FYI.

This story is over 5 years old.

Culture

Ce que signifie être un teenager aujourd'hui

Jon Savage et Matt Wolf m’ont parlé de leur nouveau film, Teenage.
Jamie Clifton
London, GB

Photos d'archives du film publiées avec l'aimable autorisation de Margaret PR

Il y a soixante-dix ans, les ados – les teenagers – n'existaient pas. Il y avait des jeunes, bien sûr, mais personne ne les appelait ainsi ; c’était la « future force de travail ». Ils portaient des costumes trois-pièces, fumaient la pipe et prenaient des leçons d'élocution à 13 ans. Un soir, ils se couchaient gamins et se réveillaient adultes. Mais à la fin de la seconde guerre mondiale, la vision de l'adolescence a changé : de quelques années passées à étudier pour devenir avocat ou à se préparer à travailler dans les mines de charbon, c’est devenu La Meilleure Période de la Vie. En 1945, le New York Times a publié un article qui définissait ce nouveau mot un peu bizarre – « teenage » – et ce concept s'est ancré dans la conscience collective.

Publicité

Il y a quelques années, le parolier et historien culturel, Jon Savage, a écrit un livre sur le sujet qui s'appelait Teenage: The Creation of Youth 1875-1945. L'adaptation cinématographique de son livre, réalisée par le cinéaste américain Matt Wolf avec une musique originale de Bradford Cox, est sortie sur les écrans au Royaume-Uni le 24 janvier – pour l’instant, le film ne trouve malheureusement pas de distributeur en France. Je les ai appelés tous les deux pour parler des mouvements de jeunesse et converser sur la beauté de la vie quand on est adolescent.

La bande annonce de

Teenage

VICE : Au début de votre film, vous affirmez que le teenager est une invention de la guerre. Y a-t-il des mouvements de jeunesse d'avant-guerre que vous avez mis de côté ?
Jon Savage : Ils ne dataient pas d'avant-guerre, mais ceux qu'on a laissés de côté sont les Zazous. C'était un courant de mode français qui est né sous l'occupation de Paris, au début des années 1940. Ils aimaient le swing des Noirs américains – interdit à l'époque –,portaient des vêtements anglais, organisaient des soirées privées en cachette, essayaient d'éviter le travail forcé et de faire chier la Gestapo. Ils ont également fait quelque chose de fabuleux : quand les lois sur le port de l'étoile jaune ont été promulguées, ils ont fabriqué leurs propres étoiles avec écrit « Swing » au lieu de « Juif ». Il y a aussi eu d'autres groupes mais on n'a pas trop approfondi leur histoire dans les détails – les mouvements de retour à la nature des années 1920, comme les Wandervogel par exemple.

Publicité

Ah ouais, les proto-hippies allemands qui vivaient nus dans la forêt. Ce mouvement a-t-il vu le jour pendant la première guerre mondiale ?
Jon : Non, en fait ce collectif est apparu dans les années 1900 en Allemagne.

Donc ce n'était pas en réaction à la guerre ?
Jon : Eh bien, c'était une réaction à la militarisation et à l'industrialisation de la société allemande. Il y avait aussi un écart de génération entre les adolescents et leurs parents, et à partir des années 1920, beaucoup de groupes se sont formés. En fait, la quantité de groupes qui sont apparus est ahurissante, ça allait de bandes proto-fascistes aux rassemblements de hippies.

Donc, diriez-vous que les Wandervogel étaient le premier mouvement de jeunesse, dans le sens moderne du terme ?
Jon: Si l’on définit un mouvement de jeunesse comme un truc où les jeunes essaient de trouver un certain degré d'autonomie et tentent de comprendre ce que signifie être un jeune, alors je dirais que oui.

Des Wandervogel.

Donc si ça a été le premier mouvement de jeunesse – avant l'invention du terme « teenager » –, d'après vous, qu'est-ce qui a contribué à la définition de ce concept « d'adolescence » tel qu’on le connaît aujourd'hui ?
Matt Wolf : Je pense que « l'adolescent » est vraiment né comme une sorte de consommateur démocratique pendant la guerre, dans les années 1940, quand les jeunes ont commencé à travailler et à gagner de l'argent. Ils sont devenus indépendants et ont eu le pouvoir de se définir personnellement par l'achat de musique, de fringues, de produits cosmétiques… Ils ont établi leur valeur en tant que citoyens démocratiques qui contribuaient positivement à la société, mais ils ont aussi mis en avant leur influence et leur pouvoir en tant que consommateurs capables d’acheter des produits et de créer des marchés.

