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C’était 2015 en France

Précarité, télévision dégénérée, Internet et terrorisme : l'année la plus noire du troisième millénaire s'achève – enfin !

Cover de l'album « Obéis » de Ich Bin, 2006.

Breaking news : 2015 est presque terminée. De fait, il est grand temps de faire l'état des lieux de l'année écoulée à l'aide d'une interminable liste retraçant tout ce qui s'est passé ici tandis que vous dormiez. Premièrement : tout a été glauque. Deuxièmement : deux choses nous ont particulièrement marqués, comme à peu près tous les Français sains d'esprit d'ici et d'ailleurs : les attentats qui ont frappé Paris en janvier puis en novembre dernier. Néanmoins, cette année ne fut pas uniquement horreur, terreur, cris, Kalachnikovs, sang, anxiolytiques et désespoir. Il y a eu d'autres sujets plus réjouissants. Enfin, ouais. Enfin, pas sûr.

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De fait, qu'a-t-on appris en 2015 en France, mis à part qu'on était tous Charlie, que d'autres n'étaient absolument pas Charlie, qu'on pouvait se faire tirer dessus en allant boire un coup, qu'un touriste en short de plage pouvait gagner Roland-Garros, que faire le jeu du FN était encore pire que voter FN ou que notre équipe de rugby était toujours à chier ? C'est ce que l'on a essayé de voir. Voici une liste non exhaustive des trucs qui résument ce qu'était l'esprit français en cette année sinistre que fut 2015.

TOUCHE PAS À MON POSTE !
« Touche pas à mon poste ! » est une émission diffusée sur D8 dans laquelle on peut voir l'animateur Cyril Hanouna danser avec une Nicole Scherzinger embarrassée sur du Patrick Sébastien, où des mecs « hypnotisés » confondent un âne avec Rihanna et où d'autres passent des appels téléphoniques à nos responsables politiques en pouffant de rire. Autrement dit, c'est le truc le plus sinistre à être apparu à la télé depuis des dizaines d'années. Mais #TPMP est aussi une émission qui, en 2015, est capable de mobiliser 2,3 millions de téléspectateurs aux heures de pointe (contre, par exemple, 600 000 pour le Grand Journal), 1,65 million de followers sur Twitter (là où Ouest-France, le quotidien le plus lu de France, en a 216 000) et 2 millions de likes sur Facebook (4 fois plus que Libération). Qu'est-ce qui a bien pu se passer pour que la France sombre à ce point dans la stupidité ? Pourquoi les gens ne lisent-ils plus ?

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LA FIN DE LA LECTURE
S'il existe un truc qui symbolise le XXIe siècle encore mieux qu'Internet, ce sont les conséquences qu'a Internet sur notre société. Le développement d'une culture collaborative du tout gratuit, suite logique de la philosophie Web 2.0, a vite mené à l'agonie de la culture en général. Prenez le cinéma par exemple : pourquoi se faire chier à y aller, payer sa place, et être dérangé par le mec assis devant vous, quand vous pouvez télécharger un film en trois clics et le mater tranquillement dans votre lit ? Prenez maintenant la lecture. Même genre de constat : plus personne ne lit vraiment en France, ou alors les gens lisent de la fiction qui n'appartient plus à ce que l'on appelle communément de la littérature, genre Guillaume Musso. Avec l'apparition des Kindle et d'outils de lecture numériques, la façon dont on lit a switché ; sur Internet, la plupart des gens ne vont même pas jusqu'au bout des articles avant de quitter une page – et c'est notamment parce que les articles sont nuls et que plus personne ne s'intéresse au contenu : j'y viens.

Photo via Flickr.

LES HUMORISTES D'INTERNET
Internet n'a pas seulement popularisé les blogueurs modes, les instagirls, les vidéos pranks et les tutoriels de maquillage. À leurs côtés est apparue une espèce singulière et spécialement déprimante : les humoristes d'Internet. Qui sont-ils ? Que font-ils ? Que veulent-ils ? Pour faire simple, il s'agit des mecs que vous évitiez scrupuleusement à la fac et que vous retrouvez, deux ans plus tard, en train de se filmer dans leurs chambres rire à leurs blagues. Leurs vidéos consistent en des plans fixes de cinq secondes ponctués d'imitations foireuses, où ils utilisent le ton désinvolte du mec qui veut faire de l'humour d'observation juste parce qu'il a regardé Seinfeld et possède une version crackée d'Adobe Premiere Pro. Pendant qu'ils se copient tous les uns les autres et que leurs comptes Youtube se multiplient, leurs abonnés eux, se comptent par millions. D'ici 20 ans, ces mecs seront vus comme les comiques de notre génération, génération qui est par ailleurs objectivement aussi grotesque qu'eux.

