l'abbé Gilles Roger
Photos: Thomas Girondel pour VICE FR 

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Société

Chez les Sédévacantistes, les catholiques qui ne veulent pas du Vatican

Pour eux, ce sont les autres catholiques qui ont changé et qui ont tort.

« Le féminisme ? Ce n'est pas que j'ai du mépris pour les femmes mais il faut qu'elles restent à leur place ! » Lors de ma première entrevue avec l'abbé Gilles Roger, 55 ans, qui officie à la chapelle Saint-Pie V de Rennes, il m'avait déjà lâché quelques punchlines qui donnent chaud. Posée en pleine zone industrielle, à quelques rues du cimetière de l'Est, cette chapelle fait partie de la trentaine de lieux de cultes catholiques « non una cum » où les prêtres refusent de faire référence à n'importe quel pape élu après Pie XII. Et on y pratique toujours la messe en latin. Pour la deuxième fois en une semaine, je suis venu assister à la messe du mercredi matin et discuter avec ce quinquagénaire plutôt accueillant malgré sa méfiance envers les journalistes. Les températures de janvier, la tristesse des entrepôts alentours et les idées véhiculées là-bas me donnent des vertiges.

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Exceptés quelques rares articles, je ne sais rien de ces gens, qu'on appelle sédévacantistes. Je sais juste que c'est une frange catholique ultra minoritaire de 1 500 à 2 000 personnes en France avec deux foyers principaux : la région lyonnaise et l'ouest de la France. Au gré d'obscures recherches sur divers sites, blogs, vidéos et podcasts dédiés à leurs thèses complotistes, négationnistes, antilibérales, anti-avortement ou homophobes, j'ai eu envie de savoir qui étaient ces adeptes du rite tridentin. Leur objectif de vie est de sauver leur âme et de se protéger d'une société qui tendrait à devenir un gigantesque baisodrome libéralo-judéo-maçonnique. Comme c'est aussi le sujet du moment, j'ai voulu savoir comment on pouvait être aussi prompt à vouloir imposer un modèle de société soi-disant plus moral que les autres et dans le même temps détourner le regard en matière de viols sur mineurs.

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Pour les profanes, ce sont des catholiques intégristes ou fondamentalistes parmi d'autres. Pourtant, dans ce microcosme, les sédévacantistes sont plutôt de ceux qui mouillent la soutane quand il s'agit de foutre le souk chez les latinistes, entraînant pressions et scissions dans une nébuleuse de groupes et sous-groupes religieux. Difficile de définir socialement cette frange traditionaliste même si les classes moyennes et supérieures y sont plus représentées que les autres. Pour Paul Airiau, docteur en histoire et enseignant à l'Institut catholique de Paris, « ce qui est compliqué, c'est que sur 1 500 à 2 000 personnes en France, on a pratiquement tous les cas de figure. On a des strates de générations qui sont assez variées. Ce qui est caractéristique de ce milieu, c'est la dimension d'itinérance. Les sociologues parlent de pèlerinage religieux. On va et on vient à l'intérieur du monde traditionaliste en cherchant une stabilité religieuse. »

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« La femme a été voulue par Dieu pour transmettre la vie, pour la donner. Quand elle se détourne de sa mission, elle devient quelque chose de, si je suis gentil, je vais dire d'étrange » – Abbé Gilles Roger

Leur nom vient du latin « sede vacante » qui signifie que le siège de Saint-Pierre est vacant et désigne la période entre la mort ou la démission d'un pape et l'élection de son successeur. En réalité, pour eux le siège de Saint-Pierre n'est pas vacant mais occupé par le chef des modernistes depuis le Concile Vatican II. C’est ce que ce courant très minoritaire dénonce et qui le place en marge du clergé ordonné durant ces cinquante dernières années. Considérés comme hors-Eglise par le Vatican, les fidèles de ces chapelles se veulent les gardiens d'une religion et d'une société qui vont courir à leur perte.

Ouvert en décembre 1961 par Jean XXIII, puis poursuivi à sa mort en 1963 par Paul VI, ce concile (qui se clôture en 1965) a, comme l’explique Paul Airiau, pour « objectif premier de mettre à jour la manière dont le catholicisme se définit vis-à-vis du monde et ça a abouti à des changements partiels de contenus » comme la rénovation et la simplification des rites, le passage de la messe en latin à celle en langue vernaculaire, l'égalité entre les membres du « peuple de Dieu », la liberté religieuse, la reconnaissance des autres Églises chrétiennes ou encore le rapprochement avec les autres religions non-chrétiennes notamment juive et musulmane. « Le but n’était pas de rompre la foi mais d’en proposer une exposition rénovée et adaptée à la situation contemporaine. Cette transformation était légitime sauf pour des gens comme Mr. Lefèbvre, la Fraternité Sacerdotale Saint-Pie X ou les sédévacantises qui y ont vu une rupture au niveau du contenu de la foi », ajoute-il.

