Myd : « Il y a de la bromance dans le rap comme dans la techno, mais elle s’exprime différemment »

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Myd : « Il y a de la bromance dans le rap comme dans la techno, mais elle s’exprime différemment »

À même pas 30 ans, le quatrième membre de Club Cheval est à la fois reconnu pour son boulot dans l'electro et le rap, que ce soit pour son pote Brodinski, SCH ou les rappeurs d'Atlanta.

Membre de Club Cheval et homme de l'ombre du célèbre DJ Kore, Myd est l'un de ces mecs qui se cachent derrière les titres de rap les plus écoutés, sans que vous le sachiez. Que ce soit en France avec SCH, Lacrim ou Alonzo, et aux Etats-Unis avec Theophilus London, ILoveMakonnen ou PeeWeeLongway, Myd a construit la colonne vertébrale de nombreux bangers du moment. Après dix années baignées dans l'electro, le Lillois s'est ouvert au rap et a commencé à œuvrer dans le style aux cotés de Kore et Brodinski. Ces derniers mois, on a aussi bien pu le croiser sur Planète Rap que dans les studios d'Atlanta. En début de mois, il a balancé « No Bullshit », un titre en feat avec Twice et Lil Patt, nouvelle garde du rap d'Atlanta, annonçant ainsi un projet commun entre Bromance, son label, et YSL, les protégés de Young Thug. On l'a rencontré pour qu'il nous parle de tout ça, sans évoquer une seule fois son apparition aux côtés de Jean Michel Jarre.

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Noisey : Alors, c'est toi le membre le plus rap de Club Cheval ?
Myd : Hum… non. C'est Sam Tiba le plus rap d'entre nous. [Rires] Ok, j'ai fait plus de rap, j'ai travaillé avec plus de rappeurs - mais lui, c'est un vrai fan. Il est plus digger et connaisseur. Après j'adore travailler dans le milieu rap, c'est sûr. Sam était le premier à me parler de certains mecs comme Hamza par exemple. C'est lui qui est plutôt en contact avec eux et souvent par hasard je me retrouve à faire des prods pour des mecs dont il m'a parlé. C'est assez amusant.

Toi qui baignes depuis longtemps dans l'électro et maintenant dans le rap, quelles différences perçois-tu entre les deux milieux ?
Alors ça, c'est compliqué. J'ai toujours fait de l'électro, j'ai toujours écouté que de l'électro. Même au lycée je n'écoutais pas de rock mais Fat Boy Slim, Prodigy, Chemical Brothers… Donc l'électro, le clubbing, c'est plus mon monde. Le live de Club Cheval est un live électro. Le rap est arrivé beaucoup plus tard dans ma vie.

Dans le rap j'ai l'impression qu'il y a quelque chose d'un peu plus spontané. C'est aussi un style dans lequel la musique sort plus rapidement. On a toujours des morceaux, des mixtapes à se mettre sous la dent. L'album de Club Cheval, on a mis trois ans à le faire et ça n'a dérangé personne. Les EPs en électro tu peux mettre un an à les faire, six mois à les sortir. Ce qui n'est pas possible dans le rap. Je pense aussi que dans le rap, tout est plus spontané. Tu peux avoir le rappeur qui arrive sans avoir rien écrit et hyper vite il va te pondre un texte. C'est aussi quelque chose qui me plait beaucoup ça. C'est sûrement ça qui m'a excité dans le rap que ce soit en France ou aux USA. Sans oublier bien sûr ce côté super créatif qu'ont les mecs d'aujourd'hui. C'est limite plus créatif que l'électro. Dans l'électro on peut vite s'enfermer avec des mecs qui adorent la techno et veulent revenir à la techno de l'époque, ou des mecs qui adorent le vinyle et veulent revenir à ça. Dans le rap tu as aussi ce genre de nostalgiques, mais les mecs sont prêts à poser sur n'importe quoi tant que c'est innovant et créatif.