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LES INTELLECTUELS DE GAUCHE
« Mais où sont passés les PENSEURS qui ont fait les beaux jours de la France ? » se demandait le Guardian dans une chronique cette année. Le quotidien britannique y déplorait non sans emphase l'absence actuelle de grands penseurs français populaires comme le furent Rousseau, Camus, Sartre ou Foucault à leur époque. Tentative de réponse : ils sont morts. Deuxième tentative de réponse : ils ont été remplacés par des acteurs spécialement nuls, type Bernard-Henri Lévy. Troisième : les gens les accusent systématiquement de « faire le jeu du FN » alors que c'est souvent objectivement faux. Quatrième et dernière tentative de réponse : les déclinistes de droite sont partout.

LES DÉCLINISTES DE DROITE
Pendant que la pensée était en train de mourir à gauche, d'autres « intellectuels » se sont dit qu'ils allaient en profiter pour s'ériger en penseurs du XXIe siècle : c'est comme ça que des philosophes tels qu'Alain Finkelkraut (autrefois soixante-huitard plutôt jovial) ou des polémistes télévisuels type Éric Zemmour sont nés. Pour résumer, ce sont des gens qui n'arrivent pas à accepter les changements socioculturels auxquels leur – autrefois si glorieux – pays fait face. Du coup, ils se vengent sur les mauvais élèves, la « perte des valeurs », l'Islam, la banlieue, les journalistes et plus généralement, tous ceux qui participent de leur point de vie au déclin de la France. À mesure que la droite et l'extrême droite ont grimpé dans les sondages, ils se sont trouvé une place de choix dans l'espace médiatique français : ventes de livres, interviews dans la presse et chroniques télé avec l'assurance d'un « dérapage » ou d'un « clash » jamais très loin. Leurs pires ennemis sont Mai 68, la bien-pensance et Christiane Taubira – soit les cibles préférées des homophobes, des racistes et plus généralement, des gros cons. Car ces personnages ont beau être assez malins, la frange de la population qu'ils traînent derrière eux est excessivement salée, mesquine et triste, un peu comme toute la France en 2015.

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PARIS CAPITALE DU CLIMAT
En cette fin d'année, après les journées sans voiture ou la circulation alternée, tous les regards de ceux qui pissent dans leurs douches, mangent bio et ne jurent que par Naomi Klein, Danakil et le freeganisme étaient tournés vers notre capitale pour la COP21. Il aura fallu attendre 1988 et l'intervention du climatologue et directeur de l'Institut Goddard des études spatiales de la NASA devant le Congrès américain, une dizaine de conférences, des milliers de pics de pollution et la fonte des glaces dans l'Arctique pour qu'on commence à réellement s'inquiéter du changement climatique et qu'un accord « historique » soit trouvé au Bourget entre 195 pays. Même si celui-ci reste symbolique et qu'il n'empêchera pas les capitalistes les plus véreux de continuer à polluer juste parce que, eh bien, ça leur rapporte, c'est un bon signe pour l'avenir que 195 chefs d'État soient d'accord pour qu'on essaie tous de faire en sorte de ne pas s'éteindre d'ici 100 ans sur une planète devenue un micro-ondes géant.

FRANÇOIS HOLLANDE
Qu'aura-t-on appris cette année sur la politique de François Hollande ? Que le chômage ne diminue toujours pas, que ses décisions sécuritaires nous rapprochent de plus en plus d'une dystopie liberticide, qu'il ne choisit pas forcément ses ministres pour leurs connaissances et que dans une marche républicaine réunissant deux millions de personnes, c'est sur lui que les pigeons chient. Bref, bilan mitigé.

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Photo via Wiki Commons.

L'ÉTERNEL RETOUR DES BALANCES
Amaury Leveaux, Benjamin Castaldi et Hervé Falciani auront réactivé un truc en France cette année : la délation. Ces trois-là viennent de passer pro dans l'art ingrat qui consiste à critiquer le milieu qui a fait de vous ce que vous êtes (en écrivant par exemple un livre, une autobiographie ou en donnant une clé remplie de données sur l'évasion fiscale à l'un des plus grands quotidiens de France) une fois que vous en avez bien profité. Genre, profité plus que de raison. Genre, vraiment profité.

