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Que serait la techno sans Clone Records ?

À l'occasion du 25e anniversaire du légendaire label néerlandais, nous sommes allés passer un moment avec son fondateur Serge Verschuur, dont le discours sur la musique électronique s'avère toujours aussi acéré et pertinent.

Il est difficile de trouver des fans de musique électronique qui n'ont jamais entendu parler de Clone. Cette année, le label de Rotterdam célèbre son 25ème anniversaire, un quart de siècle qui a vu passer des disques incroyables d'artistes désormais établis comme Legowelt, Dopplereffekt ou Alden Tyrell. En fait, entre son shop en ligne et son activité de distributeur, Clone a vu passer tellement de grands noms qu'il serait impossible de tous les lister.

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L'homme derrière tout ça s'appelle Serge Verschuur. En 1990, Serge décidait de franchir le pas et de sortir ses propres disques en indépendant. « J'étais inspiré par Warehouse Records, le label d'Armando, Underground Resistance, Bunker Records et j'avais également beaucoup de respect pour ce que Larry Heard avait fait avec Alleviated », me dit-il en flânant entre les rayons de son magasin. « Mais je m'intéressais aussi aux labels plus modestes. Il y avait une énorme culture DIY à l'époque, des gens qui publiaient des choses qu'ils adoraient sur leurs petites structures. » Clone est devenu bien plus qu'un simple petit label, mais sa motivation reste la même.

Pour fêter ce quart de siècle, Clone a mis en place un tour d'Europe justement baptisé « Return of the Future » (voir les dates plus bas). Une volonté de montrer que la direction du label n'a pas bougé depuis toutes ces années et qu'il continue à aller de l'avant. On a discuté avec Serge du fait de rester jeune, d'éviter les tendances et de cesser ce culte de l'image qui est incompatible avec la techno.

Noisey : Clone fête ses 25 ans cette année. Certains de tes vendeurs actuels avaient 3 ou 4 ans quand tu as fondé le label. Ça ne te fait pas bizarre ?
Serge : Je trouve ça cool, et essentiel même ! J'essaie d'éviter de me retrouver coincé dans des routines. Cette perspective nouvelle, cet état d'esprit naïf, c'est ça que j'aime. L'intérêt que les jeunes ont pour Clone confirme que ce que je fais depuis des années n'était pas qu'une tendance, et que nous avons fait les bons choix. Ce qu'on fait est voué à durer. Et on l'a toujours fait avec nos tripes. Je vois plein de jeunes prendre des trains de nuit pour venir à nos soirées—soit exactement ce que je faisais à leur âge.

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Tes clients ont changé aussi ?
Non, pas vraiment. Les gens qui viennent au magasin sont toujours animés par la même chose : choper de la musique nouvelle. Je n'ai jamais eu de plan ou de cible spécifique, excepté peut-être le fait de vouloir vendre les disques qu'on écoutait moi et mes amis. Nos disques sont aussi variés que nos clients.

Les dealers disent souvent : « ne te défonce pas avec ta propre came. » T'es d'accord avec ça ? 
Non, j'adore me défoncer avec ma came ! J'essaie d'écouter chaque disque que nous vendons, et j'en achète énormément moi-même. Je pense que je suis le plus gros client de mon propre magasin.

Tu penses qu'il y a plus de gens qui écoutent de la musique électronique qu'il y a 25 ans ?
Non, je ne crois pas. Mais aujourd'hui, il y a beaucoup plus de hypes– la musique n'est plus valorisée en fonction de sa qualité mais en terme d'image. Tout devient clickbait, et ça a tendance à m'agacer. La techno et la house avaient pour coutume d'être faites par des artistes anonymes. Prends notre compilation The Men You'll Never See par exemple : que des artistes sans visage, sans image. Aujourd'hui, tout se concentre sur les photos de presse et les réseaux sociaux. Des tas de musiciens seraient bien moins populaires si on se basait uniquement sur leur apport musical. C'était différent dans les années 80 et 90. Peut-être que tout est plus superficiel maintenant.

Comment ça ?
Eh bien, comme je te disais, c'est l'aspect visuel qui prime. La musique indépendante ne devrait jamais avoir à se soucier de ça. Evidemment, les réseaux sociaux ont leurs bons côtés - ils relient les gens, et tu peux trouver des tonnes de musique de qualité dessus sans l'aide des médias, mais ce sont également des plateformes où il est facile de manipuler les autres.

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Et tu ne participes pas à ça ?
Non, notre musique met en avant l'expression, l'émotion, l'atmosphère—tu dois ressentir quelque chose en l'écoutant. Tu dois y retrouver ta propre frustration, ta peur, tes désirs, tes fantasmes et ton énergie. Que ce soit des gays afro-américains de Chicago ou des surfers hétéros de Nouvelle-Zélande qui la produisent, ça n'a aucune importance : la musique reste la seule connexion. Les premières raves étaient très variées, alors qu'aujourd'hui, chacun oeuvre dans son coin pour son petit clan. Bon, peut-être que je réagis de façon excessive – il y a encore de chouettes choses ici et là.

Parlons du futur : où est-ce que tu vois Clone ces prochaines années ?
Je ne sais vraiment pas. La house, l'electro, la techno et le disco ont toujours pris le futur à bras le corps, le but était de progresser continuellement. La musique électronique était liée aux derniers développements de la technologie. C'était le son du futur, mais ces 10/12 dernières années ont surtout consisté à regarder en arrière. La musique électronique a grandi. Il est temps d'aller de l'avant.

Comment faire, avec toutes ces reliques comme le vinyle, la TR-808 ou 909 ?
Il y a toujours un lien entre la tradition et l'innovation. Utiliser le même pinceau et la même peinture à l'huile que Mondrian ne te fera pas peindre des lignes droites et des blocs de couleurs aussi influents que lui. C'est pareil avec la musique électronique, c'est une question d'émotion, de construire sur des principes et des idées déjà existants. Les musiciens classiques utilisaient le violon depuis très longtemps, ça n'a pas empêché Stravinsky d'emmener cet instrument sur des chemins que Wagner ou Mozart n'avait jamais emprunté. À quoi ressemblera le genre en 2030 ? Ou en 2100 ? Est-ce que ce sera comme le rock, qui n'a pas bougé depuis des années maintenant ? Ou est-ce que nous allons nous tourner vers l'avenir et développer notre musique, comme nous l'avons toujours fait. C'est aussi le concept derrière le nom de notre tournée, Return of the Future.

À propos, quel est ton meilleur souvenir en 25 ans de Clone ?
Il y en a beaucoup. Le jour où j'ai allumé la radio et entendu ma musique pour la première fois. Les soirées Acid Planet au squat Blauwe Aanslag à La Hague. Ou le soir où j'attendais ma commande de frites, quand j'ai reçu un appel d'un artiste qui allait mourir le lendemain. C'était dur. Ou mon premier voyage à Détroit, quand j'ai rendu visite à un artiste qui bossait dans un fast food la journée, le resto avait des vitres pare-balles et une meilleure sécurité que la plupart des banques en Hollande. Toutes ces amitiés qui durent depuis des décennies. Mais le truc que j'aime le plus et qui n'a pas baissé en intensité depuis 25 ans, c'est chaque fois que je reçois une démo par courrier et que je me dis dès les premières secondes : YES !

Photos - Boris Bunnik