TripleGo continue de faire monter Montreuil

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TripleGo continue de faire monter Montreuil

Nous sommes allés passer un moment avec Momo Spazz et Sanguee pour discuter de leur dernier EP, « 2020 », des influences orientales de leur rap et de la magie de leur ville.

À l'orée de la colline du parc des Beaumonts, les silhouettes de Momo Spazz et Sanguee surplombent Paris et sa frénésie. Tapis dans la quiétude du Haut Montreuil, ils fantasment l'utopie d'un futur proche, une vision qu'ils partagent avec nous dans leur dernière mixtape 2020, tout juste sortie et disponible ici. Un troisième projet qui achève de mettre le duo montreuillois en orbite. Sur 2020, on embarque une nouvelle fois pour un voyage introspectif à la Evangelion, à base de nappes texturées toujours aussi planantes et atmosphériques. Toutefois, si 2020 est plus minimal que les précédentes sorties du tandem, TripleGo fait la part belle à l'onirisme oriental et parsème ça et là des hommages sonores à leurs racines maghrébines. Un syncrétisme subtil et pertinent qui dépasse largement la simple curiosité « cloud rap ». Avec MoMo Spazz à la production, et Sanguee au rap/chant, TripleGo fait dans la synergie mystique qui caractérise les duos de rappeur/producteur légendaires (pensez Pete Rock & CL Smooth, Eric B & Rakim, Guru & DJ Premier… ou pas d'ailleurs). On est allés les rencontrer sur leur turf.

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Noisey : Comment le projet TripleGo est né ?
Sanguee : Moi j'ai commencé à rapper en 6ème. Les grands de nos quartiers qui étaient rappeurs ou chanteurs étaient là pour nous apprendre. On se rendait aussi dans des open-mics mais rien de sérieux…. Ensuite Momo s'est greffé à notre ambiance et a commencé à produire. Rapidement, on s'est éloignés et on a commencé à faire notre propre truc.

MoMo Spazz : Oui, on se connait depuis le collège mais TripleGo n'a commencé qu'en 2009.

Qu'est-ce qui s'est passé en 2009 pour que vous preniez la décision de prendre le rap au sérieux ?
Sanguee : On a commencé à entrer dans des délires trop spé' pour les mecs avec qui on traînait. On voulait faire des trucs de narvalos genre rapper sur de l'electro. Aujourd'hui, ça paraît vraiment banal mais à l'époque dans la cité, c'était genre « eh, de quoi vous parlez ? » [Rires] C'est vers la même période qu'est sorti 808's and Heartbreaks de Kanye West. D'ailleurs, c'est MoMo qui m'avait fait découvrir le rappeur à l'ancienne.

MoMo Spazz : Le premier album de Kid Cudi, Man On The Moon, était incroyable aussi.

Sanguee : Les rappeurs commençaient à prendre un chemin différent de celui qu'on avait toujours connu… On s'ouvrait à de nouvelles sonorités et le rap lui-même devenait plus mélancolique. Depuis certains de ces projets, les rappeurs sont plus souvent eux-mêmes et n'hésitent pas à être sensibles.

Bien que les rappeurs aient souvent des producteurs fétiches (DJ Kore et Lacrim ou Drake et Noah « 40 » Shebib, etc etc), c'est assez rare de voir un duo producteur/rappeur.
MoMo Spazz : C'est vrai qu'on est réellement un binôme. Je compose exclusivement pour Sanguee. Il m'est pas vraiment venu à l'esprit de le faire pour d'autres gens pour le moment. Sur la mixtape, il y a deux titres composés par d'autres producteurs : « New Balance » produit par Freaky Bagel et « Potogo » produit par Juxebox qui est aussi notre ingénieur du son. BIG UP Juxebox.

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Sanguee : On est un duo c'est sûr et c'est ce qui fait notre force. On travaille ensemble quasi exclusivement la nuit. MoMo me fait écouter les instrus qu'il compose et ensuite je pose ou pas dessus.

