Le guide Noisey du rap de Los Angeles

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Le guide Noisey du rap de Los Angeles

De DJ Quik à Kendrick Lamar en passant par N.W.A., Cypress Hill, 2Pac, Warren G, Above The Law, Tone-Loc, les Phillies Blunts et les 40-ouncers : tout ce qu'il faut savoir sur le rap west coast.

À l’inverse de New York, où la mélancolie d’un monde qui s’écroule semble palpable à chaque morceau, Los Angeles a toujours revendiqué un son, des thèmes et une attitude en tous points opposés à ce que l’on peut trouver dans le reste des États-Unis. Au point d’affirmer que les MC’s de L.A ont toujours préféré les rimes enfumées aux envolées réalistes et revendicatives ? Pas vraiment quand on sait que la ville a accueilli ce que beaucoup considèrent comme la première vraie révolution de rue américaine (les émeutes de Watts en 1966) et qu’un racisme très prononcé a longtemps empêché Los Angeles d’avoir une scène artistique relativement éclectique. Un exemple ? On en a même deux : Randy Newman, d’un côté, qui dit qu’il a toujours senti « que la situation raciale était pire à Los Angeles qu’ailleurs » ; Thomas Pynchon, de l’autre, qui affirme que Watts était « un endroit qui se trouvait, psychologiquement à des kilomètres de là où la plupart des Blancs semblent actuellement disposés à aller » et que la « scène entière de LA est au fond une scène blanche ». Vrai.

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Il suffit de prendre l’exemple de Berry Gordy pour s’en convaincre : tout puissant à Détroit, où Motown Records redéfinit les codes de la soul, l’Américain décide de déménager les bureaux du label en 1971 et enraille sans le savoir sa machine à tubes (et donc à fric) suite aux départs, coup sur coup, de Gladys Knight & the Pips, The Four Tops, Ashford & Simpson, Mary Wells, Martha Reeves, et même The Isley Brothers, peu en phase avec le climat californien.

L’arrivée du rap à Los Angeles, sur le tard, constitue donc un exploit au sein d’une ville où l’expression noire a toujours été plus ou moins étouffée. Il y a bien quelques tentatives au début des années 1970 ( Rappin’ Black In a White World de Watts Prophets en 1971), mais ce « rap de noir dans un monde blanc » passe mal. N.W.A., Ice-T, Tone Loc ou encore Cypress Hill en feront les frais également, mais peu importe. Car, de Long Beach à Glendale, en passant par Venice, Pomona et Compton, les rappeurs de la ville ont toujours su transgresser les codes, séduire la masse et promouvoir une culture très riche, nourrie par la cohabitation de différentes communautés (black, latine), par le fantasme hollywoodien, par le culte des gangs et des grosses bagnoles, par l’affaire Rodney King et par une réelle volonté de représenter leur quartier, leur crew. D’où l’intérêt de revenir sur cet ancrage géographique du hip-hop américain, de (re)poser les bases de l’histoire du rap à Los Angeles et d’en comprendre les multiples déclinaisons.

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Breakdance

À l’image de ce qu’il se passait avec la scène punk quelques années plus tôt, le rap de la côte Ouest subit, au début des années 1980, une idée totalement injuste : le fait que le hip-hop serait un genre proprement new-yorkais, ancré dans le sud du Bronx. Certains groupes viennent bien entendu donner raison à cette affirmation : Rappers Rapp Group, par exemple, sorte de sous Sugar Hill Gang. Mais Los Angeles a malgré tout des arguments à faire valoir : le breakdance, notamment, tant la production de films tels que Wild Style ou Breakin’ popularisent le hip-hop version Côte Ouest et permettent l’éclosion d’un son typiquement L.A., mais aussi l’audace des radios locales. Ainsi de la radio Kday, dont la décision de se mettre au rap dans les années 80 en sponsorisant les battle du vendredi soir et en confiant des soirées à des jeunes DJ’s (Yella, Dr. Dre) s’avère primordiale : les artistes locaux ont désormais l’occasion de diffuser leur art, leur son s’affirme, s’affine, et gagne peu à peu du terrain sur le reste des États-Unis.

