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Music

Niro n'est pas là pour se faire mousser

« Avant, cette musique avait une identité, maintenant il n'y a que des Nabilla dans le milieu. »

Vendredi dernier avait lieu le dernier concert de Niro au Bataclan. Cette date marquait le final de sa tournée pour l'album Miraculé. Le parcours du rappeur de Blois a été assez fulgurant. En quelques années il est passé d'un inconnu total à une valeur sûre quasi-incontournable du rap français. En un minimum de temps, Niro a été invité partout et a featé pratiquement tout le monde. On a pu s'entretenir au téléphone avec le rappeur la veille de son concert. On a fait son premier bilan de carrière, évoqué le syndrôme Nabilla qui règne dans le rap actuel, la nouvelle garde blésoise et l'importance de rester terre à terre tout en citant Migos, Laurent Ruquier et Cheb Mami.

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Noisey : On t'étiquette comme un rappeur de rue, mais t’es aussi capable de faire des morceaux hyper drôles type « Noyeux Joël ». C'est important pour toi de garder un côté déconne ?
Niro : Eh ouais. Ce morceau c'était mon idée. Tu sais d'où ça vient ? De la trilogie des Friday. Dans le dernier, y'a un père noël caillera qui part charbonner chez les gens. Zekwe Ramos est bien placé pour te dire qu'on ne se prend pas au sérieux, on rigole souvent. J'ai toujours eu de bons délires avec lui. C'est un mec qui a de l'humour, un artiste, un genre de petit génie de la musique recroquevillé dans son coin. En vrai, il est archi chaud.

Paraplégique, Rééducation et enfin Miraculé, on te souhaite quoi pour le prochain, « J'ai gagné au loto » ?
[Rires] Je suis content, ça vend plus que le précédent. Je monte les marches petit à petit. Ce qu'on peut me souhaiter, c'est de faire une grande scène parisienne, des grandes scènes partout en France, d'avoir un disque d'or ou de platine. Mais ce n'est pas mon but ultime : je veux surtout faire de la musique qui reste dans le temps.

Barrington Levy en featuring, c'est un kif que tu t'es fait ?
En fait, on me l'a proposé. Puis j'ai réfléchi. Pas longtemps non plus, parce que je savais ce qu'il représentait. Le morceau n'était pas destiné aux petits : je savais qu'ils ne connaissaient pas Barrington. Je l'ai fait pour mon kif ouais, et pour faire plaisir aux vétérans, à ceux qui connaissent. J'aime bien ramener des gens qui ne sont pas forcément dans l'actu mais qui sont toujours chauds. Ça tombait bien.

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Des gens m'ont dit qu'ils n’avaient pas compris ton clin d’œil à Kaaris. En gros, quand tu parles de « fendre une chatte en deux », c’est littéral, avec un sabre, ou simplement en baisant ?
A la tronçonneuse peut-être. Non, en vrai c'était juste une dédicace à sa phase. Je trouve ça bien de se faire ce genre de clin d’œil, c'est humble en fait, ça prouve qu'on peut s'inspirer sans être des suceurs. Je n'avais pas vraiment eu d'image en tête… J'y ai pas du tout pensé comme ça… T'es bien cramé, toi ! [rires]

On sent dans l'album une lassitude par rapport au milieu de la musique. Le rap aujourd'hui, tu le vois comme un taf ou une passion ?
Ah, bonne question, parce que c'est voulu que tu ressentes ça à l'écoute. Faut être dedans pour le croire. Je suis quelqu'un de simple : le succès, c'est l'ennemi de la modestie. Et t'arrives dans un milieu où tout le monde veut briller, tout le monde crache sur tout le monde… Je trouve ça pété. J'ai tendu la main à plein de gens et j'en parle dans certains morceaux : il y a une sale mentalité qui règne. Même dans certains médias, c'est un milieu éclaté, c'est chacun pour sa peau. T'es dans la lumière aujourd'hui, ils vont te lustrer jusqu'au bout mais si demain ça s'arrête, t'as les médias contre toi, tout le monde te charrie, ils peuvent te baiser ta vie. Ça m'emmerde. Avant dans le rap, les mecs controversés étaient soutenus. C'était quelque chose d'honorable.

