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Music

Qui es-tu, Mehdi Pinson ?

De Heb Frueman à Scenario Rock et DVNO, itinéraire d'un vrai héros oublié de la scène française, marqué au fer rouge par le skate, le punk, le rap, le metal et Michael Jackson.

Les historiens de la musique n'ont rien vu venir. Soixante piges qu'ils nous bassinent avec Memphis, Nashville, New York, Los Angeles, Chicago, Détroit, Londres, Berlin. Soixante piges sans être capables de mettre à jour la carte des centres névralgiques. 77. Pas une date, non. Un code postal. Seine-et-Marne. Là, une ville. Meaux. Les moins renseignés citeront peut-être un fromage, un homme politique en pleine traversée du désert, un comique Canal +. Meaux mérite mieux. Meaux est le centre du monde, pour détourner Dali. Car c'est à Meaux qu'ont vu le jour Thomas Parent et Mehdi Pinson. Qui ? Thomas Parent, alias (DJ) Pone, qui s'apprête à sortir son premier album solo, Radiant, un disque formidable, auto-produit, incandescent, où le hip hop et l'electro acceptent de sonder l'âme des hommes. Un disque fier, qui sait que c'est dans l'obscurité que se dessinent les destins. Mehdi Pinson, lui, est un Arabe oiseau, un Français Goonies, un MC karaté, un DJ princier (il mixe pour les VIP les soirs de Ligue des Champions au Parc), un entertainer romantique, un mélancolique uplifting. Il tenait le micro dans Heb Frueman, groupe punk hardcore éphémère, anecdotique et génial, qui a embrasé les clubs hexagonaux de 1996 à 1998 et qui s'offre ces jours-ci une rétrospective sous la forme d'un vinyle, A Year and a Half of High Altitude Velocity, sur Poch Records. C'était lui encore qui chantait dans Scenario Rock, duo burné et inclassable coincé entre deux siècles, responsable de deux albums honteusement oubliés, c'est toujours lui qui ondule, avec ou sans Justice, sous le pseudo de DVNO, en attendant de sortir son premier véritable disque en solitaire (les plus optimistes en rêvent pour 2017). Dans la vie, il faut oser. Oser se tromper et mieux, oser avoir raison. Mehdi Pinson a tout pour lui : la gueule, le look, le talent, l'arrogance, la lumière, le romantisme, le savoir, la lucidité, la voix (contre-ténor, comme Michael ou Stevie). Il aime les films de John Hugues, l'instant présent, les planches à roulettes (qu'il chevauche encore avec une grâce totale à quarante piges passées), les restaurants savoureux, les vannes assassines, son fils. Il aurait pu devenir illustrateur mais la vie en a décidé autrement. La musique est presque chez lui un choix par défaut. La vie fait donc (très) bien les choses. Il parle de Youth Of Today comme de Frank Ocean. Sur une autre planète, à une autre époque, un mécène l'aurait depuis longtemps adopté, accepté ses exigences, toutes, et il serait devenu une star. Oui. Le temps est venu d'écrire sa légende. Avant que l'Histoire n'ait tout écrasé.

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« Je suis juste un pauvre mec qui voudrait que le bien triomphe du mal avec poésie comme dans une bonne VHS », dit-il par texto après l'entretien. On n'est pas dupe. Malgré les rires en coin, les blagues protectrices, les clins d'oeil, Mehdi Pinson a ce qu'il faut pour s'accaparer le trône. Et ainsi faire de Meaux la Capitale du Royaume de France. Enfin! Il fait froid et Mehdi, tel un père Noël qui se moquerait des calendriers, arrive, une chemise Dickies aux carreaux verts du meilleur effet, le cheveux court, rare et plaqué, et les poches chargées de cadeaux : son fanzine, « The Gamberge Folder » publié chez le Headbangers Publishing de Pedro Winter, partenaire de longue date, ainsi que deux disques sans code-barre de DVNO, Dvnolandia et Moonlighting, avant de s'allumer une cigarette. Avant de se raconter.

