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Feminisme&

« La congélation d’ovocytes, c’est le droit de disposer de son propre corps »

En toute illégalité, Myriam Levain est allée jusqu’en Espagne pour faire congeler ses ovocytes. Interview.
Photo : Myriam Levain

Cofondatrice du pure-player féminin ChEEk Magazine, la journaliste Myriam Levain a suivi le parcours d’environ 500 femmes en France : lâcher 4 000 à 6 000 euros et partir à l’étranger mettre ses ovocytes au congélo. À 35 ans, célibataire et sans enfant, Myriam Levain s’est lancée de mars à décembre 2017 dans ce parcours de combattante. Prises de sang, échographies, allers-retours dans une clinique espagnole, traitement hormonal pour stimuler les ovaires, anesthésie générale… Le tout illégalement, puisque l’autoconservation des ovocytes n’est possible en France qu’en cas de pathologies comme l’endométriose, l’insuffisance ovarienne ou les traitements qui altèrent la fertilité.
Le but de la jeune femme ? Se laisser la possibilité d’une grossesse plus tardive, par fécondation in vitro, avant d’implanter l’ovocyte dans l’utérus. Elle pose aux femmes la question : Et toi tu t’y mets quand ?, titre de son livre qui paraît le 16 mai aux éditions Flammarion. Interview.

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VICE : Écrire ce livre, c’était un acte militant ?
Myriam Levain : La féministe en moi a voulu prendre la parole sur ce sujet. Je trouve que l’on n’entend pas assez les premières concernées sur les sujets de la parentalité et de la réappropriation du corps. Moi, je peux à la fois témoigner, parce que je l’ai vécu, et ouvrir la voie en tant que journaliste. Quelque part, je ne pouvais pas ne pas faire ce livre. Il s’est imposé à moi. D’autant que le hasard a fait que j’ai eu 35 ans l’année passée, quand on a commencé à parler d’autoconservation. Je me suis dit que je vivais un moment historique.

Si c’est « historique », comme vous le dites, pourquoi est-ce que ça ne connaît pas le même boom que les avortements clandestins avant la loi Veil de 1975 ?
C’est très simple : parce que ce n’est pas connu. Et cela concerne aussi un profil particulier : des femmes CSP +, qui ont de bonnes carrières, de bons revenus et accès à l’information. Qui ont beaucoup bossé et ont aimé l’indépendance du célibat. Bref, des femmes qui sortent un peu du schéma traditionnel : à 35 ans, seules 20 % des femmes n’ont pas d’enfant…

Est-ce encore compliqué, aujourd’hui, de ne pas faire d’enfants en France ?
La France est un pays où les femmes font énormément d’enfants. On considère comme un échec le fait de ne pas en avoir avant 35 ans. Pourtant, jusqu’à 45 ans, tout est encore possible. Mais on n’entend jamais celles qui n’en auront définitivement pas, c’est toujours chuchoté. Il est important d’affirmer que l’on peut se réaliser autrement que dans la maternité. Moi, peut-être que j’aurai des enfants, ou peut-être que je n’en aurai pas. Je ne sais pas si je décongèlerai un jour mes ovocytes, ni quand, mais j’ai pris un rendez-vous avec moi-même pour plus tard.

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Pensez-vous qu’il y ait un tabou plus fort autour de l’autoconservation que d’autres formes de PMA ?
C’est nouveau : ça a 15 ans dans le monde, 7 ans en France. Et en plus, chez nous, c’est illégal ! De manière générale, il y a une grosse levée de boucliers sur la PMA, avec les résistances que l’on connaît sur les couples lesbiens, les célibataires… Mais le paradoxe, c’est que la congélation d’ovocytes s’adresse majoritairement à des femmes hétéros qui attendent de rencontrer un mec. On est carrément dans un schéma traditionnel. Oui, on peut le faire à l’ancienne, avec n’importe qui, dans un bar. Mais nous, justement, on veut fonder une famille. C’est l’aspect le plus traditionnel de la PMA, finalement.

Est-ce que les femmes ont une connaissance suffisante de leur corps ?
Non. C’est un énorme problème. C’est une des raisons pour lesquelles on est mal informées. Moi la première : j’avais vaguement entendu dire que l’âge de 35 ans marquait un cap. Mais si moi, journaliste spécialisée sur les questions de femmes, j’ignorais pourquoi, j’imagine que la commune des mortelles ne le sait pas non plus. On n’a pas du tout conscience que ce qui fait chuter la fécondité des femmes, c’est le vieillissement des ovocytes. On croit à tort que c’est la ménopause.

