Gloire et déchéance des ultras du Sporting club de Toulon
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Gloire et déchéance des ultras du Sporting club de Toulon

Aujourd'hui auto-dissout, les Irréductibles toulonnais ont fait les beaux jours des tribunes varoises pendant 22 ans. Retour sur l’histoire du groupe, aussi agitée que l’ambiance qu’il faisait régner en tribunes.

Il y a plus de deux ans, à la fin du mois d'août 2015, un communiqué était diffusé sur larascasse.fr, un forum Internet réservé aux fans de l'équipe de football du Sporting Club de Toulon. Sur ce dernier, les Irréductibles, le plus ancien groupe de supporters toulonnais alors en activité, annonçaient officiellement leur dissolution, mettant ainsi fin à une folle aventure de 22 ans.

Si la nouvelle est passée inaperçue dans les grands médias sportifs du pays, elle choque les habitués des tribunes françaises et les connaisseurs de son histoire. « On savait qu'ils avaient quelques galères depuis qu'ils s'étaient mis en sommeil quelques mois avant, mais j'avoue qu'apprendre que les Irréductibles arrêtaient, ça a fait un peu bizarre », témoigne par exemple un ancien habitué du Virage Auteuil. « Pour pas mal d'ultras, c'était, et c'est encore aujourd'hui d'ailleurs, un groupe un peu mythique des années 1990/2000 avec une histoire pas banale, toujours présent pour son club malgré les déboires de fou que le Sporting a pu connaître. »

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Pour comprendre l'origine de la création des Irréductibles (ou « IRD ») en 1993, il est nécessaire de remonter une dizaine d'années plus tôt à Toulon, au moment où le football se portait encore pas trop mal dans la commune varoise. À cette époque, Manu, un des fondateurs des Irréductibles et longtemps capo du groupe, découvrait alors les tribunes de supporters… « J'ai le parcours classique », explique aujourd'hui cet instituteur de 42 ans qui a été le seul membre du groupe toulonnais à nous parler . « Petit, j'allais au stade avec mon père et il y avait le Kop à Mayol (initialement un stade de rugby mais où se jouaient les matchs de première division de Toulon) avec, au milieu, 200/300 mecs debout, de la ferveur, des fumigènes, des tambours, des confettis… Quand t'es minot, t'as un peu peur, il y a des moments chauds, mais c'est fascinant ! »

Âgé de 15 ans , Manu se rend aux rencontres du Sporting avec des potes de son lycée. « Entre-temps, deux groupes ultras s'étaient montés dans les tribunes toulonnaises : les Rastas du Bronx et les South Wolf's», précise-t-il. « Les mecs qui avaient monté les South Wolf's étaient plutôt portés tifos à l'italienne, tandis que les Rastas étaient eux un peu plus bagarreurs, ils ont vite fédéré des mecs de quartier autour d'eux. C'était une époque plutôt mouvementée, surtout à Toulon, une ville populaire avec une vraie identité et une grosse fracture sociale. Au niveau des supporters, il n'y avait pas de parcage réservé aux fans adverses… Et aussi plein de déplacements chauds et notamment dans le Sud avec Nice, Bastia, Cannes et évidemment Marseille, le rival. C'était LE derby avec des supporters qui se déplaçaient des deux côtés. Quand on y allait, on se garait loin du stade pour pas se faire fracasser les caisses… J'ai connu des moments assez violents lors de ces matchs. » « De ces années, les déplacements les plus tendus c'était forcément les déplacements dans la région, Toulon en tête», confirmait d'ailleurs à ce sujet un ancien membre du Commando Ultra marseillais sur Vice il y a deux ans. « Il y avait une rivalité pour la suprématie du Sud, des gars en face… Ils nous attendaient tout le temps et vice-versa quand ils venaient chez nous. »

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En novembre 2014, la tension entre Toulon et la réserve marseillaise était toujours palpable.