Noisey : Tu penses qu'il ne fallait pas faire ce vinyle rétrospectif de Heb Frueman. Pourquoi? Tu pourrais penser aux millions de gamins qui n'ont pas pu vous voir à l'époque…
Mehdi Pinson : Déjà, je pense que les millions de gamins, ils s'en branlent. Moi, je suis pour faire des trucs, là, maintenant. Après, je suis content, c'est cool mais moi, je ne l'aurais pas fait. Rien que la joie que ça a l'air de procurer aux mecs que je connais qui ont récupéré le vinyle, c'est cool, ça fait plaisir. Je pense que de sortir ces disques-là, c'est comme écrire sa propre bio. C'est un peu tôt. Tu vois, par exemple, il y a des morceaux d'Heb Frueman qui n'ont jamais été enregistrés mais qui existent, sous forme de démos. Ça aurait été plus cool de sortir ces morceaux-là, ou au moins qu'ils soient sur le vinyle. Tu vois ce que je veux dire ? Qu'il y ait une valeur ajoutée. Notre 45 tours, on l'a enregistré en une journée à l'époque. Je me dis que ça ne nous demanderait pas beaucoup d'efforts de retourner une journée en studio. N'empêche que pour ceux qui ont vécu l'aventure Heb Frueman à l'époque, ce disque est comme une carte postale du passé qui fait chaud au coeur, qui ravive des émotions fortes… Ok, Heb Frueman n'a rien inventé, Heb Frueman est une anecdote à l'échelle de l'histoire mais encore une fois, ceux qui vous ont vus en gardent un souvenir très fort. Vous aviez tout : l'énergie, la sincérité, l'arrogance, les chansons… Ça compte ça, quand même, dans la vie d'un homme, non ?
Nous, on n'avait rien à vendre. Et donc on n'avait rien à perdre. On s'en foutait. On s'amusait. Dans l'absolu, pour nous, c'était une récréation en fait. C'était la colonie de vacances. Et heureusement que Stef (guitariste) avait un peu plus la tête sur les épaules, que quelques personnes nous ont donné les moyens de graver tout ça sinon, on ne l'aurait jamais fait… Tu sous-entends que sans les efforts de Stef et, par exemple, de Rico (du label Pakalolo), Heb Frueman aurait pu se contenter des concerts et de ne jamais enregistrer le moindre titre ?
Peut-être. Après, tout ça, se sont des accidents malheureux, des cassettes qui arrivent dans certaines mains et puis les trucs se font. Ça s'est passé plutôt comme ça. Il n'y avait rien de prémédité. Jamais de projection, jamais de futur. Et c'est pour ça qu'on a arrêté. C'était un circuit hyper fermé, même plus une niche. Et une fois qu'on avait joué deux fois ici, trois fois là-bas… On a vécu un truc hyper cool, on a eu une ascension hyper rapide, tout en restant bien sûr dans un truc confidentiel. Au bout d'un moment, on s'est dit : c'est marrant, mais c'est marrant si on va dans d'autres choses. Mais de refaire dix fois la même soirée avec les mêmes gueules en refaisant dix fois les mêmes blagues… Moi, je ne voulais pas faire du café-théâtre. Ou sinon, faut aller jouer au Point Virgule [Rires]. Mais moi, je n'ai pas envie de faire ça…

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Donc, la fin d'Heb Frueman ne devait rien à des tensions internes?
Au sein d'Heb Frueman, il n'y a jamais eu de tension. Jamais. Tu vois, Tit (batteur), au départ, il nous a rejoints pour dépanner. C'était la récréation, vraiment. Avant, on avait pondu plusieurs morceaux avec Stef, il y avait Ludo (basse) qui traînait de plus en plus avec nous, on skatait ensemble. Ça s'est fait comme ça. On avait un pote qui avait repris un bar à Meaux. Et en fait, il s'était fait carotter. Bref. On a décidé d'organiser un concert là-bas, pour qu'il se barre avec la caisse, que cette histoire soit derrière lui. Il y avait une petite scène à Meaux, avec les skaters, des mecs… Des mecs qui suivaient déjà le groupe qu'on avait avant, Hariza. Un truc hyper Beastie Boys, des morceaux plus hip hop, des morceaux punk hardcore. Je faisais ça avec Stef et d'autres mecs. Mais tout ça, c'était de la déconne ! Au départ, on habitait tous à Meaux mais on ne se connaissait pas, mais on s'est rendu compte qu'on allait aux mêmes concerts. Stef, je l'ai croisé au concert des Beastie Boys, de Cypress Hill et je le croisais aussi à 59 Times The Pain. Et donc, tu finis par te parler…

