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Si la oi! française cartonne à l'étranger, c'est un peu grâce à Une Vie Pour Rien ?

Le boss du label parigo-nantais est revenu avec nous sur sa période fanzine et sur l'évolution de la scène skin des 20 dernières années.

Ce nom vous dit quelque chose ? Normal. Ceux qui ont écouté en boucle la réédition (de 2003) du second album de Camera Silens, Rien qu'en traînant (oui, celui avec le saxo) savent qu'un des meilleurs titres du disque s'intitule « Une vie pour rien », sans point d'interrogation. Cet album initialement sorti en 87 tranchait carrément avec la oi! brute de leurs débuts pour y ajouter un swing étrange, entre spleen et nostalgie, entre les rues de Bordeaux et la Guerre d'Espagne.

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C'est un peu ce qu'on ressentait en lisant les premiers numéros du fanzine Une Vie Pour Rien ? rédigé par Benjamin à la fin des années 90 et au début des années 2000. On y trouvait à l'intérieur des interviews monumentales de légendes oi! et punk, des 4 Skins à La Souris Déglinguée en passant par les Violators, et plein d'autres trucs. C'était le zine le plus pro d'alors, avec sa couv sur papier glacé, même s'il mettait souvent des mois à sortir ! Après le 7ème numéro, Benjamin est passé à l'étape suivante, voyant que la scène oi! française avait à nouveau de la gueule après le vide du milieu 90's. Il a monté son label, UVPR? Vinyles, qui depuis 2006 sort ce que la France zéra produit de meilleur (Janitors, Gonna Get Yours, Bombardiers, Rixe, etc). C'était le client idéal pour avoir un aperçu global de la oi! des 15 dernières années en France, on lui a donc demandé s'il arrivait à réécouter ses anciens groupes, si le genre était en voie de récupération (cf. Beyoncé) et ce que devenaient les célèbres Survet-Skins.

Noisey : Salut Benj, quand et comment as-tu découvert le punk rock, et plus tard la oi! ? Et qu’est-ce qui t’a plu dans la oi! que tu ne trouvais pas ailleurs ?
Benjamin : Le punk rock, je l'ai découvert comme pas mal de monde de ma génération (j'ai 37 ans) par la vague alterno, les Bérus avaient déjà arrêté quand j'avais 14 ans mais bon, c'était encore quelque chose de marquant (peut-être encore maintenant d'ailleurs, quand tu as 14 ans). J'ai découvert le punk, les concerts, les squats, les festivals. Et puis la oi!, les skins rapidement après, le côté ancré dans le monde réel m'a plus touché à ce moment-là. Je vois un peu les skins comme les derniers rebelles du rock'n'roll, mais pas en dehors de la scène punk-rock, plus comme une partie intégrante. Parle-moi de ton fanzine, UVPR?, qui était à l’époque le truc le plus chiadé qu’on trouvait en distro.
J'ai commencé ce zine car je voulais m'impliquer dans la scène, j'avais du temps et pas d'argent. J'ai arrêté pour monter le label du même nom, car j'avais plus trop de temps et un peu plus d'argent !

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En combien d’étapes ça s’est fait ?
En 2004, je faisait le zine depuis 7 ans quand j'ai reçu la première démo des Janitors dans ma boîte postale. Je ne connaissais aucun membre de ce groupe, et j'ai pris une vraie claque. C'était rebelle, enragé, mortel musicalement, tout ce que j'aimais. Et je me suis dis qu'il n'y avait pas en France de label pour sortir ce genre de groupe, la question des labels étrangers ne se posant pas : à l'époque aucun d'eux ne produsait de groupes oi! français.

Depuis ça a pas mal évolué car il y a beaucoup plus de labels et donc de possibilités de sortir des disques pour des groupe oi! d'ici, les labels étrangers sautent sur pas mal de groupes, entre autre français, dès qu'ils sortent une démo, pour leur proposer un deal. Dans beaucoup de pays du monde, y compris récemment aux Etat-Unis (où je n'ai pas réussi à vendre le moindre disque pendant presque 10 ans), on écoute désormais de la oi! francaise.