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Pour l’abbé Roger, ce changement est resté « en travers de la gorge de beaucoup. » L'office terminé, les confessions s'enchaînent pendant une trentaine de minutes avant qu’il ne m'invite à entrer dans une pièce qui sans les multiples symboles religieux tiendrait plus d'une arrière-cuisine de MJC que d'une sacristie. Assis les mains jointes posées sur un petit bureau en bois où sont empilés quelques livres dont une Bible et un ouvrage sur l'exorcisme, ce fils d'une famille conciliaire de Loire-Atlantique me livre une vision du monde qui ferait passer les de Villiers pour des pur-sang agnostiques. Car de ce concours de Bible avec l’Église catholique pour savoir qui observe et transmet correctement la volonté de Dieu ou qui a laissé rentrer les francs-maçons au Vatican, découlent des schémas de pensées peu progressistes. « La femme a été voulue par Dieu pour transmettre la vie, pour la donner. Quand elle se détourne de sa mission, de ce qu'elle doit être de par la volonté de Dieu, elle devient quelque chose de, si je suis gentil, je vais dire d'étrange. »

« C'est une forme de contestation qui s'alimente de l'opposition systématique de ce que fait l'Église catholique, de ce que fait la Fraternité Saint-Pie X, de ce que pensent les uns les autres. Ça, c'est la dimension négative » – P. Airiau

Pour lui, la Manif Pour Tous ne va pas encore assez loin. « C'est souvent le problème. J'aurais aimé entendre que notre société actuelle ne peut pas vivre comme ça, avec ce genre de pratiques et de couples. Est-ce que Dieu a parlé ? Est-ce que Dieu a donné son avis sur cette question ? Oui, Dieu a répondu avec Sodome et Gomorrhe. J'aurais aimé qu'on nous dise que si on va contre la loi de Dieu, sa réponse viendra tôt ou tard. Après, je suis plein de compassion pour les individus, on n’est pas là pour condamner les personnes mais on n’est pas là non plus pour autoriser ce qui va contre la loi de Dieu, contre la loi naturelle, contre le bien-être des sociétés. »

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Au bout d'une heure de discussion, pas besoin d'être sociologue pour se rendre compte que si tu n’aimes pas la doxa, tu n’écoutes pas. Pour eux, ce sont les autres catholiques qui ont changé et qui ont tort. Soit on est avec eux en pensant que l'Église a été volée de l'intérieur par des traîtres, des hérétiques ou des francs-maçons et qu'elle ne subsiste que grâce à eux, soit on est contre eux. « C'est une forme de contestation qui s'alimente de l'opposition systématique de ce que fait l'Église catholique, de ce que fait la Fraternité Saint-Pie X, de ce que pensent les uns les autres. Ça, c'est la dimension négative. À l’inverse, la dimension « positive », c'est l'affirmation d'une foi catholique telle qu'elle s'exprimait avant Vatican II. Ce sont les deux faces d’une même pièce » précise P. Airiau.

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L'abbé Gilles Roger.

Références permanentes au diable, discours anti-IVG, société capitaliste qui nous pousserait en permanence à baiser, lien hasardeux entre femmes au foyer et diminution du taux de chômage, nombreux sont les exemples qui illustrent une conception du religieux et de la société un brin désuète, figée dans l'espace et le temps. Pour un spécialiste de la religion catholique, « ils réinterprètent le passé pour dire que ça a toujours été comme ça, alors que ça n'a pas toujours été le cas. Leur référence, c'est l'Église d'avant 1958 mais une référence qui est réinterprétée en fonction de questions contemporaines. » Un espace temps dont ils peinent parfois à définir les contours. Car entre une parole de Dieu immuable datant de plusieurs millénaires et le dogme d'infaillibilité du pape datant du XIXe siècle qui revient régulièrement sur le tapis, il y a un gap.

