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Toutes les photos sont de Maté Oz
Société

Vivre en squat pendant les études pour contrer la crise du logement

Derrière le choix de Zoé, étudiante en psychologie, se cache une angoisse plus profonde liée à l’état actuel du marché du logement.
Lola Boom
Brussels, BE

Dans notre série Occuper pour résister, on s'immerge dans des lieux occupés pour tenter de comprendre comment les gens s'organisent et militent pour leurs droits.

Il y a les étudiant·es qui restent avec leur famille, puis il y a celles et ceux qui partent. Alors que le coût des loyers et le prix de l’énergie continuent de grimper, les premières envies d'indépendance deviennent complexes. Si l’on ajoute, aux prix exorbitants, les propriétaires avares voire carrément salauds, les colocs aléatoires et le charme douteux de certaines habitations - à base de souvenirs puants de pigeons et de souris affamées, je parle en connaissance de cause -, naviguer entre les obstacles peut autant vous épuiser que complètement vous plomber le moral. Je me pose alors la question : est-ce qu’il faudra bientôt être riche pour vivre en ville ? Je veux dire, y vivre bien ?

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Zoé* (26 ans), étudiante en psychologie à Bruxelles, a fait un choix que beaucoup pourraient considérer comme peu attrayant et radical face à cette crise : vivre en squat. Pourtant, le soir de son déménagement, il y a un an et demi, l’excitation l’empêche de dormir. « J’avais l'impression de vivre une crise maniaque. C’était un nouveau truc qui se mettait en place dans ma vie », me confie-t-elle lorsque je la rencontre un vendredi de fin d’été, où l’appréhension de la rentrée commence doucement à se faire ressentir. 

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Photo : Maté Oz

Un squat dans la capitale des logements vides

Au début de ses études, Zoé s’en sort encore avec des bons plans ; comme quand elle dort dans le garage d’une maison pour 250 euros par mois, qu’elle finance avec un job d’appoint. Mais avec l’augmentation des prix du logement et les demandes de bourse d’études qui n’aboutissent pas, ça devient de plus en plus compliqué pour elle. « Mon dernier plan, je le payais 480 balles. L’endroit était horrible, c’était dégueulasse. Je devais m'empêcher de faire plein de trucs. C’était un stress permanent. »

Hormis les aléas liés à la pression financière, la cohabitation avec son coloc’ se passe mal. « J’en ai parlé à une collègue qui savait qu’il y avait une place vide dans un squat et j’ai été rencontrer le groupe », poursuit Zoé. C’est une aubaine pour elle, qui avoue être attirée par la vie en communauté depuis longtemps et, à cet égard, avoir traîné une frustration : « J’ai toujours pensé que je devrais attendre au moins 15 ou 20 ans avant de quitter Bruxelles pour aller [vivre en collectif] à la campagne. »

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S’il existe « autant de personnes que de raisons de squatter », le type de squat comme celui dans lequel Zoé a posé son sac à dos essaye de pallier deux problématiques principales : l’aspect financier donc, et l’aspect politique par la suite. « Politiquement, c’est important pour moi d’occuper ces bâtiments vides et d’essayer de faire bloc [face à la crise du logement]. » Bruxelles - où la situation fait débat depuis des plombes - est connue pour ses millions de mètres carrés inoccupés : plus de 6,5 millions, l’équivalent d’une commune comme Ixelles. Cela dit, cette statistique comprend notamment une série de bâtiments qui ne peuvent pas directement être convertis en logements. Selon un projet de recherche de l’ULB et la VUB, le nombre de logements inoccupés tournerait autour des 17 000 à 26 400.