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Selon toi, il y a plus de fraternité dans le rap ou l'électro ?
Les beefs de l'électro sont agréables, car il n'y en a pas ou peu. Ils sont assez cools, pas houleux et les choses se règlent facilement. Après il y a quelque chose que j'aime dans le rap et que je trouve touchant : quand on a fait l'album de Club Cheval, on a croisé des rappeurs chez Kore comme Sadek par exemple. Il nous a dit «  Ah les gars j'ai acheté l'album, bien. » Nous on était là, « Quoi ? T'es sérieux ?! » Il a répondu « Bah oui les gars, je vous soutiens ! » [Rires] Personne autour de nous, à part ma mère, n'a acheté notre album. C'est quelque chose qui ne se fait pas trop dans l'électro. Lapso Laps aussi. Il nous montrait des photos où il avait acheté 30 albums de SCH le jour de la sortie. Dans les deux milieux il y a de la bromance, mais elle s'exprime différemment.

Les crossovers hip-hop et electro sont de plus en plus courants…
C'est le cas depuis un moment si on regarde bien. Certains disent que ça vient de David Guetta. [Rires] Que c'est le premier à avoir été chercher des têtes pour poser sur ses morceaux : comme avec Snoop Dog. C'est d'ailleurs Snoop Dog qui a dit que c'était le premier à faire ça. P. Diddy aussi, avec Felix Da Housecat. Petit à petit les mecs ont trouvé que, vu que la house et les autres styles étaient des trucs dansants, c'était bien de mixer tout ça avec du rap. Dans les beats rap, tu as un peu tendance à tourner en rond. Dans l'électro, la construction peut être moins répétitive. Surtout en termes de vitesse, avec un rythme double tempo à 130 BPM, ça rend le truc bien dansant. Aujourd'hui que les styles se mélangent ça ne me dérange pas du tout, au contraire je trouve ça vraiment cool. Ça fait tout évoluer.

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On a toujours entendu du rap américain en club, du RnB, mais très peu voire pas du tout de rap français. Depuis peu, dans une même soirée tu peux entendre PNL, SCH, et même Kalash Criminel qui ne fait pas forcément des trucs dansants. Tu penses quoi de l'arrivée du rap français dans les clubs ?
Il y a 10 ans, tu devais donner un nom à ta fête. Soit c'était hip-hop, soit électro, soit rock. Si tu mixais un titre d'un autre style, ça le faisait plus. Aujourd'hui, j'ai l'impression qu'il y a des DJs qui ont changé la donne, comme Brodinski par exemple. Il passait un Travis Scott en plein milieu d'un set techno car en fin de compte, c'est la même musique, il n'y a pas de barrière. Et les gens ne disaient rien, ça passait super bien. C'était hyper dansant. Il y a un truc destiné aux meufs dans l'électro comme dans le rap. Ce sont deux styles très dansants, sexuels et sexy.

Une pensée pour Henry de Lesquen.
Ahah, exactement.

Tu as bossé à la fois avec des rappeurs français et américains. C'est pareil ?
La grosse différence c'est qu'en France - bon après j'ai toujours bossé avec Kore et lui a toujours été hyper speed et spontané – les sons sont toujours sortis très vite après que le rappeur ait enregistré.  Alors qu'aux US, il y a toujours eu un truc un peu long à sortir, avec différents producteurs autour, etc. C'est une grosse machine de guerre. Avec Theophilus London entre le moment où on a fait le morceau et sa sortie, deux ans ont coulé. Bon, entre temps il y a eu un couplet de Kanye West dessus, ça valait le coup d'attendre [Rires]. Mais j'ai l'impression qu'aux États-Unis, il y a un truc moins artisanal. En France il y a un producteur et un rappeur, il n'y a pas de team avec cette envie de faire de hit. Aux US c'est devenu tellement commercial que c'est limite obligé qu'il y ait une grosse machine pour qu'un titre marche.

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Tu travailles à distance avec les Américains ?
Je préfère toujours être en studio pour travailler. Je n'aime pas la distance. Les gens ont toujours ce fantasme du beatmaker qui envoie des zips aux rappeurs et le rappeur répond « J'ai pris ce track, celui-ci et celui-ci. » Mais ça n'arrive jamais ! Les zips n'arrivent jamais à destination ![Rires] Le seul vrai moyen c'est de poser ton cul en studio, de brancher un jack sur ton ordi, et de faire play. Ça te permet aussi d'aiguiller la session studio. Donc j'essaie au maximum d'être en studio avec les rappeurs. À Atlanta, je vais toujours à la rencontre des mecs en studio avec Brodi.