Club français mythique (crée en 1945, professionnel pendant plus de 50 ans et deux fois en demi-finale de la Coupe de France) le Sporting Toulon va pourtant peu à peu s'essouffler au début des années 1990. C'est pendant cette période que va naître un nouveau groupe : la Brigade Azur et Or (le surnom de l'équipe toulonnaise). En 1991, le club varois accueille l'Olympique de Marseille, alors en pleine forme, lors d'un match de championnat. Souhaitant réserver la tribune de la Brigade aux nombreux supporters marseillais annoncés, sa direction propose au jeune groupe toulonnais de quitter son emplacement habituel le temps de la rencontre. « Pour nous, il n'était pas question d'accepter et on a dit au club qu'on ne bougerait pas », affirme Manu, un des créateurs de cette Brigade. « Le Sporting a finalement cédé et on s'est retrouvé presque parqué chez nous, mais on avait assumé. C'est là ou la génération qui sera à l'origine de la création des Irréductibles a gagné ses lettres de noblesse… Les anciens disaient : « Ils ont quand même eu des couilles ! ». En plus Toulon gagne le match, ce qui était assez rare à cette époque.»

À l'issue de la saison 1992-1993, Toulon est relégué en seconde division mais n'est pas au bout de ses peines… « Sur le plan financier, rien ne va plus », peut-on lire sur le site officiel du club. « Les salaires ne sont plus payés, la mairie traîne les pieds pour verser la subvention, le plan de redressement présenté par le Président est repoussé. » La DNCG - la Direction nationale de contrôle de gestion, organisme chargé de surveiller les comptes des clubs pros en France -, décide de rétrograder le club en National, la troisième division française…

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Une immense déception aux yeux des membres des trois groupes de supporters ultras, mais, pour eux, pas question de lâcher leur équipe. Ils décident même de se regrouper sous une seule et même bannière : les Irréductibles sont nés ! « En réalité, on avait déjà monté une association officielle avant car le club des supporters de l'époque était très légaliste ne voulait pas avoir des ultras dans ses bus lors des déplacements, indique Manu. Ils avaient peur et faut avouer qu'on aimait bien mordre la ligne… Ils facturaient aussi les deps très chers alors qu'on était jeunes et sans une tune. Avec une association officielle, on a pu louer nos propres bus et a permis à des jeunes de faire des déplacements à des prix réduits. »

Une preuve de l'amitié liée entre les Tigris parisiens et les Irréductibles toulonnais.

Pour le nom, les IRD souhaitaient quelque chose en français. « Les South Wolf's, les gars ne comprenaient pas l'anglais, comme les joueurs, les vieux, les journalistes… », précise-t-on chez les supporters toulonnais. « On voulait pas s'appeler "ultras" comme à Marseille et on voulait un nom qui nous ressemble. On s'est creusé la tête et comme on suivait pas mal l'Italie où il y avait des groupes qui s'appelaient Irriducibili, on a pensé à «Irréductibles» en français… Avec les galères du club, les gens s'y sont identifiés et ça a contribué à faire venir du monde. »

Les deux premières saisons en National sont un peu compliquées. Après un début de saison catastrophique, le Sporting loupe la montée de peu. Du côté des IRD, le premier déplacement officiel du groupe se déroule à Arles (« dans une enceinte qui ressemblait à un stade de quartier, sans guichet… On ne savait même pas si ça se jouait là »), les supporters découvrent les affiches peu attrayantes du National, quittent le stade de Mayol pour revenir à Bon Rencontre, plus excentré, mais dénichent un local. « On y faisait des réunions, confectionnait des drapeaux, mais on y a aussi fait des repas, du soutien scolaire, de l'aide pour les mômes du quartier », assure Manu. « C'était un lieu de vie pour les mecs du groupe, mais ça avait également une vraie fonction sociale. »

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« Lors de la saison 1995/1996, on a enfin une équipe qui tient la route et on remonte en seconde division », poursuit-il. « On bâche et on fait des animations avec des drapeaux et des fumis qu'on trouve facilement sur les bateaux dans le port de la ville, ça revient au stade au nombre… Vu qu'on est plus nombreux, on peut faire des déplacements en bus qui changent des déplacements de merde en J9 ou en voiture. On revoyait aussi des supporters adverses. La deuxième division n'est peut-être pas la meilleure période en tant que supporter, mais faut reconnaître qu'en tant qu'ultra, c'était sympa. On développait bien avec 200 ou 300 membres, on avait une vraie bande de bons copains, un local qui turbinait à fond et le club était cool avec nous. On s'est même retrouvé à rédiger le fanzine officiel du Sporting ! »

Quelques-uns des instants de gloire toulonnais.

