Passi n'en a pas fini avec « Les Tentations »

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Passi n'en a pas fini avec « Les Tentations »

À l'occasion de sa récente réédition, nous sommes allés discuter avec l'ex-Ministère A.M.E.R. de son album-phare, sorti en 1997.

Passi pourrait-il être à nouveau un rappeur qui compte au sein du paysage français ? Pas sûr, mais le Franco-Congolais fait en tout cas tout pour que la situation se présente. Comment ? En surfant sur la nostalgie, principalement : trois ans après avoir organisé une tournée pour les vingt ans du Ministère A.M.E.R., quelques mois après avoir grandement participé à la tournée « L’âge d’or du rap français », Passi revient donc en cette fin d’année avec une réédition XXL de son grand classique, Les Tentations. Pas d’inédits au programme, mais des remixes, des featurings datés de la même époque (sur les compilations Première Classe ou Sad Hill, par exemple), un livret de 48 pages et des titres qui, pour la plupart, n’ont rien perdu de leur finesse d’écriture.

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Réécouter le premier album de Passi vingt ans après sa sortie, c’est donc l’occasion de se replonger dans une œuvre bourrée de tubes (« 79 à 97 », « Je zappe et je mate », « Le maton me guette ») et de classiques qui ont réussi le pari de rester ancré dans un savoir-faire purement hip-hop tout en s’ouvrant à une ligne mélodique capable de séduire le grand public (« Le Monde est à moi », « Les flammes du mal »). C’est aussi l’occasion, plus triste, de constater que certains titres ont mal traversé les époques et que Passi n’a jamais vraiment réussi à retrouver le niveau affiché ici. Inutile de dire que ça valait donc le coup d’aller passer un moment avec lui pour en discuter.

Noisey : Pourquoi avoir choisi de rééditer Les Tentations ? Ce sont les vingt ans de l’album, certes, mais tu n'as pas peur que l'on t'accuse de réaliser un coup marketing ?
Passi : À la limite, si je n’avais sorti que cet album depuis vingt ans, j’aurais pu le comprendre. Mais là, entre mes autres disques solos, mon travail de production et les projets collectifs, j’estime avoir prouvé mon talent créatif. En plus, je n’inclus pas d’inédits dans cette réédition, simplement un CD bonus avec des titres ou des remixes enregistrés à l’époque : « Nautilus » avec Oxmo, « Meuf du Showbiz » avec Kheops, un remix de « 79 à 97 », etc. L’idée, c’était de remettre en lumière une période du hip-hop et de profiter de cette réédition pour partir en tournée. IAM et Doc Gyneco l’ont fait avant moi et ça n’a pas posé de problème. Je ne vois pas pourquoi ce serait le cas pour moi, d’autant que ça me permettra de jouer sur scène des morceaux que je n’ai plus joué depuis longtemps comme « Il fait chaud » ou « Tu me manques »…

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En 1997, l'album a été disque d'or en à peine trois semaines. Il y avait des éléments qui laissaient présager un tel succès ?
En quelque sorte, oui : les gens me connaissaient grâce au Ministère A.M.E.R., j’avais co-écrit « Est-ce que ça le fait ? » avec Doc Gyneco et le son tournait pas mal en radio, « Les flammes du mal » également. On peut donc dire que le public m’attendait, que mon nom circulait. Cependant, je ne m’attendais à ce que ça marche autant. Le disque s’est rapidement vendu à plus de 500 000 exemplaires, sans compter le nombre de copies pirates qui ont dues circuler en Afrique au même moment [Rires].

Tu te rappelle de l’état d’esprit dans lequel tu as abordé ce premier album solo ?
Avec le Ministère, c’était l’armée. On enregistrait tout ensemble et on se donnait des missions en permanence. Là, j’ai dû tout gérer seul, sans avis extérieur et avec des thèmes beaucoup plus personnels. Attention, je ne dis pas que Les Tentations a été plus difficile à réaliser que les albums avec Stomy et Hamed Daye. C’est juste que j’avais la pression de devoir tout assurer : la promo, les concerts, l’enregistrement. Quand c’est comme ça, si l’album ne marche pas, ça vient forcément de toi. À ce moment-là, il y a une certaine forme de pression qui s’installe.

Avant la sortie, tu avais quand même fait écouter l’album à Stomy et Hamed Daye pour qu’ils le valident ?
À l’époque, Stomy et moi, on habitait dans le même appartement et on se donnait sans cesse nos avis sur les projets que l’on avait, en commun ou non. Mais ce n’était que des conseils, on n’était pas du genre à casser le délire de l’autre. Pareil avec les autres gars du Secteur Ä : que ce soit Jacky Brown, Calbo et Lino d’Ärsenik ou même Doc Gyneco, avec qui j’ai bossé sur « Vanessa » et « Est-ce que ça le fait ? », on se donnait en permanence des conseils. Et on aurait eu tort de s’en priver. C’est une chance d’être aussi bien entouré.