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Le problème n'est pas tant que ces gens d'Église s'arrangent avec l'histoire mais plutôt la façon dont ils le font avec la Loi. La pédophilie en est le parfait exemple. Ça n'empêche pas l'abbé Roger d'avoir un point de vue sur la manière dont il faut gérer les pointeurs dans l'Église. « J'ai quand même un peu de pitié pour M. Barbarin. Ce sont des choses qui ont été commises sous ces prédécesseurs et ce n'est pas le rôle de l'évêque d'emmener le prêtre aux autorités. Il y a bien évidemment une responsabilité de ces dernières. Elles doivent prendre des mesures de répression contre le clergé qui se comporte mal. Par contre, ce qu'il doit faire, c'est l'inciter à se dénoncer et le placer dans des institutions où le prêtre n'est plus en contact avec des jeunes. On lui dit que maintenant il sera surveillé et que c'est fini, il fera pénitence. Ce n’est pas les prisons de la République mais la prison de l'Église. » Dans un monde où la loi de Dieu surpasse celle de la République, pas besoin de l'immoral Code pénal, Dieu a tout prévu. Entre les effluves d'encens encore incrustées dans mes narines et les propos de l'abbé, j'ai subitement un étourdissement.

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Deux chapelles, une ambiance. À celle du Christ Roi, à Nantes, plusieurs dizaines de fidèles viennent chaque dimanche matin pour écouter la parole de Dieu et aussi celle de l'abbé Philippe Guépin, 68 ans. Ce dernier, qui comparaissait en février dernier au tribunal de Nantes pour « abus de faiblesse » n'a pas donné suite à mes demandes d'interview. Mais pour avoir assisté à quelques-uns de ses sermons, on n’est pas sur ce qu'on pourrait appeler un discours modéré :

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Extrait d'un sermon du 6 janvier 2019 :
« (…) Il a fallu ces trois manifestations (N.D.L.R. : prosternation des rois mages devant Jésus, baptême de ce dernier dans le Jourdain et les Noces de Cana) pour précisément donner toutes les possibilités à ceux qui n'avaient pas compris que c'était lui le messie attendu. Et en particulier les juifs qui vivaient dans cette espérance de la venue du messie mais nous savons qu'ils vont refuser notre Seigneur Jésus-Christ parce qu'ils ne veulent pas de quelqu'un qui vient les sortir de leurs mauvaises habitudes, de leurs pêchés, de leurs turpitudes. »

Chaque dimanche dans ce quartier proche de la gare, il n'est pas compliqué de reconnaître ceux qui vont s'engouffrer par le portail en métal blanc du numéro 88 de la rue d'Allonville. Surtout les femmes, qui pour la plupart portent déjà un foulard ou un couvre-chef, obligatoires à l'intérieur de la chapelle. Selon P. Airiau, cela vient « d’une interprétation d’un texte de Saint-Paul qui dit que la femme doit avoir un voile sur la tête et c'est devenu plus ou moins une norme dans le monde traditionaliste. À la base, c’était beaucoup pratiqué dans les campagnes où toutes les femmes sortaient avec quelque chose sur la tête. Après Vatican II, ça a été réinterprété comme un signe de décence et de la volonté divine. Là, on est vraiment dans la réinterprétation de quelque chose qui était juste une pratique sociale sans aucune autre implication religieuse particulière. » Au niveau des hommes, peu de signes distinctifs montrent leur dévotion à Dieu. Cheveux courts, interdiction des bermudas et des chemises à manches courtes, pour l'historien, « c'est encore une manière de se distancier de la société où les normes vestimentaires on beaucoup changées alors que ce n'est plus le cas dans une bonne partie du catholicisme. Il faut garder le contrôle de soi-même et ça passe par le vêtement ».

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C'est dans cet ancien hangar reconverti en chapelle que j'ai rencontré D. 25 ans. De sensibilité royaliste, favorable à un retour d’un État catholique, il est le seul, malgré mes nombreuses sollicitations, à avoir accepté de répondre à mes questions. Cet Angevin issu d'une famille moderniste devenue traditionaliste travaille dans le milieu carcéral et fait la route quasiment tous les dimanches en attendant d'aller au paradis. Après quelques textos, nous convenons d'un rendez-vous à la sortie de la messe. Assis avec un café sur un banc ensoleillé du Jardin des Plantes, je prends un aller simple pour le cancer tellement le discours de D. me fait enchaîner les clopes. Récent fidèle du lieu, il justifie la présence de prêtres pédophiles dans l'Eglise par le fait qu'ils ne sont justement pas de vrais catholiques. « Peut-être que ces pédophiles ont été validement ordonnés mais comme ça a été changé par la suite après Vatican II. Ça n'a plus de valeur et ces gens ne sont absolument pas prêtres. Si vous faites les choses contre le Bon Dieu en adoptant des pratiques qui ne sont pas catholiques et en mettant les pieds dans le modernisme et le libéralisme, je ne suis pas étonné qu'au bout d'un moment ça dérape. »