Avec les joueurs, l'alchimie est également parfaite. « Dans l'équipe, on avait des mecs qui étaient de Toulon et des anciens supporters », expliquent les ultras toulonnais. « C'était pas rare qu'un mec qui sorte en cours de match nous rejoigne en tribune après sa douche, le gardien du club a fêté son anniversaire dans le local du groupe, bref il y avait une vraie symbiose… Cette même année, les joueurs trouvaient que notre bâche était abîmée et ils ont carrément été jusqu'à faire une réplique ! On avait halluciné… »

Mais Toulon étant Toulon, les déboires extra-sportifs reprennent vite le dessus puisque le Sporting rencontre d'énormes problèmes financiers… « Le Président a démissionné, et les joueurs sont en grève », lit-on sur le site du club. « De ce fait, la DNCG décide de rétrograder le Sporting à titre conservatoire, en fin de saison. L'objectif est encore une fois de se maintenir pour éviter une double rétrogradation. Mais en dépit de quelques bons résultats, le Sporting ne peut se maintenir. » Placé en redressement financier, Toulon subit donc une rétrogradation administrative et débute la nouvelle saison en Division d'Honneur (DH), le sixième échelon national…

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« Au moment de la descente en DH, c'est vraiment la merde », se souvient Manu. « Les partenaires lâchent le club, les supporters classiques se barrent… On est quand même pas mal d'anciens à rester et à se regrouper au sein du « Old Clan », mais c'est la «Jeune Garde», de jeunes Irréductibles, qui relance vraiment la machine IRD, et avec un très beau succès ! Ils ne sont pas très nombreux, mais ils réussissent pourtant à perpétuer la vie et l'esprit du groupe au stade et en dehors en maintenant une vraie vie associative et un aspect social en organisant régulièrement des repas, des concerts, des tournois de baby-foot, de ping-pong ou de Playstation. En plus, la plupart d'entre eux sont les petits frères de membres et n'ont jamais connu le Sporting dans le foot professionnel… Ils ont nettement plus de mérite que nous pour ce qu'ils ont réussi à mettre en place. »

À Mayol puis à Bon Rencontre, l'ambiance est quand même bonne et les matchs à l'extérieur sont parfois l'occasion de scènes plutôt mouvementées… « En football amateur, la moitié des rencontres se déroulent dans la région », continue l'ancien capo des Irréductibles. « T'as pas de problèmes avec les supporters adverses, mais t'auras plus des embrouilles avec des mecs des quartiers du coin qui donnent lieu à des moments de tension et des scènes cocasses. Je me souviens d'un déplacement à Manosque vraiment chaud qui était parti dans tous les sens. Au niveau de la police, t'as pas d'escorte policière qui t'intercepte sur l'autoroute pour te mettre en parcage. Et quand le public local voit arriver une cinquantaine de mecs, il prend peur et appelle les flics qui appellent la Bac… »

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Quelle que soit la division dans laquelle joue Toulon, la ferveur demeure.

C'est également pendant cette période que naît l'amitié avec les supporters parisiens des Tigris Mystic 1993. « Au début, les contacts, c'était juste de la correspondance entre ultras», se souvenait un ancien TM93 sur le site de So Foot. « La première vraie rencontre a eu lieu lors d'un tournoi organisé par les Karsud (un groupe du virage Auteuil). Si l'amitié au sens large du terme concernait pratiquement tout le virage Auteuil à l'époque, les Toulonnais se sont rapprochés de nous au fur et à mesure.» Une amitié qui perdure encore aujourd'hui, au même titre que celles avec des groupes de clubs italiens d'Alessandria, du Genoa et de Naples, mais aussi avec des Allemands de Dortmund ou des Écossais du Celtic.