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Avec le recul, on a l’impression que tout ce que touchait le Secteur Ä à la fin des années 1990 se transformait en or…
On avait des groupes assez forts et de vrais personnages talentueux au sein du collectif. Quand tu vois Ärsenik et Neg’s Marrons en concert, tu sens tout de suite que ce sont de véritables bêtes de scène, même encore aujourd’hui. Stomy et le Doc sont quant à eux des personnages à part entière, complétement fous. C’est finalement très rare de trouver autant de mecs talentueux au sein d’un même collectif hip-hop. Surtout que l’on a tous un public qui nous est propre lorsqu’on est en solo.

L’année prochaine, on fêtera les vingt ans de votre concert à l’Olympia en 1998. Ça te rend nostalgique ?
Non, mais c’est clair que ça été l’apogée sonique de l’aventure Secteur Ä. On fêtait à la fois les cent ans de l’abolition de l’esclavage et le succès de nos différents disques. Pour être honnête, je suis en train de voir avec tout le monde pour que l’on se réunisse sur scène l’année prochaine pour fêter les vingt ans de cette date mythique.

Esthétiquement, tu prends quand même des distances très nettes avec le son du Ministère A.M.E.R. ou de ce que pouvait proposer Stomy Bugsy en solo sur Les Tentations ?
J’étais tout aussi branché West Coast que Stomy et Doc Gyneco à l’époque. Seulement, leurs albums solos étaient déjà sortis et prônaient cette affinité avec la G-funk. Ça me faisait donc chier d’exploiter à mon tour cette esthétique. J’avais bien commencé à écrire des titres dans la même mouvance, très influencés par ce que pouvait faire N.W.A, mais j’ai fini par me recentrer sur la côte Est, et notamment sur New York avec le côté mélancolique que l’on peut retrouver dans pas mal de mes morceaux. L’enregistrement a duré deux ans, il y a donc un certain nombre de titres que j’ai fini par mettre de côté pour privilégier ceux enregistrés sur la fin, à un moment où j’écoutais beaucoup Ready To Die de Biggie.

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Le sample des Feux de l’amour sur « Je zappe et je mate », tu ne te disais pas que c’était un peu osé pour l’époque ?
Tout s’est fait trop vite pour que j’ai le temps d’y penser. Pour te resituer un peu l’histoire, « Je zappe et je mate » ne devait même pas être sur l’album. À la base, c’était juste un freestyle que j’avais fait comme ça. Seulement, il me manquait deux-trois morceaux pour finaliser le disque. Alors, j’ai repensé à mon pote qui avait ce sample des Feux de l’amour et au fait que l’on était tous morts de rire en l’entendant en studio. Je trouvais que ça faisait sens de poser mon texte sur ce son. À l’époque, cette série représentait la télévision, elle passait juste après le journal de 13h et était donc vue aussi bien par les chômeurs et les personnages âgées que par les malades ou les mecs en prison. La série, comme la musique de son générique, est connue de tous. Selon moi, c’était une façon de montrer une autre facette de mon travail, de prouver que le rap, très critiqué à l’époque, pouvait toucher tout le monde.

Quelle était la part d’implication d’Akhenaton et Doctor L sur ce disque ?
Doctor L était finalement plus présent sur l’album de Stomy que sur le mien. En revanche, Akhenaton a produit sept titres sur le disque. Et encore, il aurait pu y en avoir bien plus. J’étais allé à Marseille pour bosser avec lui dans son studio et on avait en stock au moins une quinzaine de titres. À l’époque, peu de mecs étaient capables de bien produire du hip-hop avec le matériel nécessaire. Akhenaton, lui, en faisait partie, et il avait de l’expérience dans le domaine. Si tu ajoutes White & Spirit, Nasser et Desh, on peut dire que j’avais une équipe de ouf autour de moi. Si Les Tentations est aussi bon, c’est aussi grâce à eux.

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Il paraît que « Les flammes du mal » devait à la base être un duo avec Akhenaton, mais que tu trouvais l’instru trop dingue pour la partager ?
Le truc, c’est que j’avais déjà deux duos avec Akhenaton sur mon album et que ce n’était donc pas un nouvel exercice pour moi de bosser à nouveau avec les gars d’IAM sur la BO de Ma 6-T va crack-er. En plus, ils avaient déjà un autre morceau sur la compilation… White & Spirit, les producteurs, avaient beau vouloir une collaboration entre IAM et moi, je leur ai fait comprendre que je ne voulais pas me répéter et griller mon album. Les gens auraient pu finir par se lasser de ces collaborations à répétition, ils n’auraient pas été surpris.

En écrivant « Le monde est à moi », tu avais conscience de tenir là l’un de tes meilleurs couplets ?
C’est difficile à dire… Tout ce que je peux dire, c’est que j’avais trois couplets au début, mais Akhenaton a tellement kiffé le son qu’il a insisté pour en poser un. J’étais un peu hésitant, mais son couplet était tellement dingue que j’étais obligé de l’accepter [ Rires]. Du coup, j’ai enlevé un de mes couplets, on s’est échangé quelques phrases pour le refrain et ça a donné le résultat que tu connais. Au final, c’est mieux comme ça. Akhenaton a tellement été présent sur ce disque, il fallait qu’il ait sa voix sur l’album.