DJ Quik

À une époque, DJ Quik s'était arrogé le titre d'« artiste le plus complet d'Amérique ». Et, franchement, on n'aurait pas dit mieux : producteur, rappeurs, DJ, multi-instrumentsite, DJ Quik sait tout faire. Et la plupart du temps en ayant toujours une longueur d'avance sur son époque et ses contemporains. Dre peut bien lui avoir volé le statut de « roi de la G-Funk », c'est bien à DJ Quik que l'on doit une grande partie de la modernité du son West Coast, puisé dans les discographies de Roger Troutman et de George Clinton mais recraché d’une telle façon qu’il semble impossible de ne pas y voir là la patte d’un grand producteur. Celui qui a permis à Los Angeles de faire son entrée dans la cour des grands, et à Ice Cube de tenir ce genre de discours : « Je crois qu’on a juste sorti le rap de sa simplicité et investi dedans beaucoup plus de temps et d’efforts parce qu’on savait qu’il fallait qu’on soit plus malins. Tu sais, New York avait la mainmise sur le rap, alors on savait qu’on n’y arriverait pas sans bosser très dur. Je crois que grâce à ça, notre musique a pu s’épanouir, on utilisait beaucoup plus d’instruments live et on travaillait beaucoup plus nos breaks. »

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Pas pour rien, donc, si Eazy-E lui avait offert une avance d'un million de dollars pour rejoindre Ruthless Records, si Suge Knight l’a fait bossé sur les différentes compilations produites par Death Row ( Above The Rim, Murder Was The Case) et les différents albums de 2Pac ( All Eyez On Me, Until The End Of Time, Better Dayz) et Snoop Dogg ( Dogg Food et Tha Doggfather). Le fait qu'il n'ait pas été crédité pour ces deux derniers albums prouve bien également à quel point DJ Quik reste aujourd'hui encore un génie incompris (après tout, le mec n'a-t-il pas réussi à faire rapper Shaquille O'Neal ?), un producteur sous-estimé du grand public mais qui a réussi à faire de sa musique un mélange d’avant-gardisme qui séduit la critique et d’efficacité qui plaît aux rappeurs et aux escrocs. Pas rien.

Je-m’en-foutisme Là où les rappeurs de la Côte Est appellent leurs frères à s’élever par la connaissance (le croisement des années 1980-1990, c’est tout de même l’époque où le manager de Public Enemy, Harry Allen, invente le terme « activisme hip-hop »), ceux de Los Angeles - plus précisément de Compton, située au sud de la ville -, proposent en revanche de tout casser, de tout brûler et de faire la nique à toute forme de fraternité. À les entendre, cela semble être la seule alternative et, surtout, l’unique moyen d’envoyer valser tous ces hippies persuadés que, main dans la main, le monde gambade vers des lendemains fleuris. Eux, ceux que la critique journalistique se plaira à nommer « gangsta-rappeurs », sont donc hermétiques à la bonne conscience prônée par les hautes instances et allergiques à l’idéologie new-yorkaise. Ce qui les intéressent ? Célébrer la vie de voyou, la domination physique ou le machisme ( « Tout homme digne de ce nom se doit de posséder trois femmes : son épouse, sa maîtresse et sa pute », Ice-T). Le tout, sur un ton assuré - un ton nouveau, souvent arrogant, bientôt vénéré par des bataillons d’auditeurs Blancs persuadés d’y avoir trouvé là un passeport pour le cool.

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Un exemple ? Eazy-E. Oui, celui qui a su réinvestir l’argent qu’il a récolté grâce au trafic de drogue dans un label, Ruthless Records, celui qui a su promouvoir le meilleur de la scène rap de L.A, celui qui fascine les b-boys au sein de N.W.A. et effraie la police à travers des titres comme « Fuck Tha Police », celui qui, en couverture de The Source en décembre 1990, braque son 9mm sur le lecteur pendant que la rédaction du magazine américain se demande : « Le gangster-rappeur : héros violent ou modèle néfaste ? ». Personne, au fond, ne sait comment se positionner face à ce rap profondément black, clairement violent, mais qui plaît à la masse. Ce qui rend particulièrement fier Ice-T, qui croyait alors en un changement profond : « L’injection de la rage noire dans la jeunesse blanche américaine, c’est le stade ultime de la préparation à la révolution. » Gangsta-rap Forcément, ce genre de tentatives a été reçu d’étranges façons. Dans les coulisses de l’industrie musicale, ou dans la rue, on a encore beaucoup de mal à s’accorder sur l’intérêt d’un tel hip-hop. Quand certains prétendent qu’il est de bon ton de laisser ces rappeurs s’exprimer, d’autres se veulent nettement plus sceptiques. C’est le cas de Bill Stephney qui, lors d’un colloque organisé à la Howard University en 1987, stigmatise cet art subversif. En plein débat, il se lève, prend la parole et déclare : « Malheur à une communauté qui doit compter sur les rappeurs pour prendre sa direction politique. Parce que ça ne correspond pas à un progrès, mais à un manque. Maintenant que les leaders de notre communauté ne sont plus capables de prendre leurs responsabilités, vous allez l’abandonner à un gamin de dix-huit ans qui a une tchatche du tonnerre ? Quel est le critère qui l’a élevé à ce leadership ? Il a la tchatche ? Ça s’arrête là ? Si notre leadership doit être assuré par un gamin de dix-huit ans qui n’a aucun projet, on est dans la merde. On est foutu. »