Publicité

Dès le début, les jeunes ont été définis par l'establishment et le marché. L'adolescence est censée se fonder sur la liberté et la rébellion, mais même le mot « teenager » n'entre pas dans le vocabulaire commun jusqu'à ce que le New York Times en écrive une définition codifiée.
John : Ouais, c'était une combinaison des adultes qui acceptaient enfin les idées des teenagers tout en conservant une forme de contrôle sur eux.
Matt : Clairement. C'est un compromis productif et utile parce que si les jeunes n'étaient pas supervisés, ils seraient probablement hors de contrôle. Mais le film montre aussi que lorsque les jeunes sont endoctrinés comme sous Hitler et le nazisme, cela s’avère extrêmement destructeur.

J'ai remarqué dans le film que les deux guerres ont propagé la culture jeune – en exportant la musique et les idées de l'Amérique jusqu'en Europe – tout en la détruisant, puisque les jeunes étaient envoyés à la mort, en tant que soldats.
Jon : Exactement. Le swing et les groupes afro-américains n'étaient pas répandus avant la guerre – c'était plus un phénomène d'avant-garde. Ensuite, les Américains sont venus et les adolescents anglais ont connu cette autre vie.
Le swing en lui-même est véritablement fascinant parce qu’il s’agit de la première youth culture internationale, en Occident, et il regroupe tout. C'est incroyable de voir comment il a été utilisé, comme je le disais, par les Zazous et par les Swing Kids de Hambourg (les Zazous allemands) pendant la seconde guerre mondiale, comme méthode de résistance. Ça n'était pas politique ; tout ce qu'ils désiraient, c'était de faire ce que font les jeunes aujourd’hui : écouter de la musique, passer du temps avec leurs potes, avoir des relations sexuelles, et désobéir. Et pour avoir fait tout ça pendant l'occupation de l'Europe par les nazis, ils ont été envoyés dans des camps de travail forcé, battus, envoyés sur le front de l'Est, dans des camps de concentration.

Publicité

Des Swing Kids.

Ouais. Lorsque le swing a finalement été accepté, tout le monde a voulu participer à ce mouvement. Mais plus tard – dans les années 1980 et 1990 –, il semble que moins de personnes ont souhaité intégrer le mainstream, pour plutôt s'imposer en tant qu'« individu ».
Jon : Ça n'est pas mon expérience en tant que jeune entrant dans la youth culture, mais je pense que ce que tu décris s'est accéléré au cours des dix dernières années. Je pense que c’est à mettre en lien avec la privatisation de l'individu – causée par les réseaux sociaux et les appareils électroniques –, la fragmentation de la conscience et la fragmentation de la cohorte des jeunes en général. J’ai 60 ans, et quand j'étais jeune, c'était la mode des hippies, puis du glam rock, puis du punk rock : et le punk rock parlait de cette accélération de la transmission de l’information et de la privatisation de l'individu. Aujourd'hui, on vit dans cet avenir de science fiction qui a été prophétisé quand j'étais gosse.

C'est pour ça qu'il n'y a eu aucune nouvelle subculture jeune depuis dix ans – avec de la musique et des vêtements particuliers, mais aussi un ensemble distinct d'idéaux auxquels les gens peuvent s'identifier, comme le mouvement hippie, ou punk, ou rave.
Il y a plusieurs raisons à cela. J'avais ton âge en 1977, quand j'ai commencé dans l’industrie de la musique. C’était destiné aux kids – un vrai parc à bébés –, pas aux adultes. Ça a changé dans les années 1980 : l'industrie musicale a arrêté de cibler les adolescents – entre 15 et 24 ans – et se sont mis à cibler des individus plus vieux. La consommation de musique n'était plus l'apanage des adolescents. Les jeunes ont perdu leur statut particulier, ce qui est une partie du problème, je pense.
Et, au début des années 80, le gouvernement Thatcher a lancé une attaque politique contre les jeunes, et cela continue certainement avec le gouvernement actuel, quand on regarde la dégradation sociale des jeunes, le chômage chez les jeunes, les frais universitaires en hausse… Tout ça me met dans une putain de rogne. Si un pays n'investit pas dans sa jeunesse, alors il est perdu. C'est le message de Teenage : les adolescents sont essentiels, il faut écouter ce qu'ils ont à dire. Ce qui se passe en ce moment m’énerve vraiment. Certains jeunes sont en colère contre les gens de ma génération, mais ce n'est pas ma putain de faute ! Je n'ai pas voté Thatcher et je n'ai pas voté pour ce gouvernement non plus !

