FYI.

This story is over 5 years old.

column

Comment j'ai mis un terme à ma relation abusive

Il a fallu que je défonce une planche à repasser à coups de batte avant de trouver la force de quitter ma copine.

Image via

J'ai rencontré Angelo sur un tournage à Berlin. On avait tous les deux été embauchés pour jouer dans une publicité allemande. Les producteurs ne voulaient pas que le reste des acteurs, tous blonds aux yeux bleus, ne renvoient une mauvaise image, et ils avaient cherché des acteurs non-allemands à la dernière minute. Ils avaient trouvé Angelo, un Canadien noir, et moi, un Irlandais roux.

Il y a eu pas mal de coupures sur le tournage, et Angelo et moi avions eu l'occasion de discuter. Mais nos conversations étaient sans cesse interrompues par une engueulade par texto avec ma copine de l'époque, que j'appellerai Sara.

Publicité

« Il faut qu'on parle », m'avait-elle écrit.

« Attends que je sois rentré. »

« Maintenant ou jamais. »

« Sois pas ridicule. »

« Dis-moi que je suis ridicule encore une fois et je t'arrache le tête. »

Sara était polonaise. Elle faisait toujours quelques petites erreurs.

Angelo attendait patiemment alors que je m'arrêtais au milieu de mes phrases pour répondre aux attaques qui me parvenaient à travers l'écran fissuré de mon téléphone.

« Elle a l'air sympa », a ironisé Angelo.

« T'imagine même pas. Elle me crie dessus dans son sommeil. »

C'était un euphémisme. Non seulement Sara me criait dessus dans mon sommeil, mais elle me volait des choses – de l'alcool, des clopes, de l'argent, des vélos, des vêtements, plein de trucs. Elle volait à mes voisins aussi. Je devais sans cesse leur rendre des plantes qu'elle avait piquées chez eux. Elle me donnait des petites claques qui devenaient de plus en plus fortes quand on se bourrait la gueule. Une fois, je me souviens qu'elle m'avait frappé tellement fort sur l'oreille que les trois jours suivants, tout ce que les gens me disaient paraissait filtré, comme si j'étais au fond d'un puits. Une autre fois, je l'ai laissé dans un bar après une dispute et je suis rentré chez moi. Elle m'a suivi jusque chez moi et a jeté des cailloux aux fenêtres. Voyant que je ne répondais toujours pas, elle a enlevé ses bottes, l'une après l'autre, et les a balancées à travers les carreaux. Quand Sara voulait qu'on la remarque, on la remarquait. L'ordinateur avec lequel j'écris ces lignes a toujours une énorme fissure en forme d'éclair sur l'écran, souvenir de la fois où elle l'a poussé du bureau parce que je lui avais demandé de m'accorder « juste une petite minute chérie, s'il te plaît ».

Publicité

Sara n'était pas ma première relation abusive. J'étais attiré par ce genre de fille : celles qui boivent trop, qui sont sans cesse dramatiques, ont des ex à tous les coins de rue, des caractères à faire rougir un dictateur. Mais Sara était probablement la plus dure de toutes. Quand on se disputait, on se disait des choses que les couples normaux n'auraient jamais laissé passer. Elle me traitait de pédé, de lâche – et une fois, avec son accent polonais, de « sac à marde ».

Quand on se battait, elle finissait toujours par me frapper, me donner des coups de pieds, et je restais là à essayer de me protéger, pas parce qu'on m'avait appris qu'il ne fallait pas taper les filles, mais parce que celle-ci me faisait vraiment peur.

À chaque chaque fois qu'Angelo mentionnait Sara, je laissais échapper quelque chose comme « angoisse », « douleur », ou « la femme qui me gâche la vie ».

Sur le plateau ce jour là, la scène était simple : on devait tous les neuf – les sept aryens, moi et Angelo – courir vers la caméra avec un grand sourire. On a du la refaire pendant deux heures pour que le réalisateur finisse par être satisfait. Quand on a fini par réussir la scène, après quelques applaudissements, on a touché notre chèque de 500€.

Angelo m'a demandé ce que je faisais après.

« Je vais probablement rentrer me prendre la tête avec ma copine », ai-je répondu.

