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ain't it fun

Ultraviolence et persécutions en Avignon

Didier Fernandes m’a parlé de sa vie de wasted youth provençal en guerre contre le monde entier.

Je me suis rendu pour la première fois en Avignon lorsque j'avais 12 ans, en colonie de vacances. J'avais englouti deux Big Mac sur la place de l'Horloge en essayant de capter quelque chose aux tracts pétés distribués par les troupes de théâtre du coin. Ça m'avait convaincu de ne plus jamais y retourner, jusqu'à décembre dernier. Cette fois, je traçais dans les rues étriquées du centre piéton avant de tomber nez à nez sur la couverture d'un bouquin : celle-ci montrait un type du coin, spikes sur le crâne bleachées à la Javel. Son regard morveux était celui d'un Sid Vicious bien portant, qui avait visiblement passé sa vie éclairé par le soleil de la Méditerranée. Le livre s'appelait Décélération Punk. Je l'ai chopé.

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En gros, c'est l'histoire d'un groupe de punks provençaux formé par les frères Paul et Didier Fernandes durant l'année 1977. Ces deux jeunes cons ont battu le pavé d'Avignon, ville médiévale violente que personne ne saurait précisément situer sur une carte de France. Au moment où le reste du pays saluait le non-talent de Téléphone et que les punks de la première heure se lançaient corps et âme dans la new wave, Avignon était à Paris ce que les scènes locales hardcore et Oi! ont été à Los Angeles et Londres. Être punk à Avignon entre 1977 et 1982, c'était être d'office le plus gros dégénéré de la ville.

En juin 1982 sur la place de l'Horloge, un armée de mecs des quartiers menés par un dénommé « Banzaï » ou le « Chinois » les ont pris à parti. Paul s'est défendu avec sa lame, résultat : un mort parmi les assaillants. L'échauffourée sonnera le glas des punks avignonnais. Jean-Marc Quintana s'est mis en tête de leur consacrer un livre sorti l'année dernière aux éditions du Camion Blanc. Il m'a d'ailleurs refilé le numéro de Didier Fernandes qui m'a parlé de sa vie de wasted youth provençal en guerre contre le monde entier.

VICE : Salut Didier. Tu peux me dire pourquoi tu t'es investi dans le punk à Avignon ?
Didier Fernandes : Nos parents étaient divorcés, Paul habitait sur Avignon et moi sur Morières. Un jour, je suis tombé sur une photo des Sex Pistols dans un magazine type Best.

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C'était quand ?
C'était en 1977, on avait 15 ans tout juste. Ça parlait de punk. C'est ce qui a tout déclenché.

Vous étiez branchés musique avant ça ?
Avec Paul, on n'avait pas vraiment de passé musical. Notre principale influence c'était Elvis. Les Beatles ou les Rolling Stones on n'écoutait pas. Encore moins ce qui se rattachait aux hippies. Le punk est venu tout détruire d'entrée. On n'attendait que ça, le bruit et l'image. Le reste on s'en foutait.

Il y avait des disquaires sur Avignon à l'époque ? Le bouquin parle d'un magasin appelé Li-Sounds mais c'était plus tard, je crois.
Ouais, c'est venu plus tard. Le premier, c'était Symphonia 2000.

C'est là que tu t'es acheté ton premier disque ?
Oui, c'était en automne 1977 et c'était le premier single des Pistols avec « Submission » et « New York », sorti chez Barclay. J'avais déjà des disques à la maison mais c'était Paul qui les achetait. Son premier disque, c'était le premier album des Sex Pistols.

Que vous étiez les seuls à posséder, j'imagine.
On était les deux seuls punks sur Avignon. On n'avait pas les médias de maintenant, il fallait fouiller par nous-mêmes.

Comment vous avez agrandi votre groupe ?
Comme on était du quartier de Saint Chamand, des potes se sont greffés au groupe. Ça devait être au printemps 1977. Ensuite, en traînant dans la rue, on est tombés sur des types plus âgés qui écoutaient du punk sans trop avoir la dégaine. C'était à l'Olympic. Ce bar est devenu notre QG.

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En parlant de dégaine, comment vous vous sapiez au départ ?
On faisait avec ce qu'on trouvait. Mon père était VRP dans les années 1960. Il avait plein de costumes de cette époque avec des pantalons serrés, des cravates fines en cuir. Il suffisait d'y accrocher quelques épingles à nourrice, des chaînes et de mettre un collier de chien et t'étais bon.