Le petit Mehdi d'avant tout ça, a-t-il un coup de foudre musical ? Un artiste qui lui souffle que la musique, ça peut-être quelque chose de crucial dans une existence ?
Mon père écoutait beaucoup de musique. Beaucoup de black music, soul, funk tout confondu. Il voit que je m'intéresse et donc, il me fait écouter. Mon père était alors ouvrier dans une imprimerie. Je récupérais donc les Photo Magazine que je lisais en secret pour l'érotisme [Rires] Mais surtout, mon père me ramenait Hard Rock Magazine, avant qu'il ne sorte en kiosques. C'était l'époque des jeux concours pour gagner des places de concerts. Il fallait appeler les premiers. Vu que j'avais les infos en amont, j'avais mis en place toute une arnaque dans le quartier avec les potes métalleux de mon frère. Un des premiers concerts que j'ai vus, c'était Bad Brains. Puis Suicidal Tendencies. Gratos ! J'échangeais aussi certaines places contre des pièces de BMX à un thrasher qui me les volait. Bref, tout ça m'a ouvert à une autre culture… Pour en revenir à ta question et remonter le temps, comme tous les gamins de cette époque, c'est Michael Jackson. Et puis, c'est aussi tout le début du rap avec Bambaataa, etc… Moi, j'ai toujours été dans la danse ! Même avant l'arrivée du hip hop. C'est toujours un truc qui m'a passionné. Je matais James Brown, Michael… J'ai essayé le moonwalk dans mon salon, bien sûr ! Et quand le hip hop arrive, je tombe à fond là-dedans. Ce qui était génial, c'est qu'on ne savait pas ce que c'était. Et nous, on avait la chance d'avoir à Meaux un disquaire mortel, Blue Night Music. Tu pouvais acheter des disques de rare groove, de rap, du Run DMC, du Erik B. & Rakim, à Meaux ! Tu voyais les dégaines des keums… Le rap, c'était l'énergie, l'attitude… Le premier truc de rap que j'ai aimé et acheté, c'est la BO de Beat Street. Je l'avais trouvé dans le video-club que je fréquentais religieusement. Et puis je regardais « H.I.P H.O.P » à la télé… Et mon père dansait devant ! Il dansait avec ouam. Plus tard, j'ai évidemment acheté « Fight For Your Right », voilà quoi… Je me souviens aussi que j'allais me faire coiffer tous les samedis chez Jacky, à Simplon. Il coiffait aussi bien les rockab que les Zulus. Moi, j'étais encore un bébé et donc, je passais au travers des mailles mais c'était vraiment super chaud !

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Une scolarité normale ?
Un élève très très doué [Rires]. Je me retrouve dans un collège catho quelques années pour essayer d'éviter le collège de mon quartier. Mes parents ont peur que je finisse mal [Sourire]. C'est un nouveau monde ! Je rencontre des petits bourges qui font du skate et qui écoutent du punk, du hardcore… À l'époque, je suis un peu le seul mec à faire du skate dans ma cité. J'ai commencé le skate quand c'était encore les petits skates post-seventies. Je me souviens qu'une année, je suis parti en vacances à Biarritz et là, dix milliards de skaters, des Allemands, des Espagnols ! J'ai eu ma première board, que je devais partager avec mon grand-frère. C'était une Variflex…

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Il y a une chose chez toi qui me semble primordiale, c'est ton apparence. Tu as toujours eu un look d'avance. On devinait chez toi que le décorum comptait beaucoup. Tu as très tôt compris qu'il s'agissait aussi de se démarquer par le look ?
C'est un truc qui m'a toujours passionné. Je ne sais pas pourquoi. Ce que je peux te dire, c'est un petit dossier que tu apprécieras sans doute, c'est que quand j'étais en primaire, je taxais des fringues unisexe à ma mère. Des vestes de costard, des trucs comme ça. Non, je ne me travestissais pas [Rires]. Et je me lookais pour aller à l'école. Je travaillais déjà mon look. Il y avait un truc dandy dans la musique à l'époque, avec les Cure, Spandau Ballet et toutes ces conneries et je pense que ça devait me séduire. Peut-être juste que je regardais trop la télé… Je ne sais pas. Mon grand-frère écoutais du DRI, du Iron Maiden, je fréquentais plein de gens qui avaient des goûts différents et je cultivais tout ça dans mon look… Ça cultivait un paradoxe que mes potes ne comprenaient pas. Quand tu te rends compte que Public Enemy portent des T-shirts Minor Threat, tu te dis que ce n'est pas complètement con… En fait, j'habite dans un village et les gens ne comprennent pas mais c'est ça le futur  [Rires] ! Je trouvais ça normal de prendre le meilleur de chaque chose.