« Vas-y on s'en fout. Viens faire une session avec moi »

Publicité

« Une session de quoi ? »

« Une thérapie de psychodrame. J'ai pris un cours en ligne la semaine dernière je suis sûr que ça va t'aider. »

Angelo m'a expliqué que le psychodrame était une forme de thérapie dans laquelle on rejouait des expériences qu'on pourrait avoir ou qu'on avait déjà eu, afin de se préparer à y faire face ou réécrire sa propre histoire. La technique avait été inventée par un homme du nom de Jacob L. Moreno, qui prétendait qu'en rejouant des situations de leurs vies, les gens pouvaient trouver des solutions innovantes et spontanées à leurs problèmes.

J'avais déjà fait un peu de thérapie quand mon père était allé en cure de désintox, mais c'est tout. Les pauvres ne font pas de thérapie – au lieu de ça, on boit, on fume de la weed, on ne dort pas. Mais j'étais désespéré de ma situation avec Sara, et j'ai promis à Angelo que j'essaierais.

Article associé : Reddit a libéré cette fille de son mec violent

Angelo vivait dans le quartier gay de Berlin. Une fois arrivés chez lui, il m'a emmené dans son salon.

« N'aie pas peur d'être bruyant, m'a-t-il prévenu.

– Pourquoi je serais bruyant ?

– Tu verras. »

On a commencé par tourner en rond dans la pièce. Angelo m'a demandé de fermer les yeux et on a entamé un jeu d'associations. Angelo me disait quelque chose, et je devais répondre le premier mot qui me passait par la tête.

« Glace. »

« Vanille. »

« Été. » « Lac. »

« Sara. » « Stress absolu. »

Publicité

« Maison. »

« Maman. »

« Sara. »

« Chiante. »

On a joué un petit moment, et à chaque chaque fois qu'Angelo mentionnait Sara, je laissais échapper quelque chose comme « angoisse », « douleur », ou « la femme qui me gâche la vie ».

Puis Angelo m'a demandé de fermer les yeux, de les garder fermés, avant de sortir de la pièce. J'ai entendu le son métallique d'un objet qu'il traînait contre le sol, quelques déclics, puis Angelo m'a autorisé à ouvrir les yeux.

La première chose que j'ai vu, c'était Angelo, torse nu. Il avait des grosses poignées d'amour et ses tétons étaient percés de petits anneaux en métal. Dans ses deux mains, il tenait des battes de baseball en plastique ; une planche à repasser fleurie se trouvait devant lui.

« Ne t'inquiète pas si j'ai enlevé mon haut », m'a-t-il rassuré. « C'est mieux comme ça. Plus honnête. »

Il m'a filé une batte de baseball. Pendant un instant, j'ai cru qu'on allait se battre, mais il m'a demandé de concentrer toute la colère que j'avais envers ma copine dans la batte et de tabasser la planche à repasser. Je me sentais un peu ridicule, mais j'ai donné un petit coup de batte. « Plus fort », a crié Angelo, et j'ai frappé plus fort. « Plus fort, comme ça », m'a-t-il encouragé en sautant en l'air avant de faire tomber la batte sur la planche de toutes ses forces.

Je l'ai observé, lui et son pantalon cargo, ses bourrelets, ses anneaux à ses tétons, et parce que je me sentais mal de le contempler ainsi, je m'y suis mis également.

Publicité

Pendant les dix minutes suivantes, la planche à repasser a pris cher. On l'a frappée inlassablement, sans pitié, et quand nos bras sont devenus trop faibles, on s'est effondré sur le canapé pour contempler notre chef d'œuvre. Je ne comprenais rien à ce qu'il venait de passer, mais il fallait admettre que je me sentais bien.

Angelo m'a dit qu'il pensait que je serais guéri en quelques sessions.

« Guéri de quoi ? »

« De ton incapacité à te mettre en colère », a-t-il expliqué. « Je ne sais pas comment ni pourquoi, mais on a dû te dire que te mettre en colère était mal, et dès que tu t'énerves, quelque chose te bloque. Tu es toujours enragé, mais au lieu de sortir, cette colère reste en toi, dans tes tripes. »

« Et quel est le rapport avec Sara ? »

« Tu l'as choisie volontairement, pour régler ton problème », m'a-t-il rétorqué.

Je ne sais pas si c'est vraiment la raison pour laquelle des gens se retrouvent dans des relations abusives, mais tout de même, je me sentais beaucoup mieux à la fin de notre première session.

Article associé : Gaël Turpo photographie les mecs abîmés de Marne-La-Vallée

Ce soir là, je suis rentré sans voir Sara. Je l'ai appelée vers minuit pour voir ce qu'elle faisait, mais elle ne m'a pas répondu. Sara était une fille extrême – quand elle ne m'envoyait pas une avalanche de messages, c'était silence radio.

