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Usé est la grande tempête de feu qui va ravager 2016

Il a 125 groupes, n'a jamais joué à Coachella, s'est présenté aux élections municipales de 2014 et s'apprête à sortir un des disques les plus passionnants de l'année. Écoute intégrale et interview.

Ça se passe toujours un peu de la même manière, le mec monte sur scène - pour peu qu'il y en ait une - avec son allure de chacal déguingandé, un chandail ou deux sur le dos et, sans préavis, se met à frapper sur un fatras de cymbales empilées sur des guitares en morceaux et calées entre deux synthés hors d'âge. Au bout de quelques minutes, le type est torse nu et tout disparait, réduit en miettes, atomisé,

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le spectacle, la musique,

les gens autour de vous, la scène

- pour peu qu'il y en ait une - on est dans le corps à corps, la lutte de l'Homme contre la machine, le Nouvel Âge du Métal, le grand fracas terminal.

Ce qui importe alors, ce n'est plus ce que ce mec fait, mais la conviction qu'il y met. Et il y met rien de moins sa vie entière, bordéliquement agencée en un grand tas de motifs hypnogènes, de paroles primitives, d'aboiements, de sirènes d'anti-vol, de sorties de route et de nuits infernales. Libre ensuite à chacun de titrer la ficelle qui l'arrangera dans cette énorme panique - techno, punk, indus, BO pour polar urbain de l'an 3000 : comme si ça ne lui suffisait pas d'être à ce point âpre, féroce, et vitale, la musique d'Usé vous donne aussi le choix - luxe inouï à l'époque où on vous pré-mâche le boulot au point de vous envoyer des articles et opinions livrés clé-en-main, prêts à être publiés (nouvelle trouvaille des attaché-e-s de presse, dont on parlera plus en détail un autre jour).

À vrai dire, la musique de Nicolas Belvalette (l'homme derrière Usé, que l'on peut également croiser chez Headwar, Les Morts Vont Bien, Sultan Solitude, Roberto Succo et 125 autres projets simultanés) aurait très bien pu se contenter du live, contexte où elle semble atteindre son plein potentiel. Face à une telle puissance de feu que pourrait en effet apporter un disque, sinon une inéluctable déception ? Le fait est que c'est tout l'inverse : Chien d'la casse, le premier album d'Usé qui sort le 24 avril sur Born Bad est un instantané parfait de ce qu'a été, de ce qu'est et de ce que sera sans doute encore Usé, formidable machine à broyer le temps et la connerie et d'ores et déjà un des disques les plus passionnants de cette année. On est allés passer un moment avec Nicolas pour parler de son parcours, de sa musique, de ce qu'il est allé foutre dans les élections municipales de 2014, et de Chien d'la casse, qu'on vous présente sans plus attendre en intégralité absolue ci-dessous.

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Noisey : Headwar, Les Morts Vont Bien, Roberto Succo, Usé… Tu as toujours eu ce truc de jouer dans tout un tas de projets en simultané ?

Nicolas Belvalette :

Oui, ça a un peu toujours été comme ça. C’est parti d’une bande de potes avec qui j’ai formé plusieurs groupes en même temps, au point de se retrouver avec des projets dans tous les sens. J’ai toujours eu ce truc de former plein de groupes, toujours avec la même bande.

On le ressent un peu de l’extérieur. Headwar ressemble plus à une bande ou une famille qu’à un groupe traditionnel.

Oui, d’autant plus qu’il y a eu pas mal de changements. Au départ, il n’y avait que Karine et moi, puis on a été rejoints par Jason, un ami d’enfance, et un batteur. Le batteur est parti assez rapidement et Jason a dû nous quitter aussi, du coup on a complètement renouvelé le line-up. Là c’est de nouveau stable. Quoique… On a Claire qui est arrivée dernièrement. Bon, on va dire que ça change tous les 4 ans, en gros [

Rires

].

Quand tu as lancé Usé, tu avais une idée bien précise en tête ?

Oui, dès le départ, j’avais cette idée de truc très axé sur le rythme, avec une idée assez précise de l’installation scénique. Mais ça m’a pris pas mal de temps pour vraiment le concrétiser. Je dirais qu’il m’a fallu 5 ans pour tout mettre en place.

