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Illustration : Seth Laupus
Music

À la gloire du mashup

« Algorithms » de Milkman est un album auquel je pense avec manie, désespoir, joie et sentimentalité.
Sandra  Proutry-Skrzypek
Paris, FR

Il y a beaucoup de choses de mes années à l'université dont j’ai honte, mais s'il y a un genre musical que je défendrai bec et ongles toute ma vie, c'est bien le mashup. J'ai atteint ma majorité – c'est-à-dire que j'ai commencé à faire la fête – au plus fort de la fièvre du mashup à la fin des années 2000 et au début des années 2010, une époque où on osait se demander : « Et si une chanson pop pouvait être en fait… plusieurs chansons pop ? » Lorsque j’ai terminé mes études à l'été 2009, je roulais dans une berline surclimatisée en buvant du jus de fruit et en écoutant « United States of Pop 2009 (Blame It On The Pop) » de DJ Earworm. Je ne dis pas que c'était un monde meilleur, je dis simplement que c'était un monde différent.

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L’usage des samples n’appartient pas à ma génération. Le sampling tel que nous le connaissons aujourd’hui – prendre un extrait d'un morceau préexistant et l’intégrer dans un autre morceau – est né dans les années 1940. Alors que les gramophones et les radios s'imposaient comme des articles ménagers de base, les compositeurs ont commencé à se demander s'ils pouvaient créer des œuvres à partir de musique préenregistrée. Ce mouvement, initié par Pierre Schaeffer, était initialement connu sous le nom de « musique concrète » et a été développé par d'autres compositeurs du milieu du XXe siècle comme Pierre Henry, John Cage et Daphne Oram. La musique concrète a servi de base à la musique électronique, qui a fini par s'imposer dans tous les domaines, de la musique de film (Planète interdite, 1956) à la musique populaire. À la fin des années 1970 et au début des années 1980, les samples étaient monnaie courante dans le funk et le hip-hop. Pour « Rapper's Delight », par exemple, le groupe Sugarhill, a samplé « Good Times » de Chic.

Ce n'est qu'au début ou au milieu des années 1990 que les mashups ont commencé à apparaître, atteignant le sommet de leur popularité au milieu des années 2000. En 2006, Girl Talk s’est fait connaître grâce à Night Ripper. À la fin des années 2000, la musique électronique n'avait pas encore complètement intégré le courant dominant de la pop, mais les mashups pullulaient. Au début des années 2010, il y a si longtemps que ça paraît un siècle, les litiges sur les violations du droit d’auteur et l'essor de la musique électronique dans la pop ont vu la fin des mashups. N'oublions pas que Nile Rodgers et Bernard Edwards de Chic ont fini par poursuivre Sugar Hill Records.

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« Les albums mashup sont le fruit d'essais et d'erreurs, que ce soit lors d'une session d'enregistrement ou en direct lors d'un concert. C'est tout sauf une affaire d'algorithme, même si l’art nécessite une fusion de tendances algorithmiques similaires entre les chansons »

Allez sur la page YouTube de n'importe quel mashup et vous trouverez inévitablement une série de commentaires récents. La nostalgie de l'époque du mashup est toujours aussi forte, surtout dans ma propre maison. En dehors de Girl Talk, dont le dernier album All Day est sorti en 2010, il y a eu le très ironique Super Mash Bros, les mixs d'une heure de The White Panda, et un album auquel je pense avec manie, désespoir, joie et sentimentalité : Algorithms de Milkman, sorti en 2011.

Algorithms est le troisième album de Milkman, après Lactose & THC en 2008 et Circle Of Fifths en 2009. Ces deux premiers albums sont solides en cela qu’ils ont réussi à fusionner les types de chansons qui obtiendraient une ovation si elles étaient jouées dans une salle des fêtes. Mais Algorithms produit un effet bien différent.

Pour les fans d'albums de mashup, l'anticipation n'a jamais été tant une question de savoir quelles chansons ils allaient mettre par-dessus d'autres chansons, mais plutôt la réaction émotionnelle provoquée par une combinaison, par une transition. Les albums mashup sont le fruit d'essais et d'erreurs, que ce soit lors d'une session d'enregistrement ou en direct lors d'un concert. C'est tout sauf une affaire d'algorithme, même si l’art nécessite une fusion de tendances algorithmiques similaires entre les chansons. Quand j'écoute Algorithms aujourd’hui, j'ai encore une réaction inexplicablement spontanée. Le premier morceau de l’album, « Sky High », un mélange entre « Fuck You » de Ceelo Green et « Overnight Celebrity » de Twista, fait l’effet d’un seau d'eau froide jeté au visage, à mesure qu’il se transforme en « Ice Ice Baby » et « Under Pressure ». Comme tout album pop, il commence fort. Il y a beaucoup d’hymnes universitaires comme « My Dick » de Mickey Avalon ou « I'd Rather » de Three 6 Mafia, mais la balance penche en faveur des classiques de la fin des années 2000, comme « Starlight » de Muse et « Wake Up » d'Arcade Fire.