La session suivante, Angelo m'a même pas pris la peine de porter un pantalon. Il m'a ouvert la porte en slip.

Publicité

« Honnête, hein ? »

Il a hoché la tête. Il m'a invité à m'asseoir, et m'a demandé pourquoi, selon moi, Sara et moi nous battions aussi fréquemment.

« On veut tous les deux être artistes », ai-je expliqué.

« Donc vous êtes en compétition ? »

« Dès que l'un bosse bien, l'autre se dit qu'il a moins de chance de bien bosser. Comme si on puisait dans une source commune et tarissable. »

« C'est dur. »

« En plus on boit beaucoup tous les deux, ça n'aide pas ». On s'était fréquentés pendant plus d'un mois avant d'avoir notre première conversation sobre.

Angelo m'a demandé de fermer les yeux et d'imaginer que j'étais un animal. J'ai choisi le renard. Il m'a invité à décrire ma vie de renard. Je lui ai décrit mon terrier, que j'avais creusé moi-même, ma femme renard et mes bébés renards, nos siestes dans la prairie en été, nos jeux dans la rivière. Au fur et à mesure que je parlais, j'étais de plus en plus précis sur la vie du renard – je pouvais sentir la fourrure sur mon dos, les longs crocs dans ma bouche, ma petite queue touffue de renard entre mes petites pattes touffues. J'adorais être ce renard. Les renards ont la belle vie. Ils badinent toute la journée. Je suis revenu à mon terrier et j'ai senti les petites langues de mes bébés renards me lécher affectueusement.

« Quelque chose te tracasse M. Renard ? », a demandé Angelo.

J'ai réfléchi un moment, et réalisé qu'au delà de tout ce badinage, il y avait du stress. « Oui. J'ai peur que si je ne ramène pas assez de poules à la maison tous les soirs, ma femme va me quitter et garder les petits ».

Publicité

« Pourquoi te quitterait-elle si elle t'aime ? »

« C'est ce qu'elles font toutes », ai-je rétorqué. « Une renarde finit toujours par vous quitter. »

Une vague de tristesse s'est emparée de moi, et je n'étais plus le renard – j'étais moi – la vingtaine, maigrelet, en manque de vitamines et de fer. J'ai éclaté en sanglots.

Angelo a touché mon bras. « Si Mme. Renard t'aime, elle ne partira pas », a-t-il déclaré.

Angelo a quitté la pièce et à son retour, j'ai entendu la planche à repasser se déplier. Je me suis levé, je me suis emparé de la batte en plastique et on a défoncé la planche jusqu'à ce qu'il ne reste plus qu'un petit tas.

J'ai regardé mon propre corps. J'avais enlevé mon t-shirt. Puis j'ai fixé Angelo, à bout de souffle.

« Tu deviens honnête », a-t-il dit.

Cette nuit, Sara m'a appelé vers 23h. Elle était bourrée et voulait que je la rejoigne. Je me suis rappelé de mon petit monde de renard – la prairie accueillante, les petits bébés emmitouflés dans le terrier, l'odeur de leur souffle mêlée à celle de la terre, ma petite femme et ses jolis crocs. J'ai dit non. Et quand Sara s'est mise à me crier dessus, j'ai fait quelque chose dont je ne pensais pas être capable : raccrocher.

Mais ça ne marchait pas vraiment avec Sara. Elle m'a rappelé au moins dix fois avant que je n'éteigne mon portable. Environ une heure et demie plus tard, j'ai entendu la sonnette. Je n'ai pas répondu. Et puis j'ai entendu toutes les sonnettes de l'immeuble. C'était comme une sonnerie de vieux Nokia. Elle a fini par atterrir devant ma porte et à la marteler de ses deux poings. Si j'avais pu me cacher dans mon placard entre les manteaux et attendre en boule que la tempête passe, je l'aurais fait – mais je savais que si je n'ouvrais pas, elle continuerait à frapper toute la nuit.

Publicité

Sara avait une façon de parler (crier) qui me ramenait aux vestiaires de l'école et à une enfance passée à fuir les gamin plus vieux qui, quand ils vous chopaient, vous laissaient le choix entre un coup de pied dans les couilles ou manger de la merde de chien. Je choisissais toujours la merde. Encore aujourd'hui, je peux voyager partout, en Inde, en Thaïlande, au Maroc, et manger à peu près n'importe quoi sans tomber malade.

J'ai ouvert la porte. Sara a essayé de me donner un coup de poing avant de tomber par terre, ivre morte. Je l'ai bordée dans mon lit. Le lendemain, je me suis éclipsé pour aller voir Angelo. On était censés avoir notre dernière session.

