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Music

Bill Drummond a prouvé qu’il était le type le plus sain d’esprit du music-business en le quittant

Avec son dernier film qu'il présentera en mars à Paris, l'ex-KLF prouve à nouveau qu'il est le seul type sur qui on peut compter dans ce milieu infernal.

L’envie de rencontrer un héros de jeunesse ne vous a jamais chatouillé ? Mieux que ça : un héros de jeunesse qui, plusieurs décennies plus tard, s’est élevé au rang de mythe vivant ? C’est ce que j’ai tenté de faire avec Bill Drummond, british excentrique qui m’aurait sûrement décroché un uppercut si je lui avais balancé cette épithète. Bill qui ? Bill Drummond, 62 balais, écossais natif d’Afrique du Sud qui a pas mal œuvré depuis la ville de Liverpool. Non content d’avoir contribué à l’avènement de la house et de l’ambient au sein de The KLF, il a auto-carbonisé sa brillante carrière en pointant de tous ses doigts l’incompétence du music-business et la vacuité de la musique actuelle paradoxalement omniprésente dans nos vies. Depuis le milieu des années 90, il s’est retiré de toute activité musicale commerciale, préférant se consacrer à l’art contemporain sans en exclure pour autant la musique. L’attitude la plus saine du monde quand on voit comment l’industrie musicale a ensuite appréhendé l’émergence d’Internet, la chute des ventes de disques et leurs répercussions sur la création musicale et les artistes. Alors forcément, à l’annonce de la programmation le 13 mars, dans le cadre du festival F.A.M.E. à la Gaité Lyrique de Paris, d’Imagine Waking Up Tomorrow and All Music Has Disappeared, documentaire qui lui est consacré, ça aurait été une faute personnelle, avant même d’être professionnelle, de ne pas chercher à rencontrer le bonhomme histoire de lui poser trente ans de questions empilées dans ma tête. Demande est faite aux commissaires de l’évènement, qui ont eu la lumineuse idée de projeter le film. Victoire, Drummond va traverser la Manche pour une rencontre avec le public et même, se plier à une interview. Mais selon son protocole pour le moins strict, détaillé sur son site Penkiln Burn - enseigne qui recouvre ses activités d’artiste depuis 1998 et qui emprunte celui de la rivière écossaise où il pêchait en culottes courtes, dans laquelle il s’est aussi cassé la figure. Le protocole est d'ailleurs clair comme l’eau de roche en question :

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« Entre le 1er janvier 2012 et sa mort, Bill Drummond répondra à vingt-cinq interviews pour vingt-cinq publications différentes.

Chaque publication aura le droit de lui poser quatre questions – quatre questions jamais posées dans les interviews précédentes.

Bill Drummond répondra à ces 100 questions aussi complètement que possible.

Les 100 questions et réponses seront compilées et publiées dans un livre intitulé 100#2 après sa mort. »

Bon. Quatre questions, clair que ça fait pas beaucoup par rapport à la folle carrière de Drummond. Mais en se débrouillant bien, avec des trucs qui le titillent sans le hérisser, s’il se révèle bavard ce jour-là, s’il s’est levé du bon pied et que le barman de l’Eurostar ne nous l’a pas mis de mauvaise humeur, si… Bref, pas gagné mais ça se tente.

Manque de bol, après une dizaine de mails, on apprend que le protocole média de Bill Drummond a changé. C’est désormais lui qui pose les questions, que ce soit au public ou au journaliste. Ça peut durer quarante minutes, ça peut être enregistré, même filmé. Mais c’est LUI qui pose les questions. En ce qui me concerne, ce sera non. Je ne suis ni artiste, ni performer. Le but de la rencontre était d’avoir des réponses à toutes les questions apparues depuis la première fois où j’avais lu son nom sur une pochette d’Echo & the Bunnymen. Mais au moins ces échanges auront-ils eu le mérite d’apporter des réponses auxquelles je n’avais même pas imaginé de questions. Au moins Drummond demeure-t-il fidèle à la ligne unique, indépendante et révolutionnaire (en un mot, punk) qu’il impose depuis trente ans. Brillamment incontrôlable, le gars a tiré tous les enseignements de ses multiples expériences dans le music-business et décidé de ne plus tourner le dos à quiconque, médias et public compris. Pourquoi tant de méfiance ? Un survol de CV et vous allez tout piger.