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Ça démontre déjà une personnalité affirmée, une volonté de n'être que toi-même. Alors qu'un adolescent, par définition, se cherche sans se trouver parfois… Tu as très vite fait des choix.
En fait, moi, j'étais hyper à l'aise dans tous les recoins et dans tous les microcosmes de mon environnement. Que ce soit avec les thrashers, les keupons, les cailleras, sans être un caméléon. Après, je ne me suis jamais laissé marcher sur les pieds non plus [Mehdi nous apprendra après l'interview qu'il a été, pré-adolescent, champion de karaté île de France].

Tu as aussi une certaine réputation. Celle d'un mec qui peut parfois se comporter comme un connard, quelqu'un qui n'en fait toujours qu'à sa tête, voire ingérable? J'ai croisé des gens qui semblent t'en vouloir, qui reconnaissent ton potentiel mais qui ne veulent pas tenter leur chance avec toi…
Je vais prendre l'exemple du connard universel pour tous ces gens dont on parle : Kanye West. Il dit : « Un mec qui n'est pas prêt à décrocher son téléphone à trois heures du matin pour bosser avec moi, je n'ai pas envie de bosser avec lui. » Eh bien je pense qu'il a raison. Et si c'est ça être un gros connard, ben ok, je suis un connard. Mais moi, je pense que la vie est courte et j'essaye de bien faire. Et ceux qu'ont pas envie de bien faire avec moi, c'est qu'on n'a pas les mêmes objectifs. Point.

Parlons maintenant de l'énigme Scenario Rock. Heb Frueman s'arrête et Scenario Rock voit le jour, au départ avec toi, Ludo et Pone. Suivront un titre sur la compilation Source Rocks et deux albums signés chez BMG, des chansons énormes, des refrains magiques, des couilles gigantesques, mais rien. Il ne se passe absolument rien. Comment tu l'expliques ?
Pour qu'il se passe des choses, il faut faire des choses ! Quand il n'y a pas de promo sur un skeud, pas de distribution, ça devient difficile… On n'aurait jamais été Beyoncé mais ça aurait pu trouver son public de manière internationale. Ça aurait mérité plus de taf et c'est en ça que c'est quand même un peu désolant. Avec Scenario Rock, on essayait vraiment d'inventer quelque chose, en tout cas de faire quelque chose de différent. De l'amertume ? [il réfléchit de longues secondes] Oui et non. Mais dans l'absolu, j'essaye de ne pas vivre dans le passé. Ce qui est relou, c'est quand tu mets beaucoup de coeur à faire un truc et que c'est un coup d'épée dans l'eau… Mais ça te touche forcément quand tout le monde s'en bat les couilles d'un projet dans lequel tu as mis beaucoup de toi…

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Après, tu deviens DVNO, tu chantes sur, selon moi, le meilleur titre de Justice, tu fais le DJ, tu sors des fanzines, tu deviens papa. Et ce disque solo, il arrive quand ? On a écouté quelques chansons et c'est très engageant. Sous quel nom tu penses le sortir ?
Mehdi Pinson peut-être… Ouais, probablement. Là, je pense qu'il faut juste revenir à un truc où je suis frontman, chanteur, accompagné. Mais je prends mon temps. Et je vais abattre mes cartes tranquillement. Je reviendrai au moment où je sentirai que c'est cool.

Le Top Ten des meilleurs albums de tous les temps selon Mehdi :

1. Michael Jackson - Off The Wall & Thriller
2. Beastie Boys - Check Your Head & Ill Communication
3. Nick Drake - Pink Moon
4. Buckingham Nicks -  Buckingham Nicks (album éponyme de 1973)
5. Gorilla Biscuits - Start Today
6. Public Enemy - Yo! Bum Rush The Show & It Takes a Nation of Millions to Hold Us Back
7. Ritchie Havens - Mixed Bags
8. The Police - Regatta De Blanc
9. Vigon - Greatest Hits
10.  Pixies - Doolittle & Surfer Rosa

A Year And A Half Of High Altitude Velocity est disponible chez Poch Records. Mehdi est sur Instagram. Jérôme Reijasse est intouchable.