Le seul featuring de la mixtape, c'est « Cali » avec Prince Waly, un autre rappeur montreuillois qui monte. Il se passe quoi avec Montreuil en ce moment ?
Sanguee : L'idée d'une scène montreuilloise est cool mais c'est pas vraiment le cas. C'est vrai qu'il y a d'autres rappeurs comme Ichon ou Le Club mais chacun fait un peu son truc de son côté, pas par parce qu'on s'aime pas mais parce qu'on ne se connait pas en fait.

MoMo Spazz : Oui, pour le featuring avec Prince Waly c'était quelque chose de presque naturel. En vérité, on a évolué parallèlement et on s'est toujours donné de la force. On se connait depuis 2010 et quand Triplego faisait ses premiers pas, Big Budha Cheez, le collectif auquel Prince Waly appartient, débutait aussi. Mais on a voulu se laisser le temps de se trouver respectivement avant de se lancer dans les featurings…

Sanguee tu chantes d'ailleurs « Montreuil c'est Cali ». C'est comment de grandir ici ?
Sanguee : Grandir ici a été une expérience unique, et j'aurais voulu grandir nulle part ailleurs. On ne s'en rendait pas vraiment compte avant mais dès l'adolescence les gens qui venaient de l'extérieur de la ville nous rappelaient toujours à quel point l'ambiance ici est mystique. D'ailleurs, ici, au parc des Beaumonts, on se situe à une sorte frontière imaginaire entre le Bas-Montreuil et le Haut-Montreuil. C'est là qu'on vient l'été quand t'as pas les lovés pour partir en vacances, on fume, on rigole, on réfléchit. C'est aussi là qu'on a tourné le clip de «Favela »… En haut de cette colline, précisément. Bref, Montreuil, c'est un carrefour, aux portes du 93, au nord du 94 et à l'Est de Paris, qui se situe tout près. Ici t'es entre deux-mondes, c'est une anti-chambre car on est pas Parisiens pur sang mais on a jamais eu à prendre le RER donc même si c'était quand même la hess on s'est jamais senti cloisonnés ou isolés comme ça peut être le cas dans d'autres villes de banlieue.

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MoMo Spazz : Le Haut-Montreuil c'est quasiment que des cités et le Bas-Montreuil t'as plein de commerces, de lieux culturels, ça bouge pas mal. En vrai, si t'as pas envie de descendre sur Paris et que t'as un taff sur Montreuil t'es pas obligé. Ici c'est comme une forteresse, une grande ville de plus de 100 000 habitants avec ses codes, son rythme et son langage.

Ah ouais, il y a encore un argot montreuillois ?
Sanguee : Oui ! Tout le monde l'utilise, toi y compris. Tous les mots qui se terminent en -ave comme bicrave, natchavepagave ! Qui veut dire voler, ou moucrave qui veut dire pisser.

MoMo Spazz : Bouyave ! Tout ça vient des gitans de Montreuil. Ouais, les gitans de Montreuil, l'une des plus grosses communautés gitanes sédentarisées d'Europe et ils ont une influence de ouf ici. C'est eux qui ont ramené ce délire là.

Sanguee : Tout le monde dit narvalo ou michto mais tout ça, ça vient pas du reubeu mais des gitans.

En parlant de langage il y a quelques pistes aux titres obscurs dans votre mixtape, « Ketama », « Elbi », « Skulashi »…
Sanguee : Katama c'est une ville du Maroc connu pour son shit. Elbi veut dire coeur en arabe.

On retrouve également pas mal de samples de films égyptiens, de rythmes de derbouka dans « Yamaha » , « Elbi », « 50 » ou encore « Casablanca ». Sanguee tu avais commencé à chanter en arabe dès « Favela » d'ailleurs, c'est finalement quelque chose de rare dans le rap français.
Sanguee : Oui c'est vrai que l'influence est là. Avec l'âge, ça prend de plus en plus de place dans ce que j'écoute. J'ai grandi avec cette musique. À la baraque, mes parents qui sont nés au Maroc n'écoutaient que ça. Du chaâbi, du gnawaa aussi. Perso, je kiffe Sheryne ou encore Saber Rebai par exemple. Il y a quelque chose dans la langue arabe qui t'emmène super loin.