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Bill Stephney n’est pas le seul à penser ainsi. Au cours des années 1990, le mode de vie des gangsta-rappeurs, souvent tapie dans l’ombre, le regard dur et violent, se révèle en effet inconciliable avec la mentalité ambiante. Quand des groupes tels que Gun’s n’Roses tentent de médiatiser leur flirt avec le danger, des titres que « The Nigga Ya Love To Hate » d’Ice Cube ou « How I Could Just Kill A Man » de Cypress Hill les rendent parfaitement obsolètes – ce n’est peut-être pas pour rien si Tone Loc a encanaillé Van Halen en samplant « Jamie's Cryin » sur « Wild Thing », ou si le metal, le punk et le grunge ont tenté de se connecter avec le hip-hop : les Red Hot, par exemple, enregistrent l’un de leurs albums culte ( Blood Sugar Sex Magic) avec Rick Rubin, l’ancien grand chef de Dej Jam qui a fini par quitter New York en 1991 pour s’installer à L.A.

Quand les rockeurs soignent en musique leur spleen de jeunes américains blancs issus des classes moyennes, les gangsta-rappeurs vantent les mérites des armes à feu, des femmes aux formes rebondies et des drogues récréatives. Ainsi de N.W.A., dont le cri de guerre « Fuck Tha Police » lui vaut d’emblée les réprimandes du FBI, qui accuse alors le groupe « d’encourager la violence et le manque de respect » envers les officiers de police. Ainsi d’Ice-T, nommé ainsi en référence au légendaire écrivain-maquereau Iceberg Slim, et peu enclin à plaisanter : « Je suis un monstre des rues de la ville qui s’est fait tout seul/Téléguidé par des rythmes hip-hop durs. » ou encore « Connard, t’as intérêt à te coucher si tu tiens à la vie quand mon fusil de chasse arrose/Parce que les gangs de LA ne mourront jamais, ils ne feront que proliférer ».

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Mais derrière ces polémiques naissantes, la critique médiatique oublie bien souvent de rappeler à quel point N.W.A., Ice-T et tant d’autres ont apporté une complexité et une profondeur au rap, qui va bien au-delà de la simple exploitation commerciale d’une imagerie de voyou. Le gangsta-rap, c’est aussi la première fois, sans doute, où une musique profondément noire ne peut pas être récupérée par des artistes blancs, où des musiciens faisant partie des déclassés, des éternels rejetés du jeu social, dont ils ne prétendent pas montrer que la bienveillance mais aussi la violence potentielle, popularisent à grande échelles des mots d’argot, faisant référence aussi bien aux mitrailleuses (« gat »), aux filles faciles (« bitch », « hos ») et à des joins de marijuana traditionnellement roulés dans un cigare de marque Phillies Blunt (« Blunt ») qu’à de l’alcool (« 40-ouncers ») ou des longues peines (« 25 with an L »).

2Pac & Death Row

Oui, on a décidé de ne pas développer cette partie. Parce qu’on en parle déjà ici, et encore . Et voilà, à votre bon cœur !

California Love

À l’inverse d’Afrika Bambaataa, qui prône le rassemblement, ou de Rakim et son fameux « It ain’t where you’re from, it’s where you at », la plupart des rappeurs de LA revendiquent rapidement un concept d’appartenance, une volonté d’être de ces stars du coin de la rue : c’est N.W.A. rappant « We’re born and raised in Compton », c’est 2Pac et Dr. Dre gueulant leur amour pour la Californie (« California Love »), c’est Snoop Dogg, Nate Dogg et Warren G adoptant le patronyme 213 en référence au code téléphonique de Long Beach, c’est Dre (encore lui) avec Compton ou encore Breeze qui, en 1989, rappait son « L.A Posse ».