Tu as toi-même joué dans des groupes. Tu en gardes de bons souvenirs ? T’arrives à te réécouter ?
J'ai beaucoup de mal à réécouter Lutèce (jeu de mot !) Borgia. J'ai du mal à me faire une opinion objective et je ne sais pas trop quoi penser de l'album qu'on a sorti. Ca n'enlève rien au fait qu'on s'est bien marré pendant 10 ans de concerts un peu partout en France et en Europe et qu'on en a bien profité. J'ai joué aussi dans un autre groupe, Moonlight Wankers, que je réécoute avec plaisir. On a sorti un 45 tours, la 2ème prod UVPR Vinyles, en 2004.

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Est-ce que tu te déplaces autant en concert qu’avant à travers l’Europe ?
Non, beaucoup moins depuis quelques années, déjà j'habite à Nantes depuis un moment et c'est moins central que Paris. Et puis j'ai arrêté de boire de l'alcool il y a 3 ans, et du coup, les festivals en Allemagne (où se déroulent la plupart des gros évènements oi!) avec les 3/4 du public bourré/débile, c'est pas possible à jeun, tu te rends compte que tu passes 3 jours sans avoir une seule discussion intéressante et tu as un peu l'impression de perdre ton temps du coup. Avec l'âge, on devient aussi plus difficile/exigeant je pense, sur ce qu'on attend de ses rencontres…

Mais on essaie quand même de bouger régulièrement avec les groupes locaux (The Headliners, The Janitors) qui sont de très bons amis, on est sûr de ne pas être déçus. Et puis ils jouent régulièrement au pays basque espagnol où on adore la scène, les lieux et le public, j'ai l'impression que tout est beaucoup moins superficiel là-bas, de ce qu'on en a vu en tous cas.

Tu trouves que la scène actuelle est plus riche que celle dans laquelle tu baignais quand tu as découvert le genre ?
Oui, quand j'ai découvert la oi! c'était vraiment la période creuse, quand on se faisait des sessions 45 tours de oi! à la fin des années 90, c'était plus pour rigoler en fin de soirée… C'était une période un peu pourrie le milieu des années 90 à Paris, tu étais pris entre les nazis qui avaient énormément de poids sur la scène skin française et les chasseurs qui tapaient tout ce qui ressemblait à un rasé. Et même musicalement, si j'ai beaucoup aimé et suivi les Partisans et Civil Aggression, je dirais que ça n'a pas aussi bien vieilli que d'autres groupes. Aujourd'hui, il y a quand même un sacré paquet de groupes français de super qualité dans notre scène.

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Ca t’arrive encore d’employer le terme « streetpunk » ? Ou c’est un terme qui est mort avec le magazine Worst haha…
Oui, ça m'arrive, mais pas dans le sens de Worst, plutôt pour des groupes de oi! qui ont un son punk américain ou alors pour des punks qui font de la oi!, genre Old Firm Casuals le groupe oi! de Lars Frederiksen ou alors Tower Blocks en Allemagne.

J’ai l’impression que la oi! a carrément le vent en poupe depuis quelques temps, plein de groupes américains (je pense à Vanity par exemple) qui faisaient du hardcore se sont mis à en jouer ces dernières années, c’est le cas aussi en France. Comment t’expliques ça ?
Ben oui, les hardcoreux se mettent à la oi!, c'est la dernière tendance, c'est cool pour nous, ça renouvelle le public, le style, les groupes… Après, je ne sais pas si ça va durer, j'ai l'impression que dans la scène hardcore tout est plus éphémère que chez nous.

Est-ce que cette musique, à la base la moins sujette à être récupérée, est en train de devenir à la mode ? Tu trouves ça cool que le style gagne en visibilité et sorte de son « ghetto » ? Est-ce qu’on peut parler du clip de Beyoncé tourné à Paris avec les figurants skin ?
Effectivement je me suis toujours dit que notre grande force à nous les skins c'était l'impossibilié d'être récupérés par la société du spectacle comme l'ont pu l'être toutes les autres contre-cultures. On ne fera jamais partie du spectacle de la contestation.