Publicité

On a observé ces dernières années une prolifération des groupes orientés à gauche, qui n'ont pas la même portée que la musique ou les mouvements artistiques, car peu d'adolescents aiment s'asseoir sous la pluie pour brandir des pancartes de révolte contre les riches.
Matt : Sur le moment, c’est difficile de s'identifier à ces mouvements artistiques et musicaux. On connaît des mouvements de jeunesse reconnaissables et définissables datant des années 1990, mais on les a vus rétrospectivement. C'est plus dur de se rendre compte de ce qui se passe au moment où ça se passe. Je suis sûr qu'il y a une culture des jeunes sur Internet, mais je pense qu'elle sera critiquée et non idéalisée, contrairement à la culture punk et à l’underground.
Jon : J'ai beaucoup de théories à ce sujet. J'ai été passionné de Nirvana, et je me demande si le suicide de Kurt n'a pas tué l'idée que le rock est difficile, subversif et dangereux. Après ça, il y a eu la Britpop, qui a généré quelques grands classiques, mais ce n'était qu'une réappropriation des années 1960. Il y a eu de très bons groupes depuis, comme les Arctic Monkeys, mais cela ne signifie pas grand-chose dans un contexte plus global. Il y a des groupes fantastiques qui écrivent de bonnes chansons, mais c'est comme s'ils pédalaient dans le vide.

Ouais, c'est bizarre : il y a plein de choses qui pourraient nous faire réagir, mais beaucoup de ces trucs semblent artificiels.
Chaque génération a son propre problème à surmonter. Votre défi est très différent du mien. La mission de votre génération est de faire face à la non-durabilité: le changement climatique, la diminution des ressources, comment faire la transition entre le capitalisme et un autre système… Le défi de ma génération était de faire face aux dégâts de la seconde guerre mondiale.

La Jeunesse hitlérienne, le mouvement de jeunesse le plus pourri de l'histoire.

Que pensez vous de l'idée selon laquelle Internet empêcherait la création d'une subculture ? Dès que quelque chose se passe, l’événement se propage instantanément partout dans le monde et n'a pas le temps de prendre racine naturellement.
Jon : Ce qui arrive aussi maintenant – et depuis plus de vingt-cinq ans –, c'est qu'il y a de plus en plus de marketing et de segmentation de marché. Le punk rock s'est développé en souterrain pendant un certain temps ; les boîtes de pub n'ont pas pris ce mouvement au sérieux pendant près de dix-huit mois, jusqu'au milieu des années 1977.
Matt : Je pense que la frontière entre mainstream et underground est beaucoup plus floue aujourd’hui, ce qui donne une voix aux artistes et aux jeunes qui vivent dans des zones reculées, sans accès aux ressources urbaines. Internet met en confrontation, mais efface aussi complètement certaines distinctions entre la culture de consommation de masse et la culture indépendante.

Sinon, j’ai vu que le film était décrit comme un « collage animé ». Qu'est-ce que ça veut dire ?
Matt : Au départ, Jon m'a dit que les punks d'Angleterre portaient des vêtements en s'inspirant des youth culture précédentes. Ils les ont rabibochés avec des épingles pour créer quelque chose de nouveau. Cette image était vraiment évocatrice pour moi et, en un sens, c'est ce que j'ai fait avec le film. J'ai pris des clips vidéo, des images et des paroles d'adolescents d'époques et de pays différents et j'ai essayé de trouver un moyen de faire un collage de tout ça afin de créer ce film. Et bien que Teenage soit un film qui explore le passé, mon but était de méditer sur le présent – pour comprendre comment les conflits entre générations perdurent – et de montrer qu’il fallait avoir une attitude très optimiste envers les jeunes d'aujourd'hui.
Jon : Il est temps de montrer aux adolescents un peu plus de respect. Pas en tant que consommateurs, mais en tant qu'êtres humains d’une nouvelle génération, susceptibles d'avoir quelques idées sur la façon dont ils veulent que le monde soit dans le futur. C'est une chose qu'on ne peut pas obtenir de ce gouvernement de merde, qui semble apprécier la marginalisation des jeunes de moins de 25 ans, ainsi que celle des plus pauvres. C'est vraiment révoltant. Il ne vaut mieux pas que je me lance dans ce débat.