trouverais ça glauque de transformer cette maison en attraction touristique. Mais ce serait quand même bien de s'en occuper parce que Macclesfield en a besoin ! Cette maison a quelque chose de morbide, du coup je n'encourage personne a aller la visiter en l'état, parce que Ian était tout sauf morbide. Aucun d'entre nous ne l'était. Ça peut sembler bizarre quand tu écoutes notre musique, mais on n'était pas des types morbides. Loin de là.

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