En ce qui concerne le déroulement, elle m’explique qu’après être entré dans un bâtiment vide, son groupe tente de contacter la personne qui détient le lieu, même si ça ne fonctionne pas toujours, pour fixer une période temporaire d’occupation. Parfois, celle-ci refuse et lance directement une procédure d’expulsion. « C'est un peu la roulette russe, tu ne sais jamais comment ça va se passer. Tu as très peu de chances d'avoir une réponse et encore moins une réponse positive si tu essayes de contacter le proprio avant de rentrer dans son bâtiment. »

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Une fois arrivée - même si Zoé qualifie son squat d’« éclaté », et malgré une odeur douteuse au niveau de la moquette et « une trace non identifiée sur son matelas » -, elle décrit cette période comme l’une des plus heureuses de sa vie : « J’ai posé mon sac. Je me suis tellement sentie bien. » Car si vivre en squat demande beaucoup d’investissement, Zoé trouve de la satisfaction dans les petits détails de la vie quotidienne. « Même des conneries, ajoute-t-elle. On va faire les poubelles et on revient avec 2 sacs IKEA remplis de bouffe, avec du saumon, et même parfois du foie gras. Tu rentres à la maison et tu remplis les frigos de bouffe de luxe alors que t’as payé zéro thunes. C’est plein de petits trucs comme ça qui me rendent éperdument heureuse dans la vie en collectivité. »

Ce qui plaît donc à Zoé c'est une sorte d’idéal libertaire et communautaire vers lequel de plus en plus de gens tendent à se diriger. Et, plus simplement, le fait de ne plus devoir payer un loyer excessif à en donner des ulcères à l’estomac.

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Photo : Maté Oz

La fuite du marché, à l’abri des réappropriations politiques 

« C'est une forme de fuite. On veut se mettre en dehors de ce marché. Parce que ce n'est plus possible », observe Mathieu Van Criekingen, quand je lui demande ce qu’il pense de la situation des étudiant·es qui en viennent à choisir le squat plutôt qu’un loyer excessif. Mathieu est enseignant-chercheur en géographie et études urbaines à l’ULB ; il est aussi l’auteur du livre Contre la gentrification (La Dispute, 2021).

« On observe que la part du budget des ménages consacrée au logement augmente sensiblement, pose Mathieu. On voit aussi une augmentation du sans-abrisme, mais pas autant. Ça veut dire que l'essentiel des personnes restent logées mais en payant toujours plus. » Parallèlement à l’augmentation du sans-abrisme ou, pour les locataires, du budget destiné au loyer, la crise du logement touche aussi les personnes sans logement fixe, qui se débrouillent au jour le jour, et qui sont invisibilisées par ces statistiques ; comme l’informe Philip de Buck, directeur du centre jour L’Îlot, une ASBL qui lutte contre le sans-abrisme.

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Une tendance alors souvent présentée comme solution face à cette crise et au manque d’hébergement est celle des occupations temporaires conventionnées. Autrement dit, l’occupation pendant une période fixe d’un bâtiment à l’usage de projets à portée sociale comme la Serre, un espace mis à disposition pour développer des initiatives solidaires et collectives. Mathieu nuance concernant l’impact de ces initiatives qui, en général, sur papier, apparaissent comme irréprochables. Pour lui il s’agit surtout « d’outils de gestion du vide par les pouvoirs publics, voire même par des promoteurs immobiliers ».

En fait, il décèle dans ce type de projet des intérêts cachés : « Ce qui est plus problématique c'est que l'occupation temporaire, par définition, est temporaire. Tous ces beaux projets peuvent se déployer tant que le propriétaire n'en a pas besoin, mais une fois qu'il en aura besoin, il faudra aller voir ailleurs. Pendant ce temps-là, le propriétaire a utilisé ce beau projet pour rendre son lieu sympa, pour le faire connaître, pour faire venir des gens. On voit bien que ça sert à aider tous les développements immobiliers qu'il y a autour. » Un exemple parlant, c’est le Studio City Gate, qui accueille le skatepark Byrrh, menacé pour la troisième fois d'expulsion alors qu’il constitue l’un des seuls lieux d'accueil pour la communauté skate de Bruxelles. 

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Avec ces nouveaux projets d’occupation temporaires qui se développent, certaines personnes qui vivent (et militent) en squat ont l’impression qu’une dépolitisation ou professionnalisation du squat gagne du terrain. En réalité, ça fait quelques années que son institutionnalisation pose question ; alors même qu'à l’opposé de ces occupations légales valorisées par les pouvoirs publics, les mesures oppressives concernant les « vrais » squats voient aussi le jour. La loi anti-squat de 2017 va dans cette direction en permettant aux propriétaires d’introduire une plainte qui réduit les délais d’expulsion des squatteur·ses à 8 jours (avec recours possible) et les criminalise. Au niveau européen, des lois similaires apparaissent aux Pays-Bas ou encore en France. Pour Mathieu Van Criekingen, il s’agit « de clairement faire une distinction entre les bons et les méchants. Et les méchants, on peut leur envoyer la police. » Il ne faut pas oublier le rôle des pouvoirs publics comme responsables de ces politiques, rappelle le chercheur.