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C'est marrant parce qu'on dirait que t'as connu une sorte de carrière accélérée. La phase où tout le monde t'invite, puis « hé mais en fait c'est des enculés », et maintenant tu prends du recul par rapport à tout ça.
Je vais te dire la vérité : rares sont ceux qui ne m'ont pas appelé. Parce que la rue, c'est nous, moi et d'autres. Il y en a plein que j'ai refusés, pas parce que je ne les respecte pas mais parce que ça ne m'intéresse plus. C'est malheureux, je sais très bien que la plupart sont des mecs bien, mais je calcule encore plus rarement les gens. Pour certains, je rappe avec eux, je sais que ça me rapportera rien de spécial mais c'est des ghetto youth, des bonhommes, et ça me suffit. Mais il y en a d'autres… Ce ne sont pas des hommes, frère. Je ne vais pas m'attarder là-dessus, mais faut être dedans pour le croire. Avant, cette musique avait une identité, maintenant il n'y a que des Nabilla dans le milieu ! Ils ne savent que tailler, tout est dans l'apparence… Et en plus, 80 % d'entre eux rappent comme moi y'a 3 ans.

Tu ne penses pas que ce soit lié au fait que vous écoutiez les mêmes rappeurs américains au même moment ?
Je vais t'expliquer un truc : je ne connais pas Migos. Vraiment. Si tu écoutes Paraplégique, prends le morceau « Belek », et dis-moi que ce n'est pas le flow qu'ils prennent aujourd'hui dans le rap français. Tout le monde m'a dit que c'était Migos qui avait ramené ce délire là, Juicy J, etc… Moi je connais Juicy P, je ne connais pas Juicy J, frère. Véridique. J'écoute presque rien en fait. Les derniers trucs avec lesquels je me suis bousillé, c'était 2 Chainz, l'album avec tous les tubes, Meek Mill, et le dernier Rick Ross, et pourtant je ne suis pas très Rick Ross. En ce moment, je suis sur Rich Gang et Young Thug, leur dernière mixtape est chaude. Mais Migos, je ne savais même pas qui c'était. Va écouter « Belek » et tu verras si je mens. J'ai des potes qui m'appellent : « mais il veut quoi, lui, pourquoi il rappe comme ça ? » Je ne vais pas en rajouter mais ce son il a marqué plusieurs personnes vraiment importantes dans ce rap game, qui l'ont ensuite repris. Tranquille, qu'ils se lâchent, je m'en bats les couilles. Ce qui est relou, c'est que maintenant je dois…

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Trouver encore autre chose.
Voilà, je me renouvelle. L'album qui arrive, vous allez tous serrer du cerveau. Vous allez vous dire : « le khey, il va mal ». Il y aura des délires de mongole mais des sons très sérieux aussi. Je ne vais pas claquer 100 000 € dans un feat américain. Je vais sortir un album cru et sale comme on sait les faire.

Est-ce que t'envisages un projet commun avec tes potes de Blois, Koro et tous les autres ?
Ouais, parce que mes gars sont les plus fous du game. Je vais vous ramener Koro, Nino Brown, Boush-B… Dieu seul sait combien je les aime. J'aimerais pouvoir tous te les citer mais ils sont trop nombreux. Je vais faire un truc avec eux c'est sûr. J'essaie de chauffer Koro mais il a une vie de famille. Le petit Nino Brown il s'en battait un peu, il est dans d'autres sphères, mais il commence à y réfléchir donc je suis content. Pour Boush-B, tu as peut-être entendu ce qui lui était arrivé, il y a eu une polémique dans les médias. Il s'est fait tirer dans l’œil, au flashball, par un keuf. Ils viennent de lui mettre un œil en verre, donc j'ai pas envie de lui casser les couilles. Je l'ai déjà fait venir au Bataclan, c'est déjà un truc de ouf parce qu'il n’a même pas le droit de sortir de chez lui. Voilà. Et il y a plein d'autres petits très chauds niveau rap qui arrivent bientôt.