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Écouter tous ces morceaux, c’est donc un excellent moyen d’en savoir plus sur Los Angeles, ses gangsters infréquentables, ses histoires de rues sinistres et, malgré tout, ce sentiment d’appartenance qui ferait presque passer la Cité des Anges pour le meilleur endroit de la Terre : « Vivre et mourir à L.A./C’est là où il faut être/Tu dois venir pour le comprendre/Tout le monde veut voir », comme le rappait 2Pac sur « To Live & Die In L.A, un morceau où le MC énumérait les noms de différents rappeurs de la ville et rappelait au passage ce qui fait l’identité singulière de ces artistes depuis toujours. Snoop Dogg, Tha Dogg Pound, O.F.T.B., tous ont d’abord écumé les galères quotidiennes, tous ont endossé la radicalité du gangsta-rap sans trop y réfléchir sur des beats cools et suaves, tous ont expérimenté à un moment donné la recherche du succès puis fini par le regretter. Tous, surtout, ont passé leur carrière à parler de Los Angeles, de son passé, de son futur, de son imaginaire et de sa condition profondément singulière dans le paysage social et politique américain.

L’autre versant de L.A.

Los Angeles ne se limite toutefois pas à ce rap dit misogyne, insolent et grossier. Derrière cette glorification de la violence et cette volonté de zapper les réflexions idéologiques alors que la guerre des gangs fait sept-cents victimes par an à la fin des années 1980, la scène californienne suscite l’admiration de toute part : il y a le hip-hop de DJ Quik, Compton’s Most Wanted et Above The Law, les battles festives au Goodlife Café de la Westside, les soirées gratuites données autour de la piscine du Pharcyde Manor à Hancock ou encore le Hip-Hop Shop de Melrose Place, où se réunissent régulièrement b-boys et b-girls autour des différentes disciplines du hip-hop. Dans les colonnes des magazines URB et Rap Sheet, on ne parle que de cette diversité, et notamment de deux groupes.

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Le premier, c’est Above The Law, dont on oublie souvent de rappeler à quel point il a porté Ruthless Records sur ses épaules pendant plusieurs années en donnant vie à ce que la G-Funk a certainement de plus subtil à proposer. De plus inventif également : à l'image de « Black Superman », où le quatuor du quartier de Pomona fait du superhéros en collant bleu un drogué de Compton qui, au lieu de passer ses journées à sauver cette gourde de Lois Lane, risque sa vie pour subvenir aux besoin de sa mère célibataire. Aujourd'hui, Steve McQueen y verrait sans doute le scénario tire-larmes idéal pour se lancer dans la course aux Oscars, Above The Law, eux, y voyaient juste une façon de poser un autre regard sur les gangs, décrits ici comme de simples héros plutôt que comme des méchants en guerre contre tout.

Le second n’est autre qu’un trio de South Gate composé d’un italien, d’un cubain et d’un cubano-mexicain qui, fin 1993, était presque le plus grand groupe de rap de la planète. Son nom ? Cypress Hill. Ses délires ? Pourquoi pas prôner à peu de choses près les mêmes choses que n’importe quel gangster officiel du rap, mais en puisant davantage dans le blues et l'imagerie heavy-metal que dans un funk proprement afro-américain. Dans leur sillage, il y a aussi House Of Pain et Funkdoobiest (eux aussi membres actifs de la famille Soul Assassins), mais ce sont bien DJ Muggs et sa bande qui raflent la mise et deviennent un vrai phénomène : des groupes blancs tels que Sonic Youth ou Pearl Jam collaborent avec eux, tout un public issu du rock alternatif s'intéresse à leurs productions, les foules se réjouissent de les voir allumer un joint sur la scène de Lollapalooza en 1995, tout en dédicaçant « I Wanna Get High » au sénateur républicain Bob Dole, tandis que les pontes du rap made in L.A assistent tant bien que mal à leur mise en orbite. Il y a « No rest for The Wicked », où les mecs de Cypress Hill règlent leurs comptes avec Ice Cube, qu'ils accusent d'avoir volé un de leurs morceaux et de ne pas avoir rémunéré DJ Muggs pour le travail effectué sur The Predator, mais aussi « Strictly Hip-Hop », ponctué par cette sentence : « Vous vous la jouez mannequins et vous parlez d'authenticité/Enfoirés de vendus, c'est du hip-hop, pas de la mode ».