Parle-nous de « No Bullshit » justement, un titre que tu as fait avec Twice et Lil Patt, la nouvelle garde d'Atlanta. Le morceau n'est pas du tout trap, comment tu les as amenés sur ce terrain ? 
Brodinski est mon fixeur là-bas. Pendant un an je bossais sur la sortie et la tournée live de Club Cheval, donc je n'ai pas pu y aller, mais je continuais à lui envoyer des beats. On a bossé tellement longtemps ensemble qu'on est toujours restés en contact, on s'échange des fichiers, etc. L'instru de « No Bullshit » c'est une prod que j'avais faite pour une amie chanteuse qui devait sortir son projet. J'adorais tellement l'instru que je l'ai aussi envoyé à Brodi. Je savais qu'il taffait avec le Slime Gang, toute cette nouvelle vague d'Atlanta sous l'aile de Young Thug et je lui ai balancé. Le lendemain, il m'a renvoyé ce qu'est aujourd'hui « No Bullshit ». Ça s'est fait très vite. Après j'ai rebossé l'instru, coupé dans les couplets pour que ce soit un peu plus condensé, car ils avaient beaucoup de choses à raconter. [Rires]

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Tu te présentes comme un mec un peu dilettante mais tu as aussi fait des choses avec Maja Got It, The Homie Cashy, Slimball Kelly et Yl Gbaby, des mecs super underground et pas forcément connus.
Encore une fois c'est une histoire avec Brodinski. Comme je te disais, il est là-bas depuis deux ans maintenant. Les gens commencent à le connaitre. Ils savent qu'il est dans un studio, qu'il fait des trucs cools, a des instrus un peu bizarres et là-bas ils sont friands de nouveautés. Là où certains se diraient « Non, je ne vais pas poser là-dessus, car ça ne sera pas un hit » eux se disent « Si je n'arrive pas à poser la dessus, je suis une grosse merde. » [Rires] Ils sont à fond dans le défi. Donc pour ce morceau, pareil, j'ai envoyé le beat à Brodi et ça a marché. Les mecs ont entre 18 et 22 ans et c'est ce qui fait que c'est spontané, créatif et qu'il y a une vibe de fou. « No Bullshit » et « Turn Up » sont sur la prochaine tape de YSL avec tous les petits de Young Thug. Ils sont trop forts. Ils sont tous adoubés par Young Thug. Quand j'étais à Atlanta pour le clip, le mec s'est pointé l'après-midi pour nous dire « Désolé les gars, mais là j'ai cours ». Autant te dire que c'est le king de son lycée : il rappe, il connait Young Thug, et il a un swag de fou !

Qu'est-ce qui te plait dans la South Music ? 
La créativité. Il y a aussi le côté jour et nuit d'Atlanta qui me séduit. C'est une ville super belle : il y a la nature, c'est grand. On n'imagine pas ça comme ça, car dans les clips on voit souvent des trap houses. Justement dans mon clip j'ai souhaité montrer Atlanta autrement. Et la nuit tout le monde va en studio. On est des rats de studio et on bosse toute la nuit pour faire des tracks créatives et inspirées de la vie quotidienne. La vie ne tourne qu'autour de ça. Je n'ai jamais vu une ville avec autant de studios si bien équipés et avec autant de gens qui kiffent. J'adore les studios, les accidents de studios. Là-bas tu lances ton beat, le mec pose, tu as un ingé son qui travaille super bien, tout est hyper fluide.