LE PEN VS. LE PEN
Jean-Marie Le Pen a 87 ans et fait de plus en plus penser à ces vieux oncles rincés qui ont tendance à déraper régulièrement sur les « pédés » ou « les Arabes » quand ils ont trop bu. Au début ça fait rire, puis ça devient gênant, puis ça finit par muter en un truc hyper triste. C'est précisément ce qu'a dû ressentir sa fille Marine Le Pen au début du mois de mai, quand elle a décidé de suspendre son père du statut d'adhérent au FN, le parti d'extrême droite qu'il a lui-même créé, après un énième dérapage incontrôlé sur BFM. S'ensuivit alors le mélodrame le plus haletant de l'année : une bataille médiatique entre père et fille ponctuée de punchlines plus gratinées les unes que les autres, menant finalement à l'exclusion du vieux fasciste impénitent trois mois plus tard. La deuxième saison – Morano vs. Sarkozy – n'était pas mauvaise non plus.

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LES TRENTENAIRES
Vous savez, ces types à barbe dont parlent les magazines. Ceux qui travaillent dans le marketing, écoutent le Wu-Tang, mais ont peur des Noirs. Ceux qui s'efforcent d'arborer le style de ce que les médias nomment les jeunes urbains branchés. Ceux qui ont acheté l'appartement dans lequel ils vivent. Il y a cinq ans vous saviez que c'étaient des hipsters, mais aujourd'hui vous ne savez plus comment les appeler. Ceux que votre mère déteste. Ceux que vous finirez par devenir.

LE PRÉCARIAT GÉNÉRALISÉ POUR NOTRE GÉNÉRATION
Alors que le chômage ne diminue pas et que le marché du travail semble saturé, notre génération peine à se faire embaucher et est victime du cercle vicieux engendré par le manque d'expérience professionnelle. Au dernier trimestre, 24,1 % des moins de 25 ans étaient au chômage, un chiffre en nette augmentation depuis la crise financière de 2008 (17,3 %). Heureusement CDD pourris, jobs précaires ou autres stages payés 500 euros par mois sont souvent une solution pour nous – à court terme. Tandis que les hommes politiques nous voient comme une nuisance (ou pire, une courbe à redresser), qu'on a de plus en plus de mal à croire en eux et que le fossé générationnel ne fait que s'agrandir, on passe notre temps à prendre des droguesen pensant le moins possible au lendemain. D'ailleurs notre lendemain, à quoi ressemble-t-il ? Moins d'emplois, plus de cotisation pour les retraités ? Ça s'annonce bien.

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L'ÉTAT D'URGENCE
Vivre en France après le 13 novembre 2015, c'est essayer de vivre face au terrorisme. Et face au terrorisme, le gouvernement a décidé d'instaurer l' état d'urgence, c'est-à-dire d'augmenter le nombre de policiers, leur pouvoir, et d'interdire la majorité des rassemblements publics. Peut-être que vous vous en branlez si votre seul souci est de savoir si vous pouvez continuer à vous bourrer la gueule le week-end. Mis à part le fait qu'on vous tâtera avec plus d'ardeur à l'entrée de boîtes, vous ne remarquerez pas grand-chose. En revanche, disons si vous habitez en banlieue par exemple, vous vous ferez trois fois plus contrôler. Si vous êtes musulman, on fouillera la mosquée dans laquelle vous allez vous recueillir. Si vous êtes un militant écologiste, vous pouvez vous faire assigner à résidence. Si vous vous appelez Fatima, on peut aussi vous arrêter comme ça, par prévention.

Des volontaires français, manifestement sympa. Photo via.

UNITÉ NATIONALE
Dans l'entrelacs des hashtags compassionnels, des formulations foireuses type « génération Bataclan » et des longs et douloureux débats qui ont suivi les attentats de Charlie Hebdo puis du 13 novembre, on a aussi pu voir surgir quelque chose de beau après l'horreur : le concept oublié d'unité. Après les attentats – surtout les seconds –, pas mal d'entre nous avons réfléchi et pensé qu'il était temps d'arrêter d'être con. Ce qui est objectivement un bon début. Puis on a réalisé que d'autres gens s'y mettaient aussi.

Prenez la droite et la gauche, qui passent leur temps à se défoncer mutuellement dans les médias, se réunir lors du Congrès le 16 novembre dernier pour voter unanimement dans la même direction ; prenez les médecins qui ont cessé de faire la grève et se sont pointés spontanément à l'hôpital à 3 heures du matin pour soigner les blessés des attaques du 13 novembre ; prenez des manifestants de la Manif pour tous et du Mariage pour tous se serrer dans les bras et pleurer ensemble. Je ne sais pas vous, mais moi je trouve ça putain de magnifique. 2015 était horrible certes – mais pas si pire.

Robin est sur Twitter.