Pourquoi vos vieux disques vont devenir inutilisables

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Pourquoi vos vieux disques vont devenir inutilisables

Longtemps, on a vanté les CD et DVD comme des supports inaltérables capables de résister au temps. C'est un pur mensonge, comme le montre le célèbre phénomène du "disc rot."

Une première version de cet article a été publiée sur Tedium.

Parfois, la fatalité prend la forme d'une tache brune maculant le DVD de Shadow of the Colossus, votre jeu préféré – une petite décoloration dont, pour une raison ou pour une autre, vous n'arrivez pas à vous débarrasser. Parfois, de petites éraflures discrètes couvrent la surface de ce vinyle inestimable dégoté dans une brocante en 1988, comme s'il avait été attaqué par les dents malhabiles d'un chaton aventureux. Parfois, votre CD de Shining a totalement changé de couleur et couine affreusement lorsque vous tentez de le lire.

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Ô rage, ô désespoir, vous êtes la malheureuse victime du phénomène du disc rot, ou dégénérescence de disque, et serez désormais privé de cet album ou de ce film que vous aimiez plus que tout.

Le déclin des supports optiques est un problème extrêmement sérieux, que vous soyez archiviste numérique ou un simple particulier qui tient absolument à regarder ses films en Laserdisc. Pour vous, Motherboard a enquêté sur le futur de nos disques afin d'évaluer la probabilité que vous les vôtres soient ruinés à jamais.

"Si l'on fait glisser la lame d'un couteau sur la surface d'un disque, cela risque de l'endommager. Si l'on écrase un cigare dessus, on est certain de le détruire. Par contre—même si c'est une drôle d'idée—on peut étaler de la confiture dessus sans problème."

Voici l'étrange déclaration d'un porte-parole du major EMI, après le scandale ayant éclaté suite aux recherches sur la durabilité des CD menées en 1988 par le label Nimbus. Nimbus, le premier constructeur de CD au Royaume-Uni, a effectué de nombreuses expériences sur le fameux phénomène de disc rot avant de décréter que la plupart des supports disques s'autodétruisaient entre 8 et 10 ans après leur fabrication.

Les résultats du département de recherche de l'entreprise, qui allaient à l'encontre du présupposé selon lequel les CD étaient indestructibles, mettaient en cause l'usage de colorants inappropriés qui aurait selon eux fragilisé les séries de disques concernés par le problème. Comme le montre la citation ci-dessus, les maisons de disques sont d'abord restées extrêmement méfiantes devant ces résultats étonnants. Mais avec le temps, il s'est avéré que les inquiétudes de Nimbus étaient parfaitement fondées.

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Pourquoi la déliquescence des disques présente un risque majeur pour les disquaires et les collectionneurs

En 2013, un blogueur du site RF Generation a constaté que certains CD de jeux vidéo commandés sur Internet se corrompaient avant même qu'il n'ait réceptionné son colis. Il a donc lancé une alerte au sein de la communauté des collectionneurs, appelant à la plus grande vigilance sur l'évolution des collections de jeux gravés un support physique de type disque.

Le blogueur, qui écrit sous les pseudonymes "slackur" ou "Jesse Mysterious", a par la suite mené une investigation méticuleuse dans sa collection et est allé de surprise en surprise : de nombreux CD, qui n'avaient pourtant jamais été utilisés, étaient parsemés de taches blanches extrêmement louches. Un cas majeur de dégénérescence de disque.

Il témoigne :

Même quand il s'agit simplement d'un petit point sur le disque, cela signifie que le CD a subi des dommages que l'on ne pourra jamais réparer.  Aucun processus, aussi sophistiqué qu'il soit, ne permettra jamais de restaurer les données perdues. Pire, le processus de dégénérescence risque de s'aggraver au fil des années.