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Quel genre d'accidents de studio ?
Alors ce n'était pas en studio, mais un jour, on était avec E-Class, un gros producteur de Miami qui bosse avec les Flo Rida et compagnie. On arrive dans son énorme maison. C'était il y a trois ans et je n'étais pas hyper sûr de moi. J'étais avec Brodi et Kore qui ont une espèce de charisme inné, contrairement à moi. Le mec arrive et dit « J'ai un cadeau pour vous, j'ai eu ces bouteilles de champagne par P. Diddy, je vais vous en offrir. »  Et donc le mec arrive avec des grosses boîtes, il en donne une à Kore, une à Brodi, et …

Une à toi, logique.
Non, il s'est arrêté là. [Rires] Donc là je vois Brodi qui commence à taper une énorme barre et à se foutre de ma gueule. On était super gênés, le mec pensait que j'étais un assistant alors qu'on passait nos journées ensemble à faire du son. Et au final je n'ai pas eu de cadeau ! [Rires]

Les beatmakers qui se tournent vers le djing, c'est pour des raisons économiques ou que c'est une continuité naturelle ?
Moi je trouve ça cool, je ne peux pas être contre le fait qu'on mette un beatmaker en avant. S'il a le charisme, l'énergie et qu'il sait mixer, c'est génial. Un mec comme DJ Mustard, le fait qu'il soit devenu une super star, je trouve que ça tue ! Il a tellement contribué à la musique mondiale qu'il a sa place sur une scène. Après, tout le monde veut être DJ, tout le monde veut être beatmaker, même les DJs font des beats de rap. [Rires]. Il faut juste veiller à faire ce que tu sais faire.

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Ce n'est pas parce qu'on met des tags sur les morceaux qu'un beatmaker sera plus important qu'un compositeur de musique de l'époque. Il a y toujours eu des mecs qui composaient des chansons pour les autres. Des mecs qu'on ne connaissait pas. Des mecs qui ghostwritent ça existe depuis la nuit des temps. C'est comme ça, après soit tu es compositeur soit tu es artiste. Tu n'as pas forcément ta place sur les devants de la scène. Et puis je pense que les gens s'en foutent en plus.

Malgré tout, on donne quand même de plus en plus de crédit aux beatmakers.
C'est un peu une mode. Comme à l'époque, avec les producteurs de pop. Ils ont essayé un moment de faire une révolution et de se mettre en avant. Par exemple Docteur Luke qui a essayé d'être une star, ou Calvin Harris. Bon lui, il a réussi, car il a fait ses propres morceaux et les a signés. Mais je ne pense pas que juste avec un beat, tu peux vouloir te revendiquer star. Quand je parle de SCH je suis content, car c'est intéressant dans mon histoire musicale. Mais je n'aurais jamais la prétention de dire que sans moi, le morceau ne serait pas le même. C'est SCH qui a fait le titre. C'est comme ça que ça fonctionne. Il ne faut pas inverser les rôles.

Le rap passe par différentes vibes, aujourd'hui il y a une grosse tendance latine…
Il y a toujours des vibes un peu exotiques qui viennent se greffer. Moi, ma vie dans la musique a commencé avec « Train to Bamako », un morceau électro avec des vibes africaines, tribales. Je vous conseille à tous de l'écouter d'ailleurs ! [ Rires] J'ai toujours adoré ça, c'est très dansant, sexy et bien amené. C'est à la fois prolo et chic, tu vois. C'est universel !

Il y a aussi une grosse tendance belge. D'où vient cet engouement ?
Parce que le rap belge est génial, tout simplement. Les mecs sont trop forts. Hamza pour moi c'est un fou. Son flow est trop bien, Damso, ses lignes sont aussi bonnes que celles de Booba, il a une grosse musicalité. Les Belges sont un peu plus décomplexés que les Français dans n'importe quel style. Donc ils s'ouvrent plus facilement, vont vers la pop, osent des choses sur des mélodies un peu faciles, mais avec classe. En électro c'est pareil, les Soulwax faisaient ça aussi. Il y avait un truc rock, saturé, mais tellement bien fait que tu ne pouvais rien dire.

Pour finir, l'élection de Trump va t-elle avoir une incidence sur ton boulot aux USA ?
Ça va être plus compliqué, oui. Je suis déçu. Je voulais y aller tous les trois mois pour bosser en studio. J'avais commencé à lancer des pistes et des routines de travail. Maintenant, les visas seront plus chers et on ne sait pas ce qui va se passer. On pourra toujours y aller, mais ça va être encore plus galère que ça ne l'est déjà. Mais bon ça reste un détail par rapport à tout ce qui va suivre…

Myd et DJ Kore joueront pour le lancement de la chaîne de télé VICELAND, ce soir au Yoyo.

(Photo : Emma Le Doyen)