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Voir une super-star de la pop prendre des skins dans son clip pour faire autre chose qu'un rôle de méchant est surprenant, c'est vrai, mais bon, ce n'est au final que de la figuration dans un clip mettant l'accent sur le style vestimentaire anglais. On est loin d'une signature d'un groupe skin sur une major…

Du coup, si effet de mode il y a, c'est uniquement au niveau de la scène punk et hardcore je pense, où effectivement il y a beaucoup plus de gens qui s'y intéressent qu'il y a quelques années. Et je trouve ça cool et mérité pour des groupes français qui ont participé depuis pas mal de temps à construire cette nouvelle scène qui cartonne un peu dans notre milieu.

À propos, ils deviennent quoi les Survet-Skins ?! À quand un projet français de oi!-rap ?
Les membres de Survet-Skins se concentrent plus sur leur groupe ska/reggae, 8°6 Crew, en ce moment, mais ils vont sûrement revenir quand ils seront un peu moins pris par le projet de nouvel album. On les a fait jouer il y a un an et demi à Nantes et c'était génial comme d'hab, leurs prestations sont rares et attendues. Il n'y a pas encore eu de projet oi!-rap abouti, mais la plupart des skins de la jeune génération que je connais écoutent pas mal de rap, comme la plupart de mes potes d'ailleurs, on est curieux de toutes les musiques de la rue.

Les groupes de oi! français actuels donnent carrément dans la surenchère de blases : Rixe, Traître, Coupe-Gorge, Outreau… T'en penses quoi toi ?
Ben un nom de groupe, faut que ça pète et que ça se retienne, et ceux que tu viens de citer sont toujours moins provoc que Viol !

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À propos, on retrouve ces groupes sur ta dernière sortie, le deuxième volume de la compilation La Force dans la oi!. Est-ce que le public suit ? Tu écoules combien de copies de tes disques en général ? J’imagine que tu bosses à côté ?
Oui le public suit nos prods et il a spécialement suivi sur la dernière compile puisque les 700 premiers exemplaires sont partis en moins de 2 mois. On vend en général entre 800 et 1300 exemplaires des disques pour la plupart des groupes du label, et 3-4000 pour les gros groupes, 8°6 Crew et Lion's Law. C'est beaucoup pour un petit label DIY comme le nôtre, spécialement dans notre style où les pressages vont rarement au-delà de 500 exemplaires en général, mais c'est également peu si on regarde les pressages de gros labels indépendants dans d'autres styles.

Je bosse à côté bien sûr, les marges sont très petites sur les pressages vinyle (les 45T se font quasiment à perte) et du coup, on gagne peu d'argent sur l'activité label. Certains peuvent se professionnaliser en accentuant l'activité distribution/mailorder mais ça ne nous intéresse pas. On préfère rester un label DIY non professionnel, ça nous permet de rester totalement libres, de sortir ce qu'on veut quand on veut, de ne rien sortir si on ne veut pas, de proposer de super conditions aux groupes et aussi de faire tout ça pour le plaisir plutôt que par obligation, car je pense qu'à un moment, quand c'est ton gagne-pain, ça devient forcément une obligation aussi. Ceci dit on a la chance d'être très équilibrés financièrement et de ne plus avoir depuis plusieurs années à sortir de l'argent perso à chaque nouvelle prod.

Tu te vois continuer encore longtemps ?
Ben je me pose pas trop la question. Effectivement, certaines personnes se rangent et mènent une vie plus « normale » après un passage dans la scène rock'n'roll. Mais au niveau de mes amis et des gens qui m'entourent, ce n'est pas ce que je vois, on a passé depuis longtemps la révolte adolescente, ça fait partie de notre vie maintenant, c'est tout. La révolte adolescente de Rod Glacial ressurgit parfois sur Twitter.