Sister Iodine distille toujours le poison le plus violent de France

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Sister Iodine distille toujours le poison le plus violent de France

À l’occasion de la sortie de leur nouvel album « Venom », et en amont de leur release party aux Instants Chavirés en fin de semaine, on a tenté de percer le secret de longévité de l'immense trio noise parisien.
Marc-Aurèle Baly
Paris, FR

Comment se fait-il que Sister Iodine, sans doute l’un des groupes les plus radicaux, intransigeants et entiers qu’ait connu notre pays, ait réussi à se dépatouiller, en plus de 25 ans de carrière, face à ce marasme qu’est justement le rock de France ? Comment se fait-il, surtout, que son inaltérable violence et son insondable beauté n’aient en rien été entamées par les années, et qu’elles semblent même encore plus pures aujourd’hui qu’elles ne l’ont jamais été ?

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C’est peut-être justement dans sa quête éternelle d’absolu qu’il faut aller chercher l’un des secrets de longévité les mieux gardés du trio formé par Lionel Fernandez, Nicolas Mazet et Erik Minkkinen au début des années 90 à Paris. Une volonté continue de faire - et de se faire - violence, de se débarrasser dès le départ des codes du rock et de ses composants pour aller fouler des terres infréquentées et même parfois infréquentables - en tout cas pour le commun des mortels. Puis en malmenant et en déconstruisant tous les qualificatifs qu'on a voulu lui accoler : ainsi, no wave, post rock, noise électronique, harsh noise, puis enfin metal ont tous subi un retapage à la tronçonneuse de la part d'un groupe qui n'a jamais pris autant de plaisir que dans la destruction de ses propres édifices. À l'orée des années 2000, le triangle infernal Pansonic, Russell Haswell, Merzbow a marqué au fer rouge Sister Iodine, lequel s'est empressé de malmener ces nouvelles données électroniques : machines, synthétiseurs, batteries n'ont plus alors servi une assise purement rythmique ou des textures sonores, mais encadraient désormais un tonnerre de tous les diables, où toutes les fonctionnalités se mélangeaient, donnant ainsi lieu à une composition architecturale se bâtissant au travers de sa propre annihilation. Un processus créatif et destructif qui donne aujourd'hui l’impression que chaque disque de Sister Iodine est à la fois le premier, mais aussi le dernier, comme si le trio voulait tout mettre, le monde et sa négation, toutes les violences et toutes les passions, dans la même bouteille, le même flacon.

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Lorsqu'on rencontre le groupe au Chiquito, un des rares rades de Ménilmontant pas encore touché par la gentrification du quartier, il nous éclaire sur leurs intentions de départ, qui ont sans doute toujours été les mêmes, et qui semblent expliquer - en partie - pourquoi leur musique est toujours aussi vivante aujourd'hui.

Lionel Fernandez : « On n'a jamais été très à l'aise avec les codes du rock, d'être un groupe de rock, d'être dans la répétition. » Nicolas Mazet, le batteur, enchaine : « Dans la première période, on a fait de grosses tournées, on avait le fonctionnement d'un groupe de rock normal, presque. Il y a eu une remise en question, après le départ d'un des membres du groupe, où on a tout remis à plat. Un choix d'explorer, de partir vers autre chose. Depuis, on n'a jamais quitté cet autre chose. »

Erik Minkkinen, autrefois chanteur-guitariste mais désormais dévolu à un poste plus flottant : « Il y a toujours eu un aspect de saut à la perche. Comme si on devait franchir une marche à chaque fois. »

Le nouvel album de Sister Iodine, sorti le 20 février sur le label Nashazphone, s’appelle Venom, un thème que les trois semblent apprivoiser depuis maintenant plusieurs années. Car s’il devait y avoir un fil rouge à tirer dans leur discographie aussi éclatée que dispendieuse (qui prodigue à la louche de la fureur, de la folie, mais aussi de l'amour – on y revient), ce serait celui-là : le venin, celui qui s’insinue dans le corps, un poison qui invoque d’un même mouvement noirceur, acrimonie, plaisir et beauté. Car Sister Iodine est une éponge, qui absorbe la violence du monde tout autant qu’elle la rejette, la faisant sienne et la vomissant d’un même geste.

