Optimo nous trolle avec génie depuis deux décennies

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Optimo nous trolle avec génie depuis deux décennies

Le duo écossais fête ce week-end 20 ans de passion débridée et intransigeante. L'occasion de revenir sur le parcours hors du commun de JD Twitch et Jonnie Wilkes.

Par Elsa Ferreira. À Glasgow le dimanche soir, ce n'est pas vraiment « Netflix et Chill ». Là-bas on danse, et furieusement s'il vous plait. Héritage du duo Optimo (Espacio), qui en 20 ans d'existence et 13 ans de résidence au désormais célèbre Sub Club, a imposé sa marque dans la culture club.
Pour marquer deux décennies de fructueuse alliance, Keith McIvor, alias JD Twitch, et Jonnie Wilkes invitent ce dimanche 6 août une pelletée d'artistes pour un festival sobrement baptisé Optimo 20. Au programme, The Black Madonna, Ben UFO, Aurora Halal, King Ayisoba, le groupe electroclash de Détroit Adult ou encore le collectif dancehall Equiknoxx.

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Pour comprendre Optimo, il faut commencer par présenter leur antre, le Sub Club, institution Ecossaise qui fête elle aussi un anniversaire important cette année, ses 30 ans. Un club en sous-sol au plafond bas et au système son imparable, mur d'enceintes d'un côté, basses au sol. Accrochés à la cabine, canettes de Red Stripe à la main, le public est considéré -à juste titre- comme le plus furieux de l'hémisphère nord. « L'une des meilleurs expériences rave de la planète », décrétait Mixmag en juillet. On ne saurait les contredire.

Le Sub Club a été gâté : deux duos résidents (Harri & Domenic le samedi, Optimo (Espacio) le dimanche), deux poids lourds. Mais Optimo (Espacio) a un goût résolument différent. C'était d'ailleurs le pitch : en 1997, Pure, soirée techno fondée par Twitch à Édimbourg touche à sa fin après 10 ans de soirées épiques. C'est aussi la fin d'Aquaplanet, soirée du dimanche soir au Sub Club où officiait déjà McIvor. Il propose alors à Mike Grieve, directeur du « Subbie », d'organiser une soirée où lui et Wilkes proposeraient une programmation allant au-delà de la house et de la techno. Si les premiers mois laissent le public dubitatif, dés 1998 les soirées sont de plus en plus convoitées et deviennent vite incontournables. « Quand Optimo a commencé à avoir du succès, il est devenu évident qu'ils auraient une grande influence », se rappelle Grieve.

Chaque semaine ou presque, les DJs invitent des groupes live. Sur la petite scène en face de la cabine de DJ, les groupes locaux sont logés à la même enseigne que les grands noms qui défilent - Hot Chip, Richie Hawtin, Grace Jones, The Rapture, LCD Soundsystem, Lee Scratch Perry ou encore Liquid Liquid, groupe new-yorkais disco punk auquel Optimo a emprunté son nom. Le duo donne aussi des soirées déguisées hors normes : les célèbres soirées d'Halloween Optimo (Espookio), Apocalypse Optimo, soirée sur le thème d'Apocalypse Now avec cages en bambous et staff déguisés en GI (« we love the smell of Napalm on a Monday morning », vantait le flyer) ou encore An Espacio Odyssey, où les DJs, déguisés en cosmonautes, transformaient leur cabine en vaisseau spatial dans une salle tapissée de papier d'aluminium, pour un look de film de science-fiction low-budget.

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« Parfois je me remémore tout ça et j'explose de rire en pensant à quel point c'était fou, fun et à tous les gens incroyables que j'ai rencontré grâce à ça », nous raconte Twitch. L'une de ses spécialités : troller le dancefloor avec des morceaux à priori hors sujet. L'un des favoris est « Claire de lune » de Debussy vu par le compositeur japonais Isao Tomita. « Il y a eu une période où il faisait si chaud dans le club que ça déclenchait les alarmes incendies et qu'il fallait évacuer. C'est arrivé environ 10 fois en six mois et au bout d'un moment, les gens ne se plaignaient plus, ça faisait simplement partie de la nuit ». Alors que les danseurs attendent le feu vert des pompiers, Twitch se précipite à l'intérieur pour jouer son étrange hymne. « Après la seconde ou la troisième fois, les gens ont commencé à revenir sur le dancefloor en flottant de manière euphorique sur ce magnifique morceau de musique synthétique. C'est devenu le floor filler le plus improbable. »