Sur ce projet, une des particularités, c’est que les gens y entendent un peu ce qu’ils veulent, en fonction de leur sensibilité ou de leur parcours. Certains aiment le côté dansant, presque techno, d’autres l’aspect industriel. Moi par exemple, je trouve qu’il y a un côté très musique de film dans ce que tu fais. Chiens d’la casse, ça pourrait être la BO d’un polar urbain, une sorte de version actuelle des poliziesco italiens des années 70.

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Oui, c’est un truc que je remarque vraiment avec Usé, beaucoup de gens bloquent sur l’aspect rythmique, y voient un truc très techno. D’autres vont y voir un truc plus

love

et intimiste et être davantage marqués par les paroles. On peut voir ça comme du punk, de la musique industrielle, les contours sont assez flous et ça me plaît assez.

Tu te laisses porter par le truc ou tu as une vision bien précise de ce que tu fais ?

Ah non, je sais exactement ce que je fais, je sais comment je fonctionne. J’ai une vision d’ensemble. Sur cet album par exemple, j’avais une idée précise de ce que je voulais. J’aime beaucoup le côté hypnotique, répétitif, je voulais un disque qui donne l’impression de ne jamais s’arrêter, qui évolue comme une boucle. L’ambiance du disque c’est primordial, c’est ce qui compte le plus pour moi. À la base, ça part de plusieurs morceaux, qui définissent les lignes directrices, mais l’ambiance du disque va vraiment se construire avec ce que je vais mettre entre les morceaux, les séquences qui vont faire le lien, ce que j’appelle les « entre-morceaux ». Tu me parlais tout à l’heure de BO de film, c’est typiquement le genre de procédé que certains compositeurs utilisent.

Ce disque, ce n’était pas forcément évident pour certaines personnes qui voyaient Usé avant tout comme avec un truc physique, qui se vit avant tout en live. Mais pour le coup, c’est vraiment réussi, l’album forme vraiment un bloc cohérent, au point qu’on a parfois l’impression de n’écouter qu’un seul long morceau. On retrouve d’ailleurs certains motifs ou boucles tout au long du disque. Et tu as carrément un titre qui s’intitule « ∞ ». Cet aspect répétitif, hypnotique, c’est un truc sur lequel tu bosses particulièrement, j’imagine.

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C’est vraiment ce que j’aime. Tu le retrouves dans quasiment tous mes projets, de Headwar à Roberto Succo. Je ne l’analyse pas vraiment, mais ça s’est imposé comme ça. J’imagine que ça vient de choses que j’ai écouté, que j’ai essayé de reproduire, tout simplement. Ou alors je suis né comme ça, dans quel cas c’est un peu flippant. [

Rires

]

Le son m’a assez surpris, c’est très mat, beaucoup moins abrasif que ce qu’on pouvait imaginer.

En fait, c'est assez particulier. J’ai tout enregistré moi même, instrus, rythmiques, voix, et j’ai demandé à

Seb Normal

[

Delacave, Feeling Of Love

] d’enregistrer les prises batterie pour avoir un son plus travaillé à ce niveau, après quoi j’ai mixé les deux enregistrements en superposant parfois l’ensemble des pistes, les miennes et celles de Seb. Je me suis retrouvé avec pas loin de 50 pistes sur certains titres…

Au final, il y a assez peu de paroles et quand il y en a, c’est davantage pour poser une ambiance, faire une cassure ou alors tu t’en sers comme d’un motif rythmique.

Je bosse avant tout sur la musique, contrairement à quelqu’un comme Nafi dans

Noir Boy George

qui met les paroles au premier plan. On est dans un registre un peu similaire, assez sombre, mais moi c’est écrit à l’arrache, ça vient se poser sur la musique. Les paroles chez moi n’ont pas de lien particulier avec le morceau sur lequel on les trouve, ce n’est pas le noeud du truc. Cela dit, dès que ça parle d’amour, je bosse un peu plus, parce que là, c’est généralement du vécu.

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La pochette c’est du vécu aussi ou tu l'as prise spécifiquement pour le disque ?

