Théo Mercier brûle Marseille par les deux bouts
Théo Mercier, Sans Titre, 2016. Photos : Théo MERCIER & Erwan FICHOU/ADAGP, Paris, 2016

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Culture

Théo Mercier brûle Marseille par les deux bouts

Pour la rentrée, l’artiste Théo Mercier déploie les réjouissances de son projet chaos, concocté spécialement pour sa vieille ville préférée.

"On n'a pas de but ni de vraie place. On n'a pas de grande guerre, pas de grande dépression. Notre grande guerre est spirituelle, notre grande dépression, c'est nos vies." Ainsi Tyler harangue son Fight Club dans le roman éponyme de Chuck Palahniuk. Les vestiges d'une époque sans époque, voilà ce que pourraient raconter – entre autres – les fragments de The Thrill Is Gone, la plus ambitieuse exposition dédiée au plasticien Théo Mercier.

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Une vaste exposition au Musée d'art contemporain, un concert avec Flavien Berger, Jacques ou Julia Lanoë de Sexy Sushi ainsi qu'une performance "Radio Vinci Park" mise en scè̀ne aux côtés de François Chaignaud… À la rentrée, l'artiste déploie les réjouissances de son projet chaos concocté spécialement pour sa vieille ville préférée : Marseille.

Une collection de pierres d'aquarium, des jarres de dizaines de kilos posées en équilibre, Un tas de masques brisés, une skyline de tours de CD… Avec The Thrill Is Gone le jeune français entonne un mantra industriel entre le cercle tracé par une ammonite paléozoïque et la gomme contemporaine d'un pneu Goodyear. Son écriture est burnée, insolente, en colère. On a eu plaisir à rencontrer Théo Mercier, un de nos rares artistes générationnels à n'être ni un streetartiste, ni JR.

VICE : Au contact de votre travail, de ces sculptures, de ces vrais-faux vestiges, de ces tentations antiques et classiques, on retrouve comme les traces d'une grande époque. D'une grande épopée dont notre génération est précisément privée…
Théo Mercier : The Thrill Is Gone traduit cette envie d'épopée. Avec sa palette très minérale, ses calcifications, ses incartades de fossiles ou d'amphores antiques. Elle est également empreinte de beaucoup de nostalgie. Nostalgie du règne animal, de périodes historiques prometteuses ou de grandes avancées sociales. Finalement toutes fantasmées car en tant que trentenaire, je n'en ai connu aucune. Mon œuvre ne revendique rien du passé directement. Ce pneu que tu peux voir ne célèbre pas l'invention de la roue. Il vient juste dire l'importance de la trace, de l'empreinte. Il s'agit d'hybrides temporels, d'archéologies artificielles, idéalisées. J'y invoque des époques qui ont toutes en commun de tendre vers un devenir humain meilleur. Or, je pense que notre génération est une des premières qui sait que les choses iront moins bien par rapport aux précédentes. Demandez à un condamné ce qu'il voudrait faire de sa dernière journée… Voilà notre promesse. Notre génération est très consciente de sa damnation. Notre génération sait qu'elle vit privée d'époque justement. Elle sait qu'elle fait face à un mur, sur lequel se balance Donald Trump. Et c'est peut-être ce qui la rend plus encline à l'autodestruction. Une génération qui sait tout, donc rien, et n'a aucune vision collective. Prise entre Daesh et Pokemon Go…

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Horkheimer, Adorno et plus récemment Stiegler ont alerté sur ce qu'ils appellent précisément cette " nouvelle forme de barbarie", induite par une époque sans époque. The Thrill Is Gone sera donc une oeuvre politique ?
Ce sera le plus politique de mes projets en tout cas. Cette dimension s'installe lentement mais sûrement dans mon geste. Je vieillis. Je passe beaucoup de temps au Mexique, loin de l'agressive précarité d'une ville comme Paris. Si mes débuts créatifs étaient criards, adolescents voire insolents, je sais aujourd'hui que le cynisme ne nous sauvera pas. Même si j'ai toujours bossé sur la Vanité. Après, l'idée n'est pas d'empoigner une parole politique et de brailler. Au départ, je voulais présenter une exposition détruite. Littéralement. J'avais eu la mauvaise idée de mettre en scène le chaos, le conflit, Lampedusa, les vêtements déchirés… Mais il faut savoir d'où tu gueules. The Thrill Is Gone est donné à voir au cœur d'un musée. Un espace protégé, un espace de conservation où le temps est arrêté, l'hydrométrie contrôlée, la luminosité invariable. Un lieu de silence aussi. Je ne voulais pas jouer le trompe l'œil. Aussi, cette parole politique, j'ai voulu la mettre au cœur des objets, et de leurs agencements. Jusqu'à m'effacer des œuvres, au point de ne pas les titrer, pour les laisser transpirer leur actualité. Je pense que l'on peut parler des drames migratoires tout en respectant le temps, le statut, l'environnement du Musée.

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Vous parlez d'agencements. On a justement le sentiment aujourd'hui que de moins en moins d'agencements vous sont nécessaires pour construire votre langage. Les mouvements sont moins nombreux, épurés…
Je reste très attaché au travail bien fait. Au bel ouvrage. Et je continue de penser que s'il se doit de n'être qu'une seule chose, alors l'Art se doit d'être fait. Je me sens parfois plus artisan qu'artiste et j'aime vernir, poncer et agencer. Mais j'arrive effectivement à composer plus de langage en moins de mouvements. Mon travail reste dans la fabrique mais il se porte aussi dans le regard. Je vis entouré d'objets. J'en déplace beaucoup. Il y a toujours beaucoup d'anthropomorphisme dans ma démarche… Ainsi qu'un très fort attrait pour la magie, le chamanisme. Je suis celui qui met la magie dans l'objet.

À quel moment un objet devient beau pour vous ?
À quel moment un objet devient-il ringard ou exotique ? À quel moment tes présupposés sociaux vont-ils te le faire voir comme une forme artistique ? Ou pas d'ailleurs. À quel moment nos subjectivités nous font basculer d'un champ à un autre ? Cette limite, ces frontières me passionnent. Dans cette exposition, il sera précisément question de bascule, dans l'oublie, de ruptures dans l'histoire. Les œuvres présentées ne sont pas fixées, leurs empilements sont impossibles, certaines sont placées en bords de socles, de précipices. Et beaucoup d'entre elles pèsent facilement une centaine de kilos. La précarité de leur équilibre, leur mise en danger et donc celle du public sont donc extrêmement réelles.

Des sculptures suicidaires ?
Des œuvres instables, des beautés, des instants précaires en tout cas. Des céramiques en apesanteurs, des histoires en suspens, des monuments à la chute. Des archéologies qui se mêlent. Et qui, à nouveau, sont mises à l'épreuve du temps et du spectacle.

- The Thrill Is Gone est présenté au Musée d'Art Contemporain de Marseille, jusqu'en décembre 2016.
- The Thrill Is Gone – le Concert, avec Flavien Berger, Julia Lanoë et Jacques sera joué jeudi 29 septembre au Cabaret Aléatoire, Marseille.
- La performance Radio Vinci Park sera jouée les 14 et 15 octobre 2016 à la Friche Belle de Mai, Marseille.
- Toutes ces réjouissances ont lieu dans le cadre du sémillant Festival ActOral – du 27 septembre au 15 octobre 2016 –, dont Théo Mercier est le parrain.

Le jeune artiste passe une très large partie de son temps au Mexique. Mais vous le trouverez sans discontinuité sur le web.