Le 25 avril, le duo donne la dernière de leur résidence tenue religieusement depuis 13 ans, sous le nom dramatique d'Optimogeddon. La file d'attente ressemble à celle d'un Apple Store un jour de lancement d'iPhone. Les fans sont venus du monde entier, certains ont encore le sac au dos. Fidèle à l'éthos du club, pas de guest list ou presque. Avec une jauge de 410 personnes, seule une petite fraction de prétendants peut entrer (perso, j'ai dû abandonner à environ un mètre de la porte). Il faudra se contenter d'anecdotes rapportées depuis l'intérieur (« légendaire », raconte-t-on, forcément), et surtout d'un enregistrement en cinq parties publiés sur le défunt blog Ripped In Glasgow. Des classiques bien sûr - « White Horses » de Laid Back ou « Stand on the Word » de The Joubert Singers pour n'en citer que deux. Du trolling de haut niveau aussi : aux alentours de minuit, après un morceau de disco épique et old school, Optimo balance « Dueling Banjos » du film Délivrance. Seuls les danseurs les plus inventifs en sortiront indemnes.

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Libéré de sa soirée hebdomadaire, Optimo part évangéliser le monde à un rythme délirant, du Japon en Australie, en passant par l'Allemagne et la France. Des deux, c'est Twitch le plus actif – hyperactif même. En plus d'un paquet de dates en solo, c'est lui qui s'occupe des labels Optimo Music, fondé en 2009, et son pendant plus techno Optimo Trax, fondé en 2013. Dans la scène foisonnante de Glasgow, la plupart des jeunes groupes et producteurs frappent à la porte de la légende locale. On doit ainsi à Twitch les premières sorties des disco-punks illuminés Golden Teacher, la trilogie sombre et synthétique de Junto Club, le dernier des synth-pop Happy Meals ou encore les sexy funky Pussy Mothers. Voilà, entre autres, pour le made in Glasgow. Pour le reste, une extravanganza de sorties, plus obscures et essentielles les unes que les autres, jusqu'à la plus récente, « Rejekto » de Robotiko Rejekto, joué par Twitch pour son premier DJ set il y a trente ans et qui donnait déjà bien le ton.

Vous en voulez encore ? ll faudra fouiller du côté d'Autonomous Africa, projet dont les profits sont reversés à des associations africaines. De l'album collaboratif Youth Stand Up à l'indémodable édit de « Ce n'est pas bon », d'Amadou et Mariam, le label est une véritable mine d'or. Ou bien suivre le label occasionnel Bucky Skank où Twitch assouvit sa passion du soundsystem Jamaïcain et sort quelques rares pépites dub bien lancées. Depuis cet été, l'infatigable se tourne aussi vers le Brésil avec un cinquième label (le compte est bon ?), Selva Discos, lancé en collaboration avec le duo de DJs brésiliens Selvagem. « J'adore avoir autant de projets sur le feu que possible, presque au point de me dire qu'il sera impossible de les mener tous à bien, même si j'arrive à m'en sortir à chaque fois. J'ai vraiment la conviction que je suis là pour faire des trucs. » Sans rire.

« Nous avons souvent du mal à expliquer aux gens ce qu'est Optimo musicalement » reconnaissait le duo sur sa page Facebook en juillet dernier avant de donner une liste extensive et non exhaustive des femmes artistes qui les ont inspirées (amen). Une curiosité sans borne qui fait qu'au-delà de ses soirées, Optimo a su fédérer une communauté de passionnés. À travers son forum, ses mensuelles sur la radio londonienne NTS ou ses nombreuses compilations - toutes à se damner (The Underground Sound of Glasgow, Kill the DJ ou encore Cease and Desist, anthologie de morceaux post-punk injustement oubliés), le duo partage sa quête effrénée et érudite des morceaux parfaitement bizarroïdes avec qui se donnera la peine de creuser. Un portail sur plus de sons qu'il ne vous sera possible d'écouter. Autant commencer tout de suite.

Elsa Ferreira est sur Twitter.