Sur le terrain, le Sporting Club Toulon (renommé Sporting Toulon Var depuis 1998) retrouve des couleurs. Champion de Division d'Honneur en 2001-2002, le club varois remporte le championnat de CFA 2 la saison suivante puis celui de CFA en 2004-2005, ce qui lui permet de monter en National. « On fait le dernier match de la saison contre la réserve de l'AS Monaco », se remémore Manu. « On sait qu'on va monter et on a envie que ça soit un jour de fête. Alors on décide de louer un train pour y aller. Chose qu'on avait jamais faite, je ne sais pas ce qui nous a pris… On arrive à 150 à la gare de Toulon mais le chauffeur de la locomotive refuse finalement de venir. La SNCF décide donc d'arrêter un Paris-Nice pour nous y amener. Avec 150 IRD bien chauds à son bord, c'est évidemment un carnage, il y a des bagarres et le train est arrêté.. Mais on réussit quand même à rallier Monaco pour fêter la montée ! »

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« En plus d'évoluer de nouveau au niveau national, cette période a aussi été l'occasion pour l'équipe de réaliser quelques beaux parcours en Coupe de France », poursuit-il, sans fanfaronnade abusive. Car ces coups d'éclats ne suffisent pas à remplir les caisses : « Ce club, c'est l'enfer et on s'est encore retrouvé avec des problèmes de ronds. » Relégué sportivement en CFA en 2007, le Sporting va y rester quatre années avant de subir une nouvelle rétrogradation administrative en Division d'Honneur à l'issue de la saison 2010/2011, toujours à cause de galères financières. Fidèles à un de leurs slogans (« Notre passion n'a pas de division »), les Irréductibles ne lâchent pourtant pas l'affaire et continuent leur aventure en assurant un soutien inconditionnel aux joueurs et en offrant de jolis tifos aux spectateurs toulonnais comme au moment de leurs 15 ans face à Martigues en 2008 ou lors de la célébration des 10 ans de leur jumelage avec les Tigris en 2011 lors d'un match opposant Toulon à l'Entente Sportive du Cannet-Rocheville…

Malgré eux, les Irréductibles deviennent une espèce de symbole du mouvement «Non au foot moderne» cher aux ultras des clubs français et européens. « On a eu des gens qui venaient de partout pour nous voir et qui nous disaient : «Putain, c'est le top ce que vous avez, c'est le vrai football à l'ancienne ! » indique Manu. « Alors que nous, même si on vomit le foot business, on voulait juste une équipe qui gagne… »

En octobre 2013, Toulon accueille l'équipe B de Marignane au stade de Bon Rencontre pour le compte de la seconde journée de Division d'Honneur de la Ligue Méditerranée. Une rencontre particulière pour les IRD93 puisque c'est celle-ci qui est choisie pour célébrer leur vingtième anniversaire. Un événement fêté de fort belle manière avec un spectacle en cinq actes agrémenté de pots de fumée puis de fumigènes en fin de match qui plaît à la direction du club et aux journalistes locaux, mais beaucoup moins à la Ligue Méditerranée qui en profite pour coller une sanction de quatre matchs à huis clos à l'équipe toulonnaise… dont celui très important contre Rodez (alors en CFA) dans le cadre du huitième tour de la Coupe de France !

L'anniversaire en images.

Minés par cette affaire et des résultats sportifs toujours compliqués, les Irréductibles font aussi face à la lassitude d'une partie de ses membres et se mettent en sommeil en février 2014 avant de jeter définitivement l'éponge en août 2015. « Il n'y avait plus de turn-over, nous n'avions plus de vision commune du rôle que devait tenir l'association », explique aujourd'hui Manu. « Certains voulaient continuer, mais sans les inconvénients de la vie associative. C'est quelque chose qui arrive dans ce genre de collectifs. On en a beaucoup parlé entre nous et on a donc décidé d'arrêter l'aventure… »

« Crève-cœur », cette décision n'a pourtant pas sonné la fin du stade pour ces amoureux du Sporting Club de Toulon (nom qu'il a récupéré en 2015/2016). « Il n'y a juste plus de groupe unique, chacun rejoint ses potes selon ses affinités mais ça reste ensemble dans la tribune latérale et dans la rue comme face aux Marseillais chez nous en novembre 2014 », assure Manu. « Les mecs sont debout et encouragent, ceux qui veulent mettre un étendard sur le grillage le mettent… On a gardé ce côté latin, à l'italienne, mais avec une sorte de collectif qui se régule de lui-même. » Quant à l'avenir du football toulonnais, l'ancien capo des Irréductibles continue à espérer des jours meilleurs : « On vient de fusionner avec le deuxième club de la ville, les infrastructures sont là… Bref, on a tout pour y arriver et toute la ville n'attend que ça ! Et si Toulon remonte, le public sera au rendez-vous et le mouvement ultra tiendra sa place. Je ne sais pas sous quelle forme, mais il tiendra sa place… »