« La seule religion qui condamne la pédophilie c'est le catholicisme. Ce n’est pas condamné dans le judaïsme et c'est très pratiqué, pareil pour l'islam »

Peu importe qu'il s'agisse d'une institution catholique ou pas, à partir du moment où celle-ci est fermée et sans contrôle, de nombreux exemples montrent (comme en Australie) que l'une des manières d'utiliser son pouvoir sur les enfants, c'est de le faire via la sexualité. Sans broncher, D. m'affirme pourtant, « que la seule religion qui condamne la pédophilie c'est le catholicisme. Ce n’est pas condamné dans le judaïsme et c'est très pratiqué, pareil pour l'islam. » Il condamne aussi le viol, l'avortement et l'homosexualité mais le récent documentaire d'Arte sur le viol des religieuses et l'ouvrage Sodoma de Frédéric Martel nous montrent bien qu'en matière de géométrie variable, l'Eglise niquerait tout le monde au concours Kangourou.

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Terrain miné, je préfère changer de sujet et essayer de comprendre de quoi il veut se sauver. En gros, Dieu a créé la Terre avec plein de ressources, pour qu'on s'en serve, qu'on se sanctifie, qu'on partage son bonheur d'avoir fait tout ça et qu'on aille au Ciel. Enfin, si tout se passe bien. « Après, ça se mérite. Il ne nous fait pas venir directement au paradis. Au bout d'un moment, il nous envoie une épreuve. C’est-à-dire qu'il nous demande si on est vraiment digne de ce qu'il nous propose au ciel. C'est un bonheur infini, qu'on ne peut pas imaginer sur Terre et pour le mériter, on a des embûches, des épreuves, le démon est là pour nous tenter par exemple au niveau sexuel. »

Ça tombe bien, j'ai toujours eu envie de parler de cul avec des types comme lui et de leur demander comment ils font pour esquiver le Démon. Comment ces gens capables de faire des raccourcis entre homosexualité et SIDA dealent-ils avec la chasteté et une société full porno access ? « La sexualité est quelque chose de naturel, qui est plus fort que nous et c'est pour ça qui si on veut s'y tenir et ne pas avoir de pratiques immorales comme la masturbation, les rapports hors mariage, on doit demander sans cesse le secours de Dieu. Quelqu'un qui se laisse aller à une sexualité débridée va avoir plus tendance à se laisser aller au meurtre par la suite qu'une personne qui ne la pratique pas. » À ce moment-là, j'ai l'impression d'avoir quasi tous les symptômes d'un AVC : étourdissements, perte d'équilibre, engourdissement et affaissement d'une partie du visage, vomissements, difficulté à s'exprimer et à comprendre cette personne vierge qui tente de m'expliquer qu'à cause de mon mode de vie et de mes plans cul j'ai plus de risques que lui de tuer quelqu'un. « Ça ne va pas dire qu'il va passer à l'acte mais il aura plus de mal à ne pas le faire. Ce qui est logique » conclut-il comme pour essayer d'arrondir ses propos.

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En attendant d'avoir une situation financière stable pour fonder une famille, D. me confie que c'est quand même compliqué de gérer l'abstinence même masturbatoire, mais que grâce « au secours de Dieu, ce n'est pas impossible. » Son modèle passe bien sûr par la case un papa qui charbonne et une maman dévouée à l'éducation des enfants et à la bonne tenue de la maison. Alors qu'il me parle de sa manière d'envisager sa future vie de famille, je tente une dernière question à propos de l'adoption d'enfants par les couples homosexuels. Mauvaise pioche mais ça je le savais. « Si vous voulez fonder un foyer et que vous ne le faites pas avec une femme, de manière complémentaire, il ne faut pas s'étonner que les enfants soient complètement déstabilisés. Les plus grands médecins vous le diront, même un médecin de base. S'ils vous disent le contraire, c'est que ce ne sont pas des gens recommandables. On ne peut pas dissocier le spirituel du matériel, ni le religieux du social. C'est impossible, sinon ça part en cacahuète. C'est ce qu'il se passe à l'heure actuelle. »

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