Il y a aussi eu un malentendu : les gens ne captaient pas que si tu gardais tes lunettes, c'était uniquement pour rester discret. A quel moment t'as opté pour ça à la place d'une casquette rabaissée à la Sefyu ?
Je me suis rendu compte que les gens me reconnaissent dehors, j'ai une maman, faut pas que tout ça me dépasse. J'aurais pu me protéger autrement mais j'ai choisi ça. J'ai fait en sorte qu'on ne me voit pas en dehors de la musique, que je puisse marcher tranquille avec ma femme. Certains me reconnaissent, mais la plupart du temps on ne me calcule pas et c'est bien. Je ne te dis pas que c'est négatif, rien à voir, mais j'aime garder une vie privée. Quand t'as mon caractère, les compliments qui pleuvent sur toi sont gênants. Je ne sais jamais quoi répondre, je suis partagé entre la fierté et la gêne… C'est bien que ton travail soit reconnu, mais je ne suis pas dans le délire de se faire mousser. Il y a une vie après le rap.

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Concrètement, entre les commentaires des internautes, le côté rap game que tu n'aimes pas et le côté relou de la célébrité, il y a des moments où tu te dis « on me faisait moins chier quand je bicravais » ?
Ouais. C'est ce que je dis dans « Enemy ». Les gens aiment te voir en bas, j'ai gardé les mêmes amis depuis l'enfance. Si je fais une connerie, ils vont me dire « gros, t'as merdé ». C'est aussi pour ça que j'ai gardé mon intégrité par rapport à plein de trucs. Faire des disquettes radiophoniques c'est facile pour moi. J'ai tout simplement gardé les pieds sur terre. Disons que la plupart des gens qui me critiquent, ils n'ont pas acheté mon CD déjà, ils font rien de leur vie, c'est tous des Laurent Ruquier, ils sortent d'un buisson, ils vont dire quoi ? Ce qui m'a le plus fait rire ce sont les remarque type « ouais, tu rappais mieux avant », mais quand tu rappes comme avant, ils trouvent que tu tournes en rond et quand tu changes, ils sont nostalgiques. Les gens ne savent pas ce qu'ils veulent alors moi je leur donne ce que je veux. Alors comme le dit le chef de publication, bah…

« Qu'ils aillent se faire enculer » [rires]
Voilà.

Les gens attendent peut-être de nouveaux bangers, comme avant, mais vu ce que tu me décris de ton prochain album, ça devrait les réconcilier non ?
Ceux qui veulent ça, ils en auront. Mais regarde bien, je dois jongler entre les puristes qui veulent des « Où sont tes potos », les mecs de la rue qui veulent « Perdus », « Enemy », les jeunes qui veulent du « Viva Street » et les vétérans qui veulent « Chacun ses raisons »… Les goûts et les couleurs, frère… Moi je fais juste ce que j'aime. Si t'aimes tel style, t'écoutes tel morceau, si t'aimes rien, t'aimes rien. Satisfaire tout le monde, c'est impossible, le monde où l’on plaît à tous n'existe que dans nos têtes.

Je voulais quand même te féliciter parce que tu as su dire non au raï’n’b sur ton album.
Ouais, j'ai pas osé. Le Raï, ça ne me dérange pas, mais j'aime pas ce qu'il est devenu. « Mon amoooooour, woooo »… le gars parle en rebeu, en céfran, on sait plus ! Le Raï que j'aimais c'était exclusivement en rebeu, l'époque du grand Khaled et du grand Mami, pas l'époque « Aïcha » ou « Vous m'avez trahi », tu vois ? J'écoute du vrai Raï. Je pourrais faire un featuring Raï, mais pas comme ça, faut pas mélanger.

Un dernier mot ?
J'espère que je vous ai aidé dans votre petite conquête du monde d'Internet et que vous n’allez pas écrire de chroniques bizarres sur moi, sinon on va vous niquer ! [Rires] A part ça, j'écris un film là.

Quand il n'est pas au téléphone, Yérim Sar est sur Twitter - @spleenter