« J’étais un emo parmi les bros » : une interview avec le réalisateur de Donnie Darko

FYI.

This story is over 5 years old.

Culture

« J’étais un emo parmi les bros » : une interview avec le réalisateur de Donnie Darko

Une discussion avec Richard Kelly sur les voyages temporels, les emos et Seth Rogen.
Hannah Ewens
London, GB

Jake Gyllenhaal en bourreau des cœurs dans un gilet à capuche gris, des formes tentaculaires qui sortent de la poitrine des gens, et un homme dans un costume de lapin effrayant – Donnie Darko est vraiment un film sans égal. Il relate l'histoire de Donnie, un adolescent misanthrope un brin troublé, et suit ses errances entre l'univers oppressant de son école, sa romance naissante avec le personnage incarné par Jena Malone et ses aventures avec Franck, un garçon mystérieux. Oscillant entre le film de science-fiction, le teen movie et le film d'horreur psychologique, Donnie Darko continue de susciter de nombreuses interrogations : Donnie sombre-t-il dans la folie ? Est-il parvenu à intégrer un espace où le temps n'est qu'un éternel recommencement et où les voyages temporels sont possibles ?

Publicité

Comme beaucoup de films cultes, Donnie Darko a fait un flop lors de sa sortie en salles. C'est peut-être dû au fait qu'il soit sorti juste après le 11-Septembre, à un moment où personne n'avait envie de voir un film impliquant des interrogations métaphysiques et un crash d'avion. Mais un an plus tard, Donnie Darko est sorti au Royaume-Uni et a très vite trouvé son public. De nombreuses personnes ont développé une obsession pour le film et les théories qui l'entourent, et ses plus fervents admirateurs n'hésitaient pas à afficher des photos de Frank et Donnie sur leur profil MySpace.

Quinze ans après sa sortie internationale, j'ai rencontré le scénariste et réalisateur Richard Kelly au British Film Institute pour qu'il revienne sur son tout premier film. Il était tout excité quand je lui ai appris que la boutique de souvenirs vendait des chaussons à l'effigie de Franck.

Extrait de Donnie Darko

VICE : Comment vous est venue l'envie de traiter des voyages temporels ? J'imagine que vous avez effectué beaucoup de recherches – ça a fini par se muer en obsession ?
Richard Kelly : Oui, complètement. J'ai pas mal creusé. Je pense même avoir fait un voyage dans le temps à un moment donné. C'était une expérience très immersive, de l'écriture du scénario jusqu'à aujourd'hui. Les films ne vous quittent jamais vraiment, ils vous accompagnent tout au long de votre vie. Ils font partie de votre identité. Franchement, je crois que ce film fait partie de moi depuis ma naissance – mais il m'accompagne réellement au quotidien depuis que nous l'avons sorti, il y a quinze ans.

Publicité

Vous comptez donner une suite à ce film ou vous préférez l'oublier à tout jamais ?
À vrai dire, j'aimerais bien aller plus loin avec ce film. On verra…

Est-ce que des gens viennent encore vous demander des explications sur le film ?
Ça m'arrive tout le temps, mais je n'ai aucune réponse concrète à leur donner. Le film parle de ce que les gens voient. J'aime laisser les réponses entre les mains des spectateurs. Pour moi, ce n'est pas une simple histoire de science-fiction. Je le vois plus comme le récit d'un super-héros, et ce à de nombreux niveaux. D'autres gens le considèrent comme un film sur la maladie mentale, ou sur un simple rêve. À mon sens, toutes ces interprétations sont recevables.

Extrait de Donnie Darko

Malheureusement, la sortie du film a été un peu bouleversée par le 11-Septembre. Avec du recul, quel est votre ressenti sur ce mauvais timing ?
Il y a déjà beaucoup de tristesse lorsque le générique défile – mais tout cela a été amplifié par cette horrible tragédie, qui était bien réelle. C'est très perturbant ; mais le film se devait d'agir comme une catharsis et pousser les gens à réfléchir sur des idées plus larges. Dans un sens, tous mes travaux ont été largement influencés par cette journée. Southland Tales est une réponse directe au 11-Septembre. Même dans The Box, on peut apercevoir les Twin Towers à la télé. Nous vivons toujours dans l'ombre de cet événement. Mais c'est bien pour cette raison que nous continuons de réaliser des films – pour nous frayer un chemin dans ce chaos ambiant. J'essaie simplement de rappeler aux gens que les films sont censés être cathartiques et vous faire sentir un peu mieux. Ça a toujours été mon objectif.

Publicité

J'ai trouvé ce film très triste, en réalité. Je pense que tous les adolescents emo adoraient votre film – vous étiez comment à cet âge ?
J'étais un peu emo. J'ai étudié dans une université du sud de la Californie où il y avait beaucoup de fraternités. Je pense que j'étais un emo parmi les bros, donc forcément un peu à l'écart. Aujourd'hui, il existe de nombreux moyens différents de rencontrer des gens. Mais à l'époque, j'étais perdu au beau milieu d'une hiérarchie dont j'essayais de me défaire – et c'est pour ça que j'ai écrit ce scénario, parce que je voulais m'accomplir en tant qu'artiste. Les gens utilisent encore le terme « emo » ? Ça a toujours une signification ?