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Charpentier et décorateur de théâtre à Liverpool, Drummond se fait happer par la folie punk. Le club mythique Eric’s voit défiler Damned, Clash, Stranglers, Slits, X Ray Spex, Ramones, Saints, Talking Heads… et il pogote à chaque fois aux premières loges. Le fan d’Elvis qui considérait Roxy Music comme de vilains poseurs retrouve foi en la musique. En 1978, il tient la guitare de Big in Japan dont les membres alimenteront des succès à venir : Holly Johnson rejoindra relax Frankie Goes to Hollywood, Budgie deviendra batteur tribal de Siouxsie & the Banshees, Ian Broudie se taillera une belle réputation de producteur, et Jayne Casey chantera chez les cultissimes Pink Industry. Suite à la débandade Big in Japan, Drummond fonde Zoo Records avec son pote Dave Balfe, par ailleurs clavier des Teardrop Explodes, qui créera plus tard Food, label qui connaitra un gros succès avec Blur mais finira avalé par Parlophone et sa maison mère EMI.

À l’inverse, Zoo ne publiera que deux albums : une compilation d’artistes de Liverpool et un recueil de chansons de Scott Walker concocté par Julian Cope, le chanteur de Teardrop Explodes. Et puis des singles de Lori and the Chameleons, éphémère formation de Drummond et Balfe. Le boulot le plus important accompli par Zoo sera de manager et de produire les premiers albums d’Echo & the Bunnymen et de Teardrop Explodes, deux fleurons du post-punk psychédélique britannique, avant de devenir les éditeurs du zarbi Zodiac Mindwarp et des gentils Proclaimers. C’est ainsi Drummond qui va embarquer les Bunnymen en Islande pour shooter la photo de pochette de l’album

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Porcupine

avant de tenter de les convaincre que le suivant,

Ocean Rain

, soit leur dernier. Ian McCulloch aurait sans doute dû l’écouter. De même que Pete de Freitas, le batteur du groupe, qui mourra dans un accident de moto quelques années plus tard.

Le gars va ensuite bosser comme directeur artistique d’une major du disque mais ses choix vont de révéler un peu trop radicaux selon certains de ses collègues. Il va ainsi dépenser des sommes folles sur Brilliant, groupe monté par Youth, ex-bassiste de Killing Joke, flop monumental malgré (ou à cause ?) une production confiée au golden trio pop de l’époque, Stock Aitken & Waterman. Drummond n’en oublie pas pour autant sa propre musique et publie l’album

The Man

sur le label Creation, recueil folk-rock boisé où il s’entoure des musiciens australiens des Triffids. Sur une chanson, il fantasme de buter Julian Cope d’une balle dans le crâne pour lui offrir la gloire posthume que son groupe aurait méritée (« Julian Cope is Dead »). Une réponse au « Bill Drummond Said » publié sur

Fried

,

deuxième album solo de Cope sur la pochette duqueil il pose nu sur une plage, recroquevillé sous une carapace de tortue. Sniffer de la colle, prendre des acides, et écrire les meilleures chansons inconnues pop du monde carbonisera au final la belle entente des groupes de Liverpool. Un bout de leurs cervelles, aussi.

Quand une partie de l’Angleterre rock va se replier sur ses fondamentaux à l’orée des années 90, recyclant sans vergogne via le baggy sound et la brit-pop l’héritage des Kinks, des Beatles et des Stones dans un grand (Kula) shaker réac’, certains rockers visionnaires vont, non pas retourner leur veste à franges, mais s’ouvrir à une nouvelle culture et aux perspectives alors infinies d’un monde neuf : celui des musiques électroniques et de la house-music. Andrew Weatherall, Alan McGee (avec la signature d'artistes tels que Fluke, Love Corporation, Hypnotone et bien sûr, le virage de Primal Scream), Tony Wilson de Factory Records ou Bill Drummond feront partie de cette génération de trentenaires visionnaires qui ne laissera pas la teuf et les smileys aux seuls kids sous ecstas. En 1987, Drummond monte The Justified Ancients of Mu Mu’s avec Jimmy Cauty, musicien rescapé de Brilliant. Finies les Rickenbacker : les instruments du quotidien deviennent la TR-808, l’Apple II et surtout, le sampler.

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Chauds comme des bouillottes avec l’émergence du rap américain, les deux potes s’accaparent ces nouvelles révolutions tout en gardant l’énergie d’un rock primaire qu’ils ont toujours vénéré. Ils samplent aussi bien Julie Andrews, Stevie Wonder que The Fall sans se soucier des conséquences sur leur compte en banque. D'autant plus qu'elles ne se font pas attendre

: l'emprunt sauvage à « Dancing Queen » sur leur morceau « The Queen & I » ne fera pas du tout marrer les Suédois d’ABBA qui leur colleront direct un procès.