À ce stade, j'étais parfaitement habitué au fait qu'Angelo ne portait rien d'autre que ses sous-vêtements dans son appartement. Je me suis assis et Angelo a placé deux chaises au milieu de la pièce, face à face.

« Tu veux laquelle ? » m'a-t-il demandé.

« Je sais pas. »

« Choisis-en une et assieds-toi. »

J'ai pris place dans la meilleure chaise. Angelo a jeté un coussin rouge sur la chaise vide.

« C'est Sara.

- Pardon ?

- Le coussin sur la chaise est Sara, et tu vas avoir une discussion avec elle.

- Quel genre de discussion ?

- Tu vas la quitter.

- Non, je ne vais pas faire ça.

- Si, tu vas le faire.

- Mais elle va péter un câble.

- C'est un putain de coussin », a répliqué Angelo. Il avait raison.

« Désolé, mais ça ne peut pas continuer », ai-je dit au coussin. Le coussin est resté assis là, en silence.

Publicité

Je regardai le coussin. Il n'avait pas l'air de grand-chose. Il n'avait pas l'air de pouvoir démonter une porte au milieu de la nuit et hurler jusqu'à ce que tous les voisins et les voisins des voisins soient réveillés. Même si on y rajoutait des rasoirs et qu'on y foutait le feu, ce coussin n'aurait pas pu être aussi effrayant que pouvait l'être Sara. J'ai donc commencé à lui parler.

« Sara, je suis désolé mais ça ne peut pas continuer » lui ai-je dit. « Tu es géniale, mais c'est trop pour moi. »

Le coussin est resté assis, là en silence. J'ai senti la main d'Angelo sur mon épaule.

« Est-ce qu'on peut défoncer la planche maintenant ? »

« Non », a-t-il refusé. « Maintenant, il s'agit juste de parler. »

Je n'ai pas rompu avec Sara ce soir là, mais l'après-midi suivant. J'avais prévu le coup pour qu'elle soit un minimum préparée. Je lui avais dit que je voulais la voir dans un terrain neutre pour parler, et j'avais choisi un parc entre nos deux appartements. C'était un parc très vivant : des gamins jouaient dans le bac à sable, des junkies se lançaient des frisbees, quelques clodos demandaient des pièces. J'ai été très direct.

« Je pense qu'on devrait rompre », ai-je dit.

« On ne rompt pas », a répondu Sara.

« Moi si. »

« Non. »

« Au revoir », ai-je conclu, et je suis parti sans me retourner. J'ai entendu le son d'une bouteille frôlant mon oreille et s'écrasant sur le sol devant moi.

Je ne sais pas pourquoi je suis resté avec quelqu'un qui me traitait comme de la merde. Je ne pense pas que c'était pour résoudre un quelconque problème avec ma personnalité, mais je crois sincèrement que j'en suis sorti plus fort. Il y avait quelque chose de familier dans la tyrannie que m'imposait Sara, qui me rappelait mon enfance de punching ball, et aussi taré que ça puisse paraître, ça m'excitait.

Sara n'a pas vraiment disparu. Je l'ai croisée un soir, et elle m'a poursuivi avec un gros cadenas à vélo. Elle a aussi essayé de défoncer ma fenêtre avec un caillou, mais elle était si torchée qu'elle s'est trompée de fenêtre et de rue. La dernière fois que je l'ai vue, c'était dans un bar. Elle était bourrée et son anglais s'était empiré.

« Je voulais te dire quelque chose », a-t-elle commencé « Tu es patatique. »

Je l'ai regardée. Elle avait l'air plus petite.

« Merci », ai-je répondu, et je suis parti.

Je ne sais pas ce qu'elle est devenue, ni Angelo d'ailleurs. Il avait été pris pour un rôle de figurant dans un drame colonial italien et n'est jamais revenu. Mais si je sais bien une chose, c'est qu'apprendre à faire face à une planche à repasser m'a aidé à faire face aux gens, et c'est une leçon que je garderai à vie. Comme l'image d'Angelo, dans la lumière éclatante de son appartement, sa sueur qui perlait sur ses bourrelets et sur son caleçon, que je n'oublierai jamais.

Suivez Conor Creighton sur Twitter.

Les relations abusives sont un vrai problème et peuvent devenir dangereuses. Si vous avez besoin d'aide pour vous sortir d'une relation abusive, n'hésitez pas à contacter des numéros d'urgence.