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Je sais, je sais, vous avez déjà entendu toutes ces chansons. Trop souvent ! Et si vous deviez choisir, vous en choisiriez d’autres. Mais une grande partie de la vie publique nous oblige à entendre de la musique au hasard dans différents lieux et situations : le bruit qui sort des écouteurs de quelqu'un dans le métro, la playlist d'un restaurant, la station de rock léger d'une pharmacie. Parfois, je n'ai pas envie de choisir mes propres chansons, j'en ai assez de mes playlists et de mes goûts limités. Avec Algorithms, cette responsabilité est ailleurs ; je me contente de me laisser embarquer.

I J'ai écrit à Milkman – de son vrai nom Gregg Luskin – pour lui parler de la construction et du contexte d'Algorithms, un projet vieux de presque dix ans, et de la façon dont il a conçu la fin de sa trilogie de mashup. « Algorithms était l'aboutissement de quatre années de travail, de deux albums précédents et d'innombrables performances live qui ont modifié le processus de création des mashups. Si j'ai intitulé l'album Algorithms, c'est parce qu'à ce moment-là, c'était juste ça, un algorithme, dit-il. Circle of Fifths a été le premier album qui a incorporé des influences plus électroniques, et c'est celui qui a reçu la meilleure réaction du public. La musique électronique n'avait pas encore fait son chemin dans le mainstream aux États-Unis. Avec Algorithms, j'ai tenu compte de ces résultats et j'ai inclus des morceaux plus dansants sur l'album. »

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« Let Go », le point fort de l'album, commence par les bips révélateurs de « Fireflies » de Owl City et un couplet de « Bump Bump Bump » de B2K et P. Diddy. Bon, « Fireflies » était cucul dès le début : dans le clip, on voit l’artiste (souvenez-vous : Owl City est un mec tout seul, pas un groupe) appuyer sur une touche de clavier sur laquelle est écrit « MAGIC » ; et moins de deux ans après sa sortie, il était déjà une référence pour les mashups. Pourtant, la mélodie d'ouverture évoque un clin d'œil nostalgique, une tonalité romantique. « Let Go » se transforme en refrain de « Like This », puis en « I Want You Back » de Discovery (un remix en soi !) avant de revenir à « Fireflies », nouvellement associé à « I'm Bossy » de Kelis.

Les mashups, à leur moindre créativité, sont l’équivalent d’un copier-coller. C'est souvent un genre de musique cynique, utilisé pour démontrer à quel point les chansons populaires se ressemblent les unes les autres ; plus la transition est fluide, moins l'œuvre originale est audacieuse. Mais, comme dans tous les arts, il y a une habileté apparente : l'effort, le dévouement, le pathos. « Let's Go était une tentative de "structurer", si vous voulez, la nature classique d'un mélange mashup/DJ, m'écrit Luskin. Habituellement, on passe d'une chanson à l'autre. Il était logique d'expérimenter en traitant un mashup comme une vraie chanson, avec une intro, un refrain, un versus, etc. Je pense que cela a merveilleusement bien tourné. » De la même manière qu'il faut apprendre à aimer une chanson pop et que le refrain est déjà dans votre tête la deuxième fois qu'il apparaît, « Let's Go » vous prépare à quelque chose de nouveau et d'ancien à la fois. Lorsqu'il arrive à l’intersection – « Gold Digger » de Kanye West –, il a déjà triomphé. En bref : c'est génial. À partir de là, l'album passe vraiment d'un banger à l'autre : « Love Struck », « Look Around », et ainsi de suite.

Avec Algorithms, et avec les albums de mashup en général, à moins que le titre du mashup ne vous dise ce qu'il contient (et c'est rarement le cas), c'est comme céder au hasard. Non seulement l’album contient des chansons qui sont, à leur manière, des piliers des 25 dernières années (oui, même « Fireflies »), mais c'est celui qui m'a apporté la plus grande joie. Vous espérez, en arrivant dans une fête ou dans un club, que le DJ sait ce qu'il fait. Il sait comment guider votre expérience pour maximiser le plaisir, la nostalgie, l'énergie. Chez moi, tout est sous mon contrôle : la poussière, la vaisselle, l’état du frigo. Cela me fait donc du bien de m'abandonner pendant un peu moins d'une heure à une joie fabriquée pour un moi différent, un temps différent, un lieu différent.

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