Sur Internet, de nombreuses sources prétendent que le disc rot est un phénomène marginal restreint à certaines années de production, certains fabricants, et à certains formats (comme le CD-r) seulement. Mais pour les besoins de l'enquête, j'ai examiné plusieurs centaines de jeux provenant d'éditeurs différents, comme Sega, Turbo CD, Saturn, Dreamcast. J'ai trouvé des dizaines et des dizaines jeux dont le CD était endommagé. Parmi eux, des jeux que j'avais payés une petite fortune. Au premier abord les CD paraissaient intacts, mais quand je les plaçais devant une source lumineuse je pouvais parfois apercevoir de minuscules petits points blancs. Pour certains, il était désormais impossible de les lire sur ma console. Même chose pour les jeux qui étaient toujours restés scellés dans leur boite. Pour un collectionneur passionné comme moi, c'était un cauchemar. Mes nerds ont été mis à rude épreuve.

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Michele Youket, spécialiste de la conservation des documents à la Bibliothèque du Congrès américaine, est souvent confrontée à des situations similaires. Elle explique que ce type de destruction silencieuse se manifeste sous trois formes différentes : 1/ le « bronzage » des disques 2/ l'apparition de petits trous de la taille d'une tête d'épingle 3/ le « pourrissement » des bords du disque. Ce phénomène est devenu préoccupant pour la bibliothèque nationale quand l'organisation a commencé à archiver de la musique sur des formats CD ; la vulnérabilité de ce format est alors apparue très rapidement.

Elle s'explique pourtant assez facilement : si les disques optiques se ressemblent tous au premier abord, ils possèdent parfois des différences structurelles notables liées à des contraintes de production différentes. Ces contraintes peuvent avoir un effet majeur sur la conformation du produit fini. Un disque ancien n'a pas nécessairement été fabriqué avec les mêmes produits chimiques qu'un disque plus récent, et heureusement, les techniques de fabrication sont de plus en plus sophistiquées.

Le fabricant britannique Philips et Dupont Optical (PDO), a créé une hotline spécifique pour recevoir les plaintes des clients ayant vu leurs disques "bronzer". Entre 1988 et 1993, PDO a fabriqué plusieurs séries de CD sur lesquels avaient été utilisée une laque de moindre qualité non résistante au soufre. C'était extrêmement problématique dans la mesure où les normes de fabrication de l'époque imposaient la présence de souffre dans certaines couches du support : la couche de protection du disque était donc susceptible de l'endommager au lieu de le protéger. La surface des CD concernés, constituée principalement d'aluminium, s'est donc progressivement érodée, provoquant cette couleur "bronze" distinctive et endommageant la qualité acoustique des disques. Devant ce problème majeur, PDO a proposé de remplacer tous les disques concernés entre 1991 et 2006.

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Selon Youket, ce genre d'incidents fréquent avant les années 2000 est de plus en plus rare. Cependant, il faut contrôler l'état des vieux disques régulièrement si l'on veut les conserver.

"Ces problèmes ont disparu progressivement au fur et à mesure que les technologies se sont améliorées. Toutefois, les nouveaux formats de disques, plus complexes, amènent sans doute avec eux de nouvelles vulnérabilités que l'on n'avait pas anticipées", a expliqué Youket. Selon elle, l'expression de disc rot est inadéquate, dans la mesure où les disques ne "pourrissent" pas vraiment : ils s'exposent à l'érosion parce que la couche de protection ne fait pas son boulot.

Le cauchemar des propriétaires de Laserdisc

Les propriétaires de CD ou de DVD qui veulent savoir ce qui les attend n'ont qu'à s'adresser aux fans du format Laserdisc, durement touchés par le phénomène de disc rot. Ils ont connu l'horreur des glitches, soubresauts et autres couinements de lecture des formats audio ainsi que les vidéos couvertes de neige.