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En réalité, ce n'est pas Cypress Hill qui ouvre la voix aux latinos, cette communauté ethnique très importante en Californie. En 1989, c'est le frère de Sen Dog, Mellow Man Ace, qui débarque avec un album ( Escape from Havanna) mixant anglais et espagnol, hip-hop et salsa, et des titres qui samplent aussi bien Santana que Chaka Khan. Un an plus tard, c'est autour de Kid Frost de revendiquer avec fierté ses origines - quitte à friser le cliché, parfois - sur « La Raza », où l'on peut d'ailleurs entendre des extraits de « Viva Tirado » d'El Chicano, un des hymnes urbains de l'est de Los Angeles – bon, on est loin de l’impact d’un Capital Punishment de Big Pun à New York, mais tout de même, ça forge une esthétique.

Indépendance

Au début des années 2000 : 2Pac est décédé, Death Row a périclité, Snoop Dogg n’est plus que l’ombre de lui-même, etc. D’un point de vue populaire (et pour faire simple), seul Dr. Dre parvient encore à faire parler de lui, avec des productions paradoxalement destinées à des rappeurs de la côte Est (Eminem, 50 Cent). Il faut alors compter sur la scène dite « indé » (Freestyle Fellowship, Jurassic 5, The Pharcyde ou The Alkaholics) pour s’écarter des dernières tendances du hip-hop, qu’ils ont pourtant suivies aux premières loges entre collaborations et projets solo, et promouvoir un rap plus volontairement inspiré des préceptes du jazz (l’improvisation, l’expérimentation, la souplesse des instrumentations) et plus ouvert : au Good Life Café, lieu emblématique de cette scène, de nombreuses rappeuses ont ainsi tenu la concurrence à leurs homologues masculins (T-Love, Medusa ou Eve des Figures Of Speech), tandis que des formations telles que Darkleaf se réclamaient plus de Sun Ra ou de Jimi Hendrix que comme des puristes hip-hop, et que des compilations ( Project Blowed, en 1995) faisaient la promotion d’un rap protéiforme, celui qui influencera directement Outkast, Bone Thugs N Harmony ou Tech N9ne.

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La plupart de ces artistes manquent souvent de biftons, de relais médiatiques et de soutien professionnel, mais certains parviennent malgré tout à se faire un nom : c’est le cas, par exemple, d’Adlib (formé au saxophone et à la basse, le mec a quand même produit pour Nas, Saul Williams ou Trent Reznor) et de Busdriver, véritable légende de la West Coast Underground pour sa capacité à savoir s’entourer (sur Temporary Forever, en 2002, on retrouve aussi bien D-Styles qu’Aceyalone), à rendre son flow malléable et à rapper sur toutes formes de beats (tantôt jazz, tantôt guitare folk) ou sur n’importe quel sujet – « Stylin’ Under Pressure », où il raconte qu’il ne peut s’empêcher de freestyler lorsqu’il commande un burger au McDo.

Anticon

Au croisement des années 1990 et 2000, un label va servir de foyer à un rap plus avant-gardiste, celui défendu par Anticon, où se rencontrent toute une faune de rappeurs, DJ’s et musiciens en quête d’alternative et de sons hybrides. Leurs noms sont bien souvent ignorés du grand public, mais (presque) tous ont bouleversé la musique du début du 21 ème siècle : Sage Francis, Why?, Alias, Sole et tout un tas d’autres formations à mi-chemin entre le rap et le rock, entre le hip-hop old school et l'electronica, entre le chant et la prêche (ce qui vaudra à Anticon d’être parfois considéré, à tort, comme un label chrétien).

Il faut ainsi écouter des albums tels que The Taste Of Rain… Why Kneel de Deep Puddle Dynamics, Man Overboard de Buck 65 ou Oaklandazulasylum de Why? pour se convaincre qu’ici, les standards ont été bannis. Et ensuite écouter les compilations Hip-Hop For The Advanced Listener et Music For The Advancement Of Hip-Hop pour comprendre qu’Anticon a bâti de nouveaux styles de musiques, plus expérimentaux, rugueux, abstraits et rock. Les rétifs à toute forme de purisme savent d’ailleurs mieux que quiconque que le catalogue était distribué par Caroline Records et qu’il était largement soutenu par la presse rock, notamment anglaise au début des années 2000. Jusqu’en 2005, du moins, époque à laquelle Anticon et ses principaux représentants (Why?, notamment) délaissent peu à peu le hip-hop au profit de productions ancrées dans l’indie-rock ou l’electronica.

