Kraftwerk a toujours été le plus français des groupes allemands

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Kraftwerk a toujours été le plus français des groupes allemands

La légende électronique s'est produite il y a quelques jours à Düsseldorf, sa ville natale, pour le lancement du Tour de France. Un nouvel acte fondateur de l'amitié franco-allemande auquel a assisté Didier Lestrade.

Le Tour de France a débuté il y a quatre jours à Düsseldorf dans une ville heureuse et fière de présenter au monde entier son plus grand groupe, Kraftwerk, la légende de la techno et de la fusion quasi atomique entre la pop et l'art. Mais ce qui était fascinant lors du concert en plein air donné dans le parc Ehrenhof, en face de la magnifique Tonhalle où, en fin de concert, les couleurs du drapeau français étaient projetées comme un ultime hommage, ce sont les incessantes références à la culture hexagonale qui jalonnent un répertoire commencé il y a 57 ans.

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Fact. Kraftwerk est un des plus grands groupes au monde. De tous les temps. Son influence sur l'Electro, la House et le Hip hop n'est plus à démontrer, c'est tout simplement le carrefour entre la musique blanche et la musique noire. Né à Düsseldorf en 1970, le groupe a fait partie de la vague du rock allemand, celui de Can, Tangerine Dream, Amon Düll et Klaus Schulze mais leurs albums conceptuels ont sorti l'Allemagne de la torpeur de l'après-guerre en réhabilitant tout ce qui effrayait encore à l'époque. En 1973, Ralf & Florian plonge déjà dans les mélodies vallonnées et alpines d'un pays que l'on préférait ne pas voir. Avec Autobahn en 1974, Ralf Hütter et Florian Schneider obtiennent un succès mondial et inventent la musique de voyage et le vocoder.

La consécration définitive arrive avec Radio Activity en 1975 et le premier manifeste pop contre l'atome. Suivent ensuite une boulimie productive avec une trilogie d'albums essentiels : Trans-Europe Express (1977), The Man Machine (1978) et peut-être leur plus beau, Computer World en 1981, qui prédit les applications de drague d'aujourd'hui. Soudain les albums deviennent plus rares avec Electric Café en 1986 et Tour de France en 2003. Tout au long de leur carrière, la musique concrète de Kraftwerk détourne les symboles industriels qui ont terrorisé le monde : la Ruhr, Mercedes et WV, l'atome et surtout cette langue allemande chargée de trop d'images et pourtant si poétique, si douce, si pastorale.

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Tout est art chez Kraftwerk. En 1978, au dernier étage de la tour Maine Montparnasse, pour le lancement de Man Machine, le groupe parlait courtoisement avec quelques privilégiés tandis que les premiers robots de Ralf, Florian, Wofgang et Karl étaient présentés sur scène comme les avatars des artistes. C'est le début du long processus qui met la machine avant l'humain. La pochette de l'album est le premier revival populaire du Bauhaus, désormais universel mais qui commençait juste à revivre pleinement. C'est un groupe qui réconcilie sa nation en sautant dans le futur.

Kraftwerk magnifie le passé dramatique du pays en prédisant un nouvel âge, celui d'une nation réunie. La plus grande puissance de l'Europe est sans cesse décrite à partir de la diagonale du design de leur musique. Toute l'imagerie de Kraftwerk est né de la courbe droite des architectes allemands de l'avant-guerre, tout en la noyant dans une pléthore de datas électroniques et de robots. Ses angles pointus, ses aplats de couleurs franches, tout cela est vu de l'espace par les satellites qui nous observent. C'est ce qui rend ce groupe si universel, au stade de pouvoir jouer dans le festival de Jazz de Perugia, ce 7 juillet, dernière date de l'été.

Mais là, en l'occurrence, nous sommes le 1er juillet. Une pluie fine est tombée toute la journée sur le premier jour d'un Tour de France que la ville entière accueille à travers son habillage, les messages sur les tramways, les drapeaux français et la bière, encore la bière, bue sans retenue dans tous les rues de la ville. Alors que les 15.000 personnes se rassemblent dans un ordre et une autodiscipline toute teutonne, le soleil perce enfin pour le concert de Air que Kratfwerk a sélectionné en première partie du concert.

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Et c'est le début d'une longue énonciation de l'amour du groupe allemand pour la culture française. On peut tout dire sur Air, ce groupe de chill-out qui n'a en fait que trois chansons connues, leur look est so french. On comprend ce choix à travers leur retenue, leur absence totale de sex-appeal (à part le batteur barbu à cheveux longs qui est le seul à bouger), leur look immaculé, mais le public reste poli et réservé. Air est le prolongement de ce Tour de France que les fondateurs de Kraftwerk aiment tellement et c'est un juste retour des choses puisque le directeur de la grande boucle, Christian Prudhomme, a personnellement insisté pour obtenir le grand groupe natif de la ville.

Quelques minutes avant 21h, alors que la nuit n'est pas encore tombée, le spectacle débute, lunettes 3D en bonus et on sent une immense tendresse du public (plutôt âgé) envers ce groupe dont la créativité scénique captive plus qu'elle ne libère. Les gens dodelinent de la tête mais ne dansent pas, envoûtés par les images projetées sur les écrans plats. Il faut dire que le son pourrait un chouia plus fort, ce n'est pas du tout l'ambiance déchaînée que l'on avait vue lors de leur premier passage au Sonar de Barcelone en 1998. Et puis, jouer en extérieur n'est pas le choix le plus facile pour un groupe si synthétique.

Au fil du répertoire, on prend conscience à quel point Kraftwerk aime notre pays. Leurs textes sont bourrés de références à une France culturelle à son sommet, des années 70 à la fin des années 80. Si toutes les chansons sont jouées en version allemande, la vidéo en noir et blanc de « Das Model » montre un défilé de mode très Balenciaga. Trois titres provenant de Tour de France jouent sur le double sens des mots comme « la forme » - physique et visuelle. « Champs Elysées » dans « Trans-Europe Express », « Madame Curie » dans « Radio Activity », phrases traduites dans de nombreux titres, ces clins d'œil laconiques renforcent les dimensions internationales du groupe qui a aussi utilisé le japonais, le russe, le polonais, le roumain ou l'espagnol.

Deux heures plus tard, la fin du concert coïncide avec les faisceaux bleu-blanc-rouge lancés de la Fernsehturm, grande tour de communication de la ville. Juste derrière la scène, la Tonhalle s'illumine aux couleurs du drapeau français, ce qui émerveille le public (beaucoup de prises de photo). L'Allemagne, qui est toujours mal à l'aise avec son propre drapeau, est joyeuse de se voir encore associée l'emblème tricolore. En dépit du perfectionnisme de leur travail, en fait un symbole de la supériorité germanique, l'humilité du groupe (ou ce qu'il en reste) est toujours surprenante. C'est la tradition, les membres du groupe quittent la scène les uns après les autres par un salut humble, réservé, émotif (main sur le cœur pour le leader Ralf Hütter). Kraftwerk sait dire au revoir par une simple révérence comme au théâtre, mais sans rappel. Didier Lestrade est sur Noisey et Twitter.