Extrait de Donnie Darko

Pour moi, oui.
La définition a-t-elle changé depuis ? Les gens ne sont-ils pas tous emo aujourd'hui ? J'ai l'impression qu'on est un peu tous au bord de la dépression nerveuse.

Vous avez raison. Sinon, comment Seth Rogen s'est-il retrouvé dans votre film ?
Mon directeur de casting l'avait ramené pour une audition et je l'ai trouvé très drôle. Il devait avoir 18 ans au moment du tournage. Il avait joué dans Freaks and Geeks avant, mais c'était son tout premier film. Il incarne l'un des méchants, ce qui est assez marrant parce que c'est vraiment un type adorable. Beaucoup de gens ont remarqué qu'Ashley Tisdale avait aussi un petit rôle.

Drew Barrymore a simultanément endossé le rôle de productrice et incarné le personnage de Karen Pomeroy. Comment c'était de bosser avec elle ?
J'étais ravi qu'elle accepte de jouer le rôle de la prof. C'était une bénédiction pour toute l'équipe, vraiment. Sa participation nous a permis d'obtenir des financements, mais aussi d'embaucher d'autres acteurs. Elle et Nancy Kunoven [l'autre productrice] nous ont été de très bon conseil, et d'un soutien sans faille.

Publicité

Extrait de Donnie Darko

Qui a écrit cette réplique de Pomeroy : « Assieds-toi à côté du garçon que tu trouves le plus mignon » ? Je trouve ça génial.
C'était dans le scénario, je l'ai écrit. Cette remarque est très inappropriée pour une prof, mais en même temps, elle se fait virer après. Son personnage est un peu déséquilibré, mais elle essaie de faire bouger le système.

Vous avez eu des profs comme elle ?
Non. Mais mes professeurs d'anglais – des femmes pour la plupart – ont eu une certaine influence sur le scénario et le film. En fait, je crois même les avoir remerciées dans le générique. Certaines d'entre elles étaient très drôles et m'ont beaucoup appris. Du coup, je voulais que la professeure du film soit un peu folle et tourmentée, mais dans le bon sens du terme.

Vous aviez seulement 25 ans lorsque vous avez réalisé le film. En y repensant, pensez-vous que vous étiez trop jeune  ? Je me sens un peu médiocre en comparaison.
Il n'y a aucune raison pour que vous vous sentiez mal par rapport à ça, vraiment. Je pense qu'il fallait que ce film soit réalisé par un jeune. Nous avons pris beaucoup de risques qu'un réalisateur chevronné n'aurait pas osé prendre. On a tendance à être moins aventureux avec l'âge – on est de plus en plus réticent parce qu'on a une famille, des responsabilités, des prêts à rembourser, le genre de choses inhérentes à l'âge adulte. Mais à 25 ans, on n'a pas forcément besoin de se soucier de toutes ces contraintes. Prendre des risques peut s'avérer fructueux, parce que ça peut vraiment lancer votre carrière. Et j'ai eu beaucoup de chance, parce que ça a été le cas pour moi.

Publicité

Extrait de Donnie Darko

À votre avis, quels sont les plus gros risques que vous ayez pris ?
Donnie Darko est un film de science-fiction très audacieux et personne ne croyait en ce projet : beaucoup de gens estimaient que le scénario ne pouvait pas être porté à l'écran. Nous avons croisé de nombreux obstacles sur notre chemin, et nous avons dû les contourner. Je ne les aurais pas surmontés si je n'avais pas été aussi jeune, aussi combatif et têtu. J'aurais peut-être abandonné si j'avais été plus vieux. Je suis toujours aussi combatif, ceci dit.

Les dialogues sont particulièrement pertinents. Par exemple, j'adore la scène où Donnie et sa sœur se disputent à table. Vous vous êtes inspiré de vos relations avec vos frères et sœurs ?
J'ai un grand frère, mais on n'aurait jamais osé se parler ainsi devant nos parents. Je n'ai jamais entendu ma mère prononcer de vulgarités, jamais – ni elle, ni personne d'autre de ma famille. Il y a beaucoup de moi dans Donnie et beaucoup de choses personnelles dans le film, mais les Darko sont quand même un peu plus déséquilibrés que les Kelly.

Selon vous, à quel personnage ressembliez-vous lorsque vous étiez adolescent ?
Donnie, très clairement.

Qu'en est-il aujourd'hui ?
Maintenant, je me comparerais plutôt à l'un des professeurs. Probablement à un prof qui a peur de perdre son job, ou qui s'apprête à le perdre. Mais je ne me fais pas trop de souci. Il y a beaucoup d'autres écoles en ce bas monde.

@hannahrosewens