Ah non, on l’a faite exprès pour l’album. On s’est pointés un lendemain de teuf punk à 10h du matin, on y est allés avec tout le matos, l’éclairage et tout. On voulait profiter de tous les chiens réunis là. Les mecs les ont tous rassemblés devant le van et ils étaient tous hors champ, à leur gueuler : « Pas bouger ! Pas bouger ! » [

Rires

] C’était assez cool comme séance.

Tu n'es pas seulement musicient, tu gères également une salle à Amiens.
C’est une salle associative, au fonctionnement très simple. Le lieu est géré par 10-15 personnes au total. On n’a pas de subventions, on gère tout de A à Z, on paye le loyer, et on organise des concerts, mais ça reste ouvert à d’autres choses, du théatre, etc. Cela dit, les concerts restent vraiment l'acivité principale, on en fait 3 par semaine en moyenne. Et ça se passe bien avec les autres salles d'Amiens. On a eu un souci de fermeture il y a quelques temps et tout le monde nous a soutenu, des salles plus importantes comme la Lune des Pirates se sont montrées très solidaires. Après, on est un peu excentrés, c'est donc un peu particulier. On attire un public plus averti, on va dire. On n’a pas vraiment de badauds même si heureusement de nombreux curieux font le déplacement à chaque fois et c’est cool. C’est très différent de ce que pouvait être une salle comme la Miroiterie à Paris, qui se trouvait en centre-ville, qui était hyper accessible, par exemple. J'ai organisé des concerts durant les années 90 dans des endroits DIY ou associatifs et c'était un milieu dans lequel le réseau, l'entraide entre organisateurs et groupes était primordiale. Sans contacts, tu pouvais vraiment galérer. Aujourd'hui, tu penses que les choses sont plus simples ?
Je ne sais pas. Des organisateurs de concerts, t’en as toujours en tout cas. Le circuit se renouvelle, si tu veux. Les gens se passent les contacts. La différence, c'est que les jeunes, les nouveaux, ceux qui arrivent dans le truc, ils savent tout de suite où et comment te trouver, ils ont tous les outils pour ça. C’est Seb Normal qui me disait : « Tu te rends compte, d’ici peu tu auras des gens nés après 2000 qui vont nous faire jouer » [Rires]. Ça arrive déjà, à vrai dire. Mais c’est vrai qu’avant les choses étaient nettement plus compliquées, il fallait un moment avant de se faire des contacts, un réseau. Après il y a une autre difficulté, c'est qu’il y a moins de squats et de lieux alternatifs qu’avant, donc la possibilité de jouer s’est réduite pour certains groupes. Après, il existe quelques salles associatives, tu en trouves à Nantes, Strasbourg. Et il y a la nôtre à Amiens, donc. Même si personne ne connait Amiens. Ça n’existe pour ainsi dire pas comme ville [Rires]. L'an dernier, tu t'es présenté aux élections municipales d'Amiens, justement, à la tête du Parti Sans Cible. Ça a pris des proportions assez dingues.
À Amiens, je m’occupe des gens qui m’entourent. Ce qu'il se passe en ville c’est pas mon truc, je suis déjà suffisamment occupé comme ça. On a surtout fait ça parce que rien ne nous en empêchait. Ce que je retiens de cette expérience ? Que certains de mes concurrents n’ont même pas daigné me payer l’apéro ! [Rires] Moi j’y suis allé. Je suis allé au QG de l’UMP après les résultats en mode « Bon j’ai perdu, mais je vais quand même offrir le champagne ». Ils t’ont accueilli comment ?
Il y en a qui flippaient, d’autres qui étaient impressionnés, et d’autres qui voulaient me virer. Ça te donne un peu une idée de l’ambiance [Rires]. Hormis Chiens d'la casse, tu as d'autres sorties qui arrivent avec tes autres projets ?
Ouais, cette année on devrait avoir un album des Morts Vont Bien. Un disque d’Headwar également, Seb Normal est d'ailleurs en train de le mixer. Et il y a également Âge Tendre, c’est un trio rock 'n' roll, yé-yé avec un son très 50/60, on devrait sortir un truc dans l’année là aussi. Chien d'la casse sortira le 24 avril sur Born Bad. Vous pouvez le pré-commander ici.