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Music

Beyoncé l'ouvre enfin sur l'identité Noire avec son nouveau clip « Formation »

L’avait-on déjà vu aussi remontée ? Aussi vivante ?

L’année 2016 débutait sous le signe du désastre pour Beyoncé : en featuring avec Coldplay sur le morceau « Hymn For The Weekend », elle nous livrait le clip le plus problématique, embarrasant (vraiment) et chiant de ce mois de janvier, sans trop forcer. Mais aujourd'hui, tout est pardonné.

Filoute et pleine de surprises, Beyoncé relève désormais le pari d’être la nouvelle Chuck D. Alors qu’elle s’est toujours faite discrète sur ses engagements politiques, elle a finalement révélé son soutien sans faille au mouvement Black Lives Matter et profite du Black History Month pour déchaîner les passions avec son nouveau clip, « Formation ».

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Produit par Mike Will Made It, co-écrit par Swae Lee de Rae Sremmurd, on pouvait s’attendre à un énième titre crossover trap&B mais c’est par-delà la basse et l’égotrip que le titre trouve un sens. Il s’agit ni plus ni moins que du droit de réponse de Beyoncé, celle qu’on a toujours accusé de se blanchir la peau, d’être lisse, de ne jamais prendre parti, d’appartenir à une société secrète, d’avoir une fille aux cheveux crépus et un mariage aussi curieux que secret.

« Formation » est une plongée dans l’interaction entre pouvoir et impuissance avec pour décor la Nouvelle-Orléans, un lieu de convergence pour l’identité noire à travers son héritage, son audace et ses blessures.

Dans ce clip, Beyoncé revendique son idée de la beauté, loin des standards euro-centrés : « I like my baby hair with afros » / « I like my negro nose with Jackson 5 nostrils ». Mais plus que ça, elle revisite une généalogie faite de douleur et de fierté : « My daddy Alabama, Momma Louisiana / You mix that negro with that Creole make a Texas bamma ». Un vieux Sud empreint de contradiction, oscillant sans cesse entre pulsion de vie et de mort. D’un côté, les Afros, la danse, le mouvement, Mardi Gras, la bonne cuisine et la musique qui suinte de tous les murs. De l’autre, la mort qui rôde… Beyoncé toute de noire vêtue sous un porche, devant un cortège funèbre, baissant la tête en signe de deuil, majeurs en l’air en signe de protestation. L’avait-on déjà vu aussi remontée ? Aussi vivante ?

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Dès le début de la chanson, c’est « la voix de la Nouvelle-Orléans » qui résonne, alias Messy Mya, comédien queer s’est fait connaître sur les réseaux sociaux à travers ses chroniques de rue à la fois acides et amusantes. Assassiné en 2010, il revient d’entre les morts et déclare triomphalement : « Bitch Im back by popular demand ». Cette voix d’outre-tombe hante le morceau, apportant à Beyoncé la légitimité d’un retour aux sources avant que Messy pose la fatidique question : « What happened in New Orleans ? »

On a envie de répondre à la fois le traumatisme et la résistance créative. La Nouvelle-Orléans, surnommée à la fois « capitale du meurtre » et reine de l’hospitalité met l’Amérique face à ses contradictions. Le clip réalisé par Melina Matsoukas s’ouvre sur Beyoncé allongée sur une voiture de police à moitié immergée dans l’eau, au milieu d'un décor post-apocalyptique. Une image qui rappelle évidemment les séquelles de l’ouragan Katrina, catastrophe qui a révélé aux yeux du monde entier la pauvreté criante de la population noire de la ville, victime de l’abandon à peine voilé des pouvoirs publics et d’une ségrégation en place depuis l’esclavage.

C

est bien un sample de

Kimberly Rivers Roberts

qu

on entend à la fin du titre :

«

Look at that water boy! Oh Lord!

»

Impossible également de passer à côté des références à la spiritualité noire américaine, une spiritualité syncrétique qui s’exerce hors du champ de la Chrétienté, entre l’Hoodoo et la Santeria. En effet, comme le dit très justement Beyoncé : « Yall haters corny with that illuminati mess » (Les rageux, vous faites pitié avec votre délire illuminati) Qui a autant de temps à gaspiller pour croire que Beyoncé, qui dispose de tout cet héritage mi-chrétien mi-vaudou, tremperait dans ces histoires de société secrète et de contrôle des masses ?

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Sans doute, le moment le moins subliminal de la vidéo mais le plus touchant aussi, ce petit garçon affublé d’un sweatshirt noir (en référence à Trayvon Martin) exécute insouciant sa chorégraphie devant une horde de policiers en ligne qui finissent par se rendre, éblouis par tant de talent. La caméra filme un mur où il est inscrit « Stop Shooting Us », tout est on ne peut plus clair.

Nettrice Haskins sur son site Musings of a Renegade Futurist offre d’ailleurs une perspective intéressante sur ce passage : Beyoncé se placerait au centre de la cosmologie noire, entre les vivants et les morts. Le petit garçon qui représente Trayvon Martin serait Ghede Nibo, le saint-patron de ceux qui sont morts prématurément, dans la violence, celui qui donne une voix aux morts qui ont été salis. Au delà du symbolisme, au regard de l’impunité de la brutalité policière aux Etats-Unis, cette vision utopique sert l’espoir d’une société juste.

« Formation » s’impose avant tout comme une ôde à l’identité noire radicale, celle qui s’affranchit de la respectabilité, celle qui assume ce qui est perçu comme déviant par les autres. La chanteuse rend hommage à cette vision du monde dans tout ce qu’elle a de marginale lorsqu’elle invite Big Freedia, leader de la scène queer et bounce de la Nouvelle Orléans : « I did not come to play with you hoes ».

De la sauce piquante, un salon de tissage, des invitations à la luxure, c’est une célébration de l’intrication du lifestyle noir, sudiste, ghetto, tant décrié, moqué et pourtant tellement dupliqué. Toute en nuances, Beyoncé prend en compte la richesse et la complexité de cette identité mais réclame aussi l’organisation et l’ordre : « Ladies, get in formation ». Elle commande de se mettre en ligne et se discipliner, l’important est de « tuer », d’être cohérente, constante, travailleuse, irréprochable dans la liberté qu’on fait nôtre.

« Formation » nous confirme que Beyoncé a suffisamment de distance et de pouvoir pour s’affranchir de l’opinion publique de l’Amérique Blanche. Elle se tient seule, tel un monolithe resplendissant, prête à battre la mesure sans que personne ne bronche mais aussi, comme la dernière scène du clip le montre, prête à se sacrifier (peut-être) au nom d’une cause plus grande. Entre omnipotence et pertinence, elle tient ici une position rarement égalée dans la musique pop contemporaine mais surtout, elle reste lucide quant aux moyens d’atteindre une telle émancipation : « Always stay gracious, best revenge is your paper ». Christelle reste grâcieuse sur Twitter.