Stones Throw

Impossible également de ne pas évoquer le rôle jouer par Stones Throw, fondé en 1996 en plein période gangsta et pourtant peu enclin à suivre les mêmes préceptes. Ici, le rap se veut déviant, porté par la vision d'un fondateur atypique (Peanut Butter Wolf), quelques tubes monumentaux (« I Need A Dollar » d’Aloe Blacc) et quelques producteurs surdoués : le regretté Jay Dee et l’inventeur de la modern funk Dâm-Funk, bien sûr, mais surtout Madlib, autorisé à tous les délires au sein de cette écurie pas comme les autres. Qui d'autres que lui s'est autorisé autant de projets parallèles (Quasimoto, Madvillain, YNQ), de collaborations (avec Jay Dilla, Freddie Gibbs ou MF Doom), d'albums transversaux ( Shades Of Blue, où il reprend quelques standards du label Blue Note), de choix de carrière audacieux (aux dernières nouvelles, Kendrick Lamar et Kanye West continueraient de lui courir après) et de références (les hommages appuyés à Frank Zappa sur la pochette de l’album The Further Adventures of Lord Quas) ? Réponse : personne ! Et c’est bien pour ça que Madlib, en plus d’avoir promu une nouvelle façon d’aborder la composition, est unique.

Comme le prouve également ce passage d’une interview accordée à Green Room : « Au début, le hip-hop était une musique honnête : des disques de gens qui voulaient faire de la musique. Et puis, les juristes et les comptables sont arrivés, la télévision a fait son boulot de lavage de cerveau et le mimétisme a joué à plein. Je n’ai jamais voulu faire partie de cela. »

Nouvel âge d’or

Est-il seulement possible d’envisager conclure ce papier sans évoquer ce qu’il s’y passe aujourd’hui ? Réponse : non ! Car derrière les Kendrick Lamar (qui a quand même réussi l’exploit de réconcilier les Crips et les Bloods le temps du clip de « King Kunta »), les Odd Future, les Vince Staples ou YG et Ty Dolla Sign, c’est bien toute une tripotée de rappeurs talentueux qui ont émergé ces dernières années, avec ce savoir-faire mélodique évident, cette façon de prendre la parole quand il faut et ce sens du cool et de l’expérimentation indéniable. OverDoz, par exemple. Après plusieurs années d’attente, le premier album de ce quatuor (2008) est sorti l’année et contient tout ce que Los Angeles a à offrir de mieux : une attitude à la The Pharcyde, des hommages parfois bien appuyés à DJ Quik (« House Party »), des instrus (concoctées par le duo THC ou Terrace Martin) qui hésitent constamment entre sonorités californiennes et intentions électroniques, et la fierté de vivre au cœur de la Cité des Anges (« District », « Back Beverly Hills »).

Dans le même genre, soit quelque chose d’assez moderne et très 90’s, il y a aussi G-Worthy et G Perico, dont les derniers projets se révèlent idéaux pour rider, mais il y a surtout 03Greedo (en référence au personnage de Star Wars), un ancien membre des Crips de Watts. Bon, il a pas mal bourlingué au sein des États-Unis (Sacramento, Atlanta), mais le mec est un dur, un vrai : il a sorti sa dernière mixtape juste après être sorti de prison (First Night Out), a un uzi tatoué sous la bouche, un tympan artificiel, une jambe en métal, des sons qui doivent autant à Future qu'à 50 Cent (période Get Rich Or Die Tryin’) et des textes très sombres, presque glauques parfois. Un peu à l’image de ce que l’on peut retrouver également chez Cozz, dont le deuxième album ( Effected) vient de sortir avec Kendrick Lamar, J. Cole ou Curren$y en guests. Bref, comme souvent dans l’histoire, semble difficile de prévoir ce à quoi le hip-hop de Los Angeles, trop riche, trop varié, ressemblera le hip-hop de Los Angeles demain. Et c’est une sensation extrêmement précieuse. Maxime Delcourt est sur Noisey.