Il travaillait comment en studio ?
Très simplement : il me faisait écouter plusieurs sons, on voyait ce qui pouvait marcher ou non et, pendant qu’il retravaillait quelques détails, j’écrivais mes textes. C’était très fluide et productif. Surtout, c’était très passionné. On était capable de parler pendant plusieurs heures d’une simple note.

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Quand on réécoute l’album aujourd’hui, on se rend compte que certains titres ont assez mal vieilli. Je pense notamment à « Le keur de sambo » ou « L'Antre de l'ange ». Quel regard tu portes sur ces morceaux ?
Sur un disque de 18 titres, c’est finalement normal que 4-5 morceaux aient vieilli vingt ans plus tard… Cela dit, je préfère penser autrement : sur un disque de 18 titres, sept sont passés à la radio, et quatre ou cinq autres morceaux restent toujours dans l’actualité, que ce soit grâce au thème abordé ou à la qualité du son. Je peux en être fier.

Avec le recul, tu ne te dis pas que tu aurais pu épurer un peu l’album ?

Oui, tu peux toujours penser comme ça. Mais ça correspondait à une époque. À la fin des années 1990, on aimait bien les grands albums, avec plein de titres. Aujourd’hui, les rappeurs sont tout aussi productifs, mais procèdent différemment : Jul publie deux albums par an, Damso un chaque année. Mais leurs sorties contiennent dix ou douze morceaux maximum. Dans les années 1990, si tu faisais ça, on t’aurait reproché de te foutre de la gueule des gens. On ne balançait de nouveaux albums que tous les deux ou trois ans, il fallait donc qu’il y ait au moins quinze ou vingt morceaux dessus.

Depuis la sortie de ce disque, il y a des choix que tu regrettes ? Ta participation à la Star Ac’, par exemple ?
Non, et je vais te dire pourquoi : je viens d’un milieu où on m’a toujours répété que je ne faisais pas de la vraie musique, d’un milieu où j’ai toujours dû me battre pour faire exister ce putain de rap français. Et pourtant, ma notoriété a été telle au début des années 2000 que même la plus grande chaine de télévision française, TF1, me voulait pour être jury dans son émission phare aux côtés de Pascal Nègre et d’Yvan Cassar, le Mozart français.

Il y avait une dimension financière dans tout ça, non ?
Bien sûr, mais j’ai surtout pris plaisir à le faire. D’une certaine manière, ça prouvait que TF1 reconnaissait mon talent, que j’étais influent et que j’avais un parcours exemplaire. Aujourd’hui, Joeystarr et Dany Synthé font pareil que moi sur d’autres chaines. Mon truc, finalement, ça a toujours été de chercher à ouvrir des portes. Je venais d’un quartier, je faisais partie d’un groupe stigmatisé et j’évoluais au sein d’un genre musical marginalisé. Selon moi, c’était important que des gens du rap osent faire ce genre de choses et prennent leurs responsabilités, quitte à essuyer les critiques. C’était pareil avec le Bisso Na Bisso : à l’époque, tout le monde me reprochait de mêler le rap aux sonorités africaines, on me disait que ça ne se faisait pas. Mais regarde aujourd’hui MHD… On fait mine de parler d’afro-trap et d’oublier que ce genre de tentatives est aujourd’hui possible grâce à ce qu’on a accompli il y a plusieurs années.

Dans un des morceaux de Les Tentations, tu dis « la France au rap français ». C’est plus que jamais ce qui se produit actuellement, non ?
Oui, c’est clairement la réalité du moment. Mais le rap n’a pas encore totalement gagné la bataille. Il faut que les gens suivent l’exemple de projets comme OKLM ou Trace TV, que l’on a fondé avec le Secteur Ä. Il faut oser, faire en sorte que l’on soit les médias de demain. Moi aussi, quand j’ai pris le micro, on me disait que je n’y arriverai pas. Pourtant, le Ministère A.M.E.R. a rencontré son public, Les Tentations également. Il m’a permis d’installer le nom « Passi » auprès du grand public, avant de m’essayer à d’autres productions, comme le Bisso Na Bisso.

Cette année, on t’a vu monter au créneau dans Salut les terriens !. Tu fais donc partie de cette longue liste de rappeurs victimes de la complaisance des médias français. Comment tu expliques le fait que rien n’ait changé ces vingt-cinq dernières années ?
Aux États-Unis, les médias hip-hop ont très rapidement été créés par les rappeurs ou producteurs eux-mêmes, et ces médias cartonnent tout aujourd’hui en terme d’audience. Du coup, une fois qu’un rappeur est validé par ces rédactions, il n’a plus rien à prouver auprès des médias généralistes. Il y a un côté autodidacte que l’on n’a pas en France. Ici, on est encore soumis au bon vouloir de certaines émissions pour être validé ou non. Or, le respect ne s’attend pas, il se prend. On ne peut plus compter sur les institutions françaises, à l’image des Victoires de la Musique qui, bien que le rap domine tout, continue de relayer le hip-hop en fin d’émission. On a besoin de prendre confiance en nous et de ne plus avoir à faire appel à Ruquier ou Ardisson pour se faire connaître auprès d’un public non initié. Maxime Delcourt est sur Noisey.