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Photo : Maté Oz

« À mon avis, il va y avoir de plus en plus d’étudiant·es en squat. »

Il n’en reste pas moins qu’au-delà même des nouvelles lois qui compliquent le fait de squatter, vivre dans une telle situation durant ses études n’est pas un choix à prendre à la légère. Quand Zoé et son groupe emménagent dans un nouveau bâtiment vide en février dernier, il n’y a pas de différence de température entre l’intérieur et l’extérieur, et pas d’eau chaude non plus. « Tu dois étudier et t’es immobile à ton bureau ; tu te cailles les miches, explique-t-elle. T’as des gants, 40 pulls en écharpe. T’essayes de bosser mais tu ne sais rien faire parce que t’es bloquée par le froid. »

Au-delà des problèmes de la vie quotidienne, la peur de l’expulsion est constante. « Il y a un côté ultra stressant quand t’emménages dans un nouvel endroit parce que tu ne sais pas ce qui va se passer, remet-elle. T’es hyper parano. Dès qu’il y a un mec en costard qui passe, tu te dis : “c’est le proprio.” T’es dans un état de tension constant. Devoir gérer cette charge mentale d’occuper un bâtiment, plus le froid, tes exams… Franchement, faut avoir de la force de caractère pour tenir dans ce truc-là. »

Il y a aussi eu des épisodes plus lourds, surtout quand les squats hébergent des personnes sans-papiers. « J’ai déjà entendu des histoires avec des proprios chtarbés qui rentrent avec des battes en métal pour les frapper, en mode “Ils n’ont aucun droit, ils ne sont pas considérés comme des humains”. » C’est une nuance importante à ses yeux : « Les squats de blanc·hes, ou les squats de sans-papiers, aux yeux de la justice, de la police et des proprios, ça n’a rien à voir. On ne vit pas les mêmes réalités face aux institutions. »

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Zoé dit parfois ressentir un décalage avec le reste du milieu universitaire. « Ce ne sont pas les mêmes préoccupations, dit-elle. Mais j’essaye de faire en sorte que le décalage ne soit pas trop grand, sinon ça t’isole. Ce n’est pas du tout ce dont j’ai envie. » Et si elle ne connaît pas vraiment d’étudiant·es dans une situation similaire à la sienne, elle pense que ce n’est qu’une question de temps : « À mon avis, il va y avoir de plus en plus d’étudiant·es en squat. »

Aujourd’hui, Zoé ne souhaite même plus retourner sur le marché du logement – même si elle le pouvait. Après ses études, hormis un job à mi-temps, son énergie sera répartie entre le squat et des projets et événements collectifs, comme des concerts ou des brocantes. « J’ai toujours travaillé, depuis que j’ai 16 ans. Je sais que l’année prochaine, si je le veux, je pourrais payer un loyer. Je pourrais aussi trouver un temps plein. Mais je sais aussi que si je fais ça, ça me rendra triste. Quand je pense qu’un jour je vais devoir quitter le squat et me retrouver sur ce marché du logement, c’est une source d’angoisse énorme », conclut-elle.

« Pour vivre en squat, objectivement, il faut des compétences, un état d'esprit, remet Mathieu. On ne va pas demander à la petite dame de 82 ans d’aller vivre en squat. Ce n’est pas possible. » Si le squat représente un mode de vie minoritaire qui correspond aux attentes et aux convictions de Zoé, réaliser que cette option constitue une alternative viable pour certain·es étudiant·es (ou autres catégories précarisées) qui veulent s’émanciper du foyer familial montre à quel point la crise du logement est sévère à Bruxelles. Pour un nombre croissant de personnes - aux études ou pas - l’étau se resserre et la question de l’accès au logement gagne du terrain alors même qu’on en maîtrise de moins en moins les tenants et les aboutissants.

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*Le prénom a été changé afin de préserver son anonymat et sa sécurité.

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