Ouais.
Après on allait dans des fripes, ça nous coûtait rien. En 1977, on s'habillait à la Johnny Rotten, quoi.

Pourquoi pas comme Joe Strummer ou Dave Vanian des Damned ?
On ne jurait que par les Sex Pistols. J'ai aimé les Clash et tout ça mais nous notre truc, c'était vraiment les Sex Pistols.

Pour écouter d'autres groupes vous êtes allés à la guinguette du rock, c'était votre Vortex ou votre Gibus local non ?
On allait d'abord aux 2G sur Avignon et ce jusqu'en 1978. C'était la première boîte où tu pouvais pogoter. Ensuite, on est allés à des festivals et des concerts comme à Orange et à Entraigues, on a vu Bijou à l'Isle-sur-la-Sorgue. La guinguette a ouvert un peu plus tard, en août 1978 à Bagnols-sur-Cèze, j'y étais avec mon frère. Là tout devenait beaucoup plus sérieux.

Ah ?
On commençait à avoir les cheveux roses, on affichait ouvertement des provocations nazies.

Vous étiez vachement axés là-dessus à Avignon, non ?
En 1977, tu ne pouvais pas y échapper. Si tu ne portais pas de croix gammée, on te parlait pas.

J'ai lu que certains mecs sont même allés jusqu'à défigurer une statue de Marianne.
Ça, c'est Raf de Monteux. Le punk amenait des mecs marginaux à se découvrir à l'extrême. C'était ambigu, quelque part.

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Je vous trouve d'ailleurs beaucoup plus extrêmes que les groupes parisiens.
À part Bijou et Gasoline, le groupe d'Alain Kan, que ce soit Asphalt Jungle, les Guilty Razors, Elli et Jacno et tout ces trucs c'était non merci.

Pourquoi ? Trop bourgeois ?
Ils n'étaient pas sérieux. Ils n'étaient pas à fond. Il y avait un gouffre entre eux et ce qu'on en attendait.

Ouais, vous qui étiez plus dedans, vous deviez recevoir beaucoup plus de réactions hostiles à votre égard.
Quand on sortait dans la rue, tout le monde était contre nous. Ça faisait peur à tout le monde, patrons et ouvriers confondus. On provoquait donc on créait une réaction, c'était normal. On n'était pas des musiciens donc on ne pouvait rivaliser avec les groupes britanniques qu'au niveau des fringues, et puis c'était tout. Mais on a réussi.

Quand on lit certaines coupures de presse, on se rend compte que la presse locale n'était pas de votre côté non plus dans les années 1980.
Non, même lors de la bataille de la place de l'Horloge et des incidents de Monteux en 1982. Personne n'était de notre côté.

Ça vous a forcé à vous radicaliser dans des squats, par exemple ?
Oui, c'était en 1979, c'est moi qui l'ai découvert avec deux potes, Mario et Jean. Paul qui s'était fait foutre dehors par ma mère à cause de ses cheveux roses y a habité à temps plein.

Ce squat a soulevé les tensions liées à la bagarre de la place de l'Horloge ?
Non, l'Horloge ce n'était lié à rien du tout. Je suis venu habiter place de l'Horloge sur Avignon en 1982. Paul habitait tout près aussi. Au lieu d'aller à Orange ou Entraigues comme d'habitude, on traînait sur la place tous les jours.

Ça a dû en agacer quelques-uns ?
Oui, en plus on avait eu de la mauvaise publicité dans la presse avec les incidents de Monteux un peu plus tôt. La bagarre a eu lieu et il s'est passé ce qui passé, il y a eu un mort quand même.

Vous vous êtes remis en question après ça ?
Paul a fait 8 mois de prison, ensuite il a carrément tout arrêté. Il se battait assez souvent avant ça, pour lui ce n'était plus possible de continuer de cette façon. Donc il a décidé de faire quelque chose d'autre et c'était fini.

Si on t'avait dit que tu finirais en couverture d'un livre, comment aurais-tu réagi ?
Franchement, ça ne me surprends pas. On allait à Londres, on y retrouvait les punks de Monteux et d'Orange ; Fred Cellier, Devil et tout ça. On avait la dégaine 77. Eux sont ensuite tombés dans le style de la seconde vague à la Exploited. Les gens nous prenaient en photo ! On savait qu'on allait marquer l'Histoire en quelque sorte. On sait que quelque part on l'a fait et que notre choix a été le bon.