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MoMo Spazz : Ouais, la musique égyptienne, libanaise, des années 60 fait partie intégrante de mes influences. Y'a quelque chose de super organique qui contraste un peu avec la musique qu'on fait…. Oum Khalthoum c'est la reine !

C'est quoi cette obsession pour l'eau : que ça soit « Eau calme », « Eau max » ou « Eau frais » ?
Sanguee : Au départ, c'était just un jeu de mots mais après ça a pris un nouveau sens et finalement c'est resté. Y'a quelque chose de spirituel dans l'eau. Ça tombe du ciel, c'est vital, même pour manger t'as besoin d'eau. C'est apaisant mais ça peut aussi facilement tout détruire sur son passage.

MoMo Spazz : La transparence, la profondeur…

Une ambivalence qui se traduit bien dans votre musique en tout cas… Les longues nappes atmosphérique, le fait d'être deux, le timbre de voix de Sanguee. On vous compare souvent à PNL, d'ailleurs…
Sanguee : On le prend pas mal du tout. Ce qui est bien avec Internet, c'est qu'il y a des dates. On fait cette musique depuis assez longtemps et PNL ne nous a pas influencé. J'ai toujours été dans un délire reberv', chant, vocoder, donc y'a pas de litige ni rien. Par contre, j'admets qu'avant quand on faisait nos sons, les gens captaient pas vraiment. Là ce qui est bénéfique c'est que depuis PNL les gens sont encore plus ouverts à des vibes différentes. Ils s'en foutent que ton son soit pas énergique ou que ton flow soit lent…

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MoMo Spazz : Mouais, moi je pense que NOS a copié Sanguee ! [Rires]

Vous dites souvent que vous faites de la « musique émotionnelle », c'est pas un pléonasme de dire ça ?
Sanguee : Je sais pas mais je pense que quand on dit ça on veut dire qu'on se présente tel qu'on est. Mais attention, ça veut pas dire être fragile ou faible !

MoMo Spazz : Être authentiques. On parle uniquement des choses que l'on ressent, que l'on vit et que l'on voit.

Mais justement, la vulnérabilité, l'amour et les questionnements existentielles c'est des thèmes qu'on associe plus souvent à Chateaubriand ou Goethe qu'aux mecs de banlieue, non ?
Sanguee : Oui, c'est sûr que les gens ont leurs préjugés envers les gens comme nous. Mais qui n'en a pas ? Honnêtement, ouais, le 93 c'est un environnement difficile et froid, on va pas mytho parfois c'est le zoo. C'est sûr qu'en grandissant dans les conditions qui sont les nôtres, si t'es pas quelqu'un de fort et de constant, c'est difficile. J'entends des mecs qui subissent des contrôles un peu musclés et vont être retournés toute la soirée en mode : « Oh mon dieu ! »

MoMo Spazz : Pour nous c'est le quotidien. Du moins, ça l'était. Maintenant, on se fait plus vraiment emmerder. Par contre quand t'es un petit de cité, disons entre 12 et 19 ans, là c'est la merde. Les flics ont une supériorité évidente sur les gamins et leur font la misère. En grandissant, les choses s'atténuent pour certains ou alors peut-être qu'on s'habitue juste. Peut-être qu'on est conditionnés à s'habituer à des trucs auxquels on devrait pas, c'est pour ça qu'on a cette distance.

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Sanguee : Donc ouais, c'est pas le cadre le plus simple pour s'ouvrir aux autres, et laisser parler ses émotions les plus profondes mais en vérité tout le monde le fait à son échelle, nous c'est par le biais de notre musique.

Vous pensez à d'autres rappeurs français qui font de la « musique émotionnelle » ?
Sanguee : Jul ! Il est 100% honnête. À fleur de peau. On se rend pas compte du nombre de gars du quartier qui se posent en bas, dans une gova avec une bouteille de sky, et écoutent Jul. On peut ne pas aimer, perso, moi c'est pas mon délire, mais c'est un mec sincère.

2020 est dispo ici.

TripleGo sera en concert à Paris le 30 mars au Pop-Up du Label.

Christelle Oyiri est sur Twitter.