Un hit plus tard sous le nom des Timelords, Drummond et Cauty créent leur monument : The KLF. Un acte électro anarcho-situationniste qui place l’acid-house au cœur de la révolte vis-à-vis de la société de consommation. Moins de rap, plus de dance-music obsédante au programme d’un duo qui refuse de laisser les charts aux pop-stars niaises et abrutissantes.

En 91, The KLF s’impose en tête des ventes de singles dans le monde. Au milieu de plusieurs hits glorieux, de deux albums mythiques et de clips dantesques, The KLF se voit récompensé d’un Brit Award en 1992. Accompagné d’Extreme Noise Terror, le groupe de l’année s’auto-saborde en jouant en mode thrash metal son hit

« 3.A.M. Eternal »

dans une version qui provoque la nausée chez une partie du public. L’acte de bravoure précède une retraite définitive du monde de la musique le 14 mai 1992, avec destruction de leur back-catalogue. Les deux acolytes créent dans la foulée la K Foundation, une entreprise d’art terroriste, qui entre autres happenings fumeux les verra brûler un millions de livres sterling en billets. Les deux iront aussi enterrer leur trophée des Brit Awards dans un champ près de Stonehenge.

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Depuis, Drummond multiplie les projets les plus étranges, réalisant un tour du monde pour ses peintures trois mois chaque année de 2014 à 2025, organisant aussi sur plusieurs radios de 2005 à 2009 un jour sans musique pour dénoncer l’appauvrissement de la création actuelle et le rôle négatif de notre société. Le film

Imagine Waking Up Tomorrow and All Music Has Disappeared

du Suisse Stefan Schwietert suit ainsi ce personnage fantasque organiser l’un de ses happenings intitulé

«

The 17

»

où il sillonne le Royaume-Uni dans sa Land Rover pour enregistrer des voix vivant sur une même latitude. Des travailleurs d’un chantier, les ouvriers d’une fabrique, des retraités, les clients d’un bar, des chauffeurs de taxis… Il enregistre tous ces chanteurs improvisés qu’il va réunir au sein d’un chœur virtuel dont il va se délecter avec d’en détruire les enregistrements. Pourquoi un geste en apparence aussi inutile ? Pour démontrer qu’au départ, la musique servait pour la marche ou les enterrements, pas pour cette société de l’entertainment qui l’a totalement vampirisée. Son chœur en sera ainsi à jamais protégé car éphémère, donc impossible à entendre à la radio ni à télécharger.

C’est justement son baladeur MP3 qui l’a poussé à cette saine radicalité. «

Je me suis rendu compte que je passais à un nouveau titre au bout de 20 secondes d’écoute. Dès qu’on a eu la possibilité d’avoir la musique n’importe quand, on en a perdu le sens

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. » Ses actions en apparence anodines ont ainsi pour but de remettre la musique au cœur de nos vies, en écoutant par exemple les bruits du quotidien ou le son des animaux de la ferme, comme il le demande à une classe d’école primaire hilare mais heureuse. En le coupant de l’omniprésente musique de fond mais sans fond de notre société, il offre au consommateur passif la possibilité de redécouvrir le vrai son de nos vies et de redevenir acteur de sa culture. Il pointe aussi l’idée que plus personne ne s’autorise le droit de chanter là où le chant demeure pourtant enfoui en chacun de nous. À l’image de ses tags au pochoir dans la neige, son combat peut paraitre vain mais ce faux doux dingue pointe précisément l’utilité de ces gestes gratuits dont la société de consommation nous a privés

: imaginez donc tout ce que vous pourrez faire en vous levant demain quand tout la musique aura disparu

.

En 2016, toute une frange de jeunes déjà vieux du rock britannique (Razorlight, Maccabees, Wolf Alice, Jake Bugg, Mumford & Sons… on va arrêter là) continue de recycler les recettes à guitares éculées derrière laquelle le NME, devenu gratuit, continue mollement de s’enthousiasmer même si plus personne n’y croit. Bill Drummond, lui, a acheté son premier disque en 1967 : Strawberry Fields Forever, de ces Beatles qu’il n’a jamais cherché à singer. Dès 1971, en voyant David Bowie, il pensait déjà que le rock était mort. Il ne répondra pas à mon interview. Je ne lui en veux surtout pas car il est le seul dans le vrai dans le monde de la musique depuis quarante ans.

Imagine Waking Up Tomorrow and All Music Has Disappeared de Stefan Schwietert, sera projeté au festival F.A.M.E. à Paris, à la Gaîté Lyrique, le dimanche 13 mars à 14h30. Pascal Bertin ne répond à aucune question mais il est sur Twitter.