Les Laserdisc concernés avaient adopté un étrange aspect cotonneux (comme le montre cette vidéo YouTube mettant en évidence la corruption d'une copie de Saturday Night Fever) ; à cause de cette vulnérabilité majeure le format Laserdisc (sensé reproduire une qualité audio et vidéo supérieure) a rapidement perdu tout intérêt.

Le problème a été si dramatique au sein de la communauté des fans de Laserdisc que la Laserdisc Database (LDDB), une plateforme essentielle pour tout collectionneur qui se respecte, avait créé une page dédiée aux films qui avaient été produits sur des supports réputés vulnérables.

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De même que l'usine PDO avait été montrée du doigt pour avoir fabriqué des disques "bronzés", une usine américaine spécifique a été rendue responsable de tous les maux du format Laserdisc : l'usine Sony DADC, située dans l'Indiana. Si vous vous lancez dans des recherches sur cette affaire célèbre, vous tomberez très probablement sur de nombreuses théories du complot : certains collectionneurs accusent Sony d'avoir volontairement fabriqué des disques incapables de résister au temps et d'avoir mis au point une stratégie d'obsolescence programmée à long terme.

"La plupart des usines ont rencontré ce problème un jour où l'autre sur une série de produits, mais elles l'ont réglé assez vite. L'usine DADC, en revanche, n'a jamais fait le moindre effort pour améliorer ses produits", écrit Josh "Laserdisc Guru" Zyber sur son site web en 2005.

Ce problème n'est pas anecdotique et a des conséquences à long terme : les archivistes et collectionneurs amateurs cherchent désespérément un moyen de préserver des oeuvres et documents rares sur le long terme, et n'y parviennent pas. L'année dernière, le journaliste Sean Cooper racontait qu'en jetant une copie Laserdisc de Dragon's Lair par mégarde, il avait failli se priver du jeu d'arcade, sorti il y a 30 ans, pour toujours. Heureusement, un Rasberry Pi lui a sauvé la mise.

Évidemment, peu de consommateurs tiennent absolument à conserver une oeuvre dans son format d'origine : la plupart ne rechignent pas à passer de format en format au gré des modes, des nouvelles normes et des progrès techniques.

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Que faire alors des supports qui n'intéressent plus personne, ou presque ? Bonne question. Ce qui est sûr c'est que les entreprises ne sont guère intéressées par cette question.

Les archives du WNYC sont en grandes parties gravées sur des CD-R, qui résistent très mal au temps.

Selon la Bibliothèque du Congrès américaine, il existe aujourd'hui un format de disques spécialement conçu pour les archives ; ce dernier garantit une bonne conservation des données, le temps que celles-ci soient numérisées (mais toutes les institutions ne possèdent pas les budgets nécessaires pour mettre en oeuvre un projet de numérisation). Un collègue de Youket, Peter Alyea, spécialiste de la conversion numérique, explique que le passage au cloud computing a poussé de nombreuses institutions et entreprises à délaisser la gestion des supports physiques.

"Les médias physiques périclitent progressivement, notamment chez les consommateurs. Cela encourage les éditeurs à s'en désintéresser, eux aussi", explique-t-il. "Les consommateurs se préoccupent avant tout de l'accessibilité des données personnelles stockées à distance et de l'accès au divertissement (musique, vidéo, jeux). Tant qu'ils peuvent lire un film en streaming dans la seconde ou ouvrir un dossier de photos de vacances stocké en cloud, ils sont heureux. On aimerait que les éditeurs s'intéressent au devenir des supports physiques qu'ils ont vendu par le passé, mais il ne faut pas rêver."

La plupart d'entre nous se satisfont de l'entrée dans l'ère du cloud computing. Pour les archivistes, c'est un autre problème : la numérisation est une activité longue, difficile, au cours de laquelle la perte de données est quasi inévitable. Lorsque ces données sont stockées sur des disques, l'archiviste se transforme en super-héros discret, oeuvrant dans le silence de salles vides et froides. Puissions-nous reconnaître leur travail à sa juste valeur.