Comment est-ce que cela pourrait être résolu ?
D’abord, si c’était légal, les médecins pourraient en parler ouvertement, et éviter d’envoyer les femmes toutes seules à l’étranger. Certains docteurs veulent bien t’aider, mais ce n’est pas la majorité. Et de toute façon, ils ne sont pas là avec toi. Tu dors toute seule à l’hôtel, à l’étranger. Ça, c’est dur.

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La congélation d'ovocytes est-elle la prochaine conquête féministe ?
C’est le droit à disposer de son propre corps, d’arrêter de vouloir contrôler les femmes. Au nom de quoi la société empêcherait ça ? Les freins, ce sont probablement la religion, comme on peut le voir avec la Manif pour tous – et, aussi, un vieux fond de patriarcat. C’est quand même énorme, le pouvoir d’enfanter, quand on y pense. La biologie a voulu ça, et les femmes ne cessent de le payer depuis la nuit des temps. Elles font face à des mâles qui légifèrent et qui flippent que les femmes puissent faire des enfants sans eux.

Ce ne serait pas le rêve ?
Ce n’est ni le rêve, ni le schéma dominant. Avec la congélation d’ovocytes, on autonomise un peu les femmes, mais on les rend surtout moins esclaves d’un modèle. Entrées dans la trentaine, elles n’ont plus de marge de manœuvre. Avec l’autoconservation, on essaie de leur en redonner. Mais ça reste médicalisé, ça reste des hormones, ça reste un traitement qui n’est pas si léger. Nombre d’entre elles ne veulent pas en passer par là. Si j’avais un message à faire passer à tous les médecins sexagénaires ou politiques anti-PMA, je dirais : arrêtez de penser que c’est du confort et de la convenance, et écoutez les femmes concernées.

Que répondez-vous au Comité consultatif national d’éthique, qui s’est prononcé contre l’autoconservation des ovocytes sans motif médical ?
L’argument qu’ils ont brandi – le coût – est soluble puisque ça ne concernera jamais une majorité de femmes. Quand j’entends que c’est une solution de confort ou de convenance, ça me rend dingue. C’est médicalisé, ça peut être lourd à porter, il y a le risque que ça ne marche pas comme on veut… C’est clairement un plan B. C’est méconnaître les femmes trentenaires que de dire qu’elles vont se ruer sur cette solution.
Mais le pire argument, c’est celui qui consiste à dire que les entreprises vont s’en servir pour faire pression sur les femmes carriéristes qui veulent reporter leur maternité. Les femmes ne le font pas pour leur carrière, mais parce qu’elles n’ont pas de partenaire. Les médecins le disent, et moi je l’ai observé… 100 % de celles que j’ai rencontrées ont fait ce choix parce qu’elles n’avaient pas de partenaire, pas pour faire carrière.

Donc pour vous, la position française est hypocrite.
On ne soutient pas l’avancée de la science quand il s’agit du corps de la femme ! Or, un ovule n’est pas un embryon, c’est un organe comme un autre. J’aimerais qu’on puisse avoir la maîtrise de ce qu’on en fait. Les femmes qui ont recours à l’autoconservation ne sont pas des gamines. Donc j’aimerais bien qu’on soit moins infantilisées et qu’on nous laisse prendre nos décisions.
D’autant plus qu’en France, on manque cruellement de donneuses d’ovocytes. Les gens ont souvent des enfants plus tard, du coup les femmes sont souvent trop âgées et doivent avoir recours au don d’une femme plus jeune. C’est hypocrite, car elles sont souvent envoyées en Espagne ou en Belgique par leur médecin pour faire du tourisme médical, alors qu’autoriser l’autoconservation permettrait de créer une banque d’ovocytes. Pour l’instant, 90 % des femmes qui autoconservent ne s’en servent pas pour elles. On peut imaginer qu’une petite partie d’entre elles ferait un don.

Nos voisins espagnols, belges ou britanniques ont déjà autorisé cette technique. À quand la France ?
C’est assez incompréhensible que ce ne soit pas déjà le cas, car on a été pionniers sur la PMA. On ne peut pas se permettre de louper le coche cette année. Ce sera débattu au Parlement, je me dis que ce n’est pas possible qu’on passe encore à côté en 2018. Les prochains États généraux de la bioéthique seront dans 7 ans. Il y a urgence : on ne peut plus attendre.