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Peu de groupes et de disques donnent aujourd’hui l’impression de vouloir livrer une œuvre et une guerre totales à leur environnement. Et plus que jamais aujourd'hui, Sister Iodine évolue en dehors des sentiers de la séduction, ce qui, fait assez rare pour être souligné aujourd’hui en musique, nous ôte d’office la sensation qu’on essaie de nous vendre quelque chose. Moyen d’expression plus que moyen de conquête, la dureté absolue dont fait preuve leur musique est salutaire, car elle entre en opposition avec tout ce qu’on connait ailleurs, soit des clins d'œil de complicité adressés à l'auditeur, des références communes qu'on se refile entre gens de bon goût. L'oppression de la musique de Sister Iodine est ainsi libératrice, à l'opposé de la vraie violence des autres, la prise en otage de leur musique apparaissant paradoxalement comme bien moins intrusive que l'entreprise de drague de la plupart de leurs contemporains.

Autre luxe entrevu sur Venom : celui de prendre son temps. Dès que commence « Blaaack », longue complainte contrariée en ouverture de leur sixième album avec une explosion justement black au milieu, on est frappé par l'opulence des textures sonores, par la richesse des arrangements, par le temps accordé à l'ouvrage, alors même que le groupe nous dit utiliser une table de mixage de fortune « sur laquelle il faut frapper pour que les potards s'allument ». Cette anti-fétichisation de l'objet est sans doute ce qui donne de sa saveur, de son vivant à un disque qui donne l'impression d'être devant un ensemble de tableaux plus que de morceaux, comme si ses maîtres d'œuvre n’avaient pas écouté de musique depuis des années.

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C’est ce que dit plus ou moins Lionel : « Il n’y a rien qui m’ait marqué, à vrai dire, ces dernières années. Rien qui ne m'ait transcendé. » Ce qui sous-tend l’idée qu’il y a effectivement tout un tas de choses de qualité à Paris, mais pas d'odyssée collective à laquelle se raccrocher. Mais y en a-t-il jamais eu en ce qui concerne la musique à guitares en France ? En tout cas, Sister Iodine se démarque de ces considérations-là, de son époque, de ses contemporains, avec un surplus d’ambition de forme. Et, à l’heure d’Internet, réussit donc une prouesse : celle de produire désormais une musique débarrassée d’histoire, de ramifications, de dénominateurs communs, mais également d’influences : il n’y a plus de metal, de noise, de chapelle à laquelle se raccrocher, si ce n'est la leur, aussi radicale et libre que généreuse et ouverte à n'importe qui. C'est ce qu'on peut observer sur scène, où la puissance de leur son prend des atours immédiats, et où l'on sent que même des spectateurs peu amènes de la chose noise peuvent s'y plonger sans détour.

Ce qui met à mal l'idée de musique de la confrontation qu'on a trop souvent essayer d'accoler à Sister Iodine.

Lionel : « On fait puissamment les choses qui nous excitent. On aime des disques de Bernhard Gunter qui sont 45 minutes de cliquetis. On n'a pas peur d'un magma d'angoisse en intro facturé d'un tom qui arrive sans prévenir. Ces choses-là sont pour nous les plus belles, on n'a été ému que par des trucs de tarés dans notre éducation musicale. 90 % des choses que j'aime, elles ont été tirées à 500 exemplaires. Et d'ailleurs je suis effaré quand je discute avec des gens de la musique dans la milieu parisien, de voir que la réflexion s'articule quasiment tout le temps autour de cette question : 'Est-ce que les gens vont comprendre, est-ce que ça va passer ?"

Il y a un titre d'une chanson de Gainsbourg, « Un poison violent, c’est ça l’amour », qui s'appliquerait volontiers ici ; rarement a-t-on subi décharge plus violente de débris émotionnel en écoutant un disque, rarement a-t-on été autant servi en autant de bile et de désir dans le même mouvement, et rarement a-t-on eu autant le sentiment de se trouver face à un objet aussi contemporain que le Venom de Sister Iodine. Leur volonté de ne pas conceptualiser, intellectualiser ni théoriser leur propre musique (tout juste apprend-on qu'ils tirent le sublime titre du morceau « Nous sommes surannés, vivons de nos idéaux passé » d'un film de Jean-Marie Straub et Danièle Huillet), va bien au-delà de la simple flemmardise de musicien. Car qu'y a-t-il à verbaliser lorsque le regard qu'on nous offre sur disque semble observer le chaos du monde qui nous entoure avec autant d'acuité ?

Le sixième album de Sister Iodine, Venom, est sorti le 20 févriersur le label Nashazphone.
La double release party de l'album aura lieu les 2 et 3 mars à Montreuil aux Instants Chavirés.