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militantisme

« Quand on est Breton, on est forcément un ennemi de l’État »

Et si la Bretagne devenait indépendante ? Le combat n'a jamais été aussi vivace chez les jeunes militants bretons, échauffés par le référendum catalan et le raz de marée nationaliste corse. Rencontre.
Photo : Jean Sébastien Evrard / AFP

Boostée par le référendum d’indépendance en Catalogne, en octobre dernier et plus récemment, par le raz de marée nationaliste aux élections territoriales de Corse, la cause bretonne se sent pousser des ailes. À sa tête, une nouvelle génération de militants ressuscite un combat vieux de plus d’un siècle. Et qui transcende les clivages politiques. On a décidé d'aller rencontrer quatre figures du mouvement. Qu’ils viennent de la gauche-de-la-gauche ou de l’extrême droite la plus radicale, tous partagent un attachement viscéral à la Bretagne et clament haut et fort leur désir d’indépendance.

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Nil Caouissin, 26 ans, porte-parole de l’Union Démocratique Bretonne (UDB)

Vice : Qu’est-ce qui vous a amené à vous engager pour la cause bretonne ?
Je suis né en région parisienne et pendant longtemps, j’ai plutôt soutenu Europe-Ecologie-Les-Verts. Mais ma grand-mère, qui vit en Bretagne et milite depuis longtemps à l’UDB, m’a offert un abonnement au journal Le Peuple breton. J’ai compris que je ne pouvais pas me résoudre à voir la langue bretonne disparaître. Or, cette question (ainsi que celle de l’autonomie de la Bretagne ou d’autres régions françaises), est très peu débattue dans les partis de gauche traditionnels. Alors, quand je me suis installé à Rennes, j’ai préféré adhérer à un parti régionalisé, comme l’UDB. Je suis devenu porte-parole à 23 ans : preuve que les jeunes aussi ont leur place dans les partis !

Vous êtes professeur de breton. Est-ce une autre façon de militer ?
Ça n’est pas comme enseigner n’importe quelle langue… Mais je ne demande pas à mes élèves d’être des militants ! Je fais d’ailleurs très attention à ne pas confondre mes deux casquettes. À mon sens, c’est avant tout un moyen de leur donner une liberté. Ce qui est amusant, c’est que lorsqu’ils sont en cours, ils me disent que ça ne sert à rien d’apprendre le breton, alors qu’à l’extérieur, ils défendent la langue mordicus !

Concrètement, si la Bretagne devenait autonome, ça changerait quoi ?
La gestion du pays est aujourd’hui centralisée et la conséquence, c’est que les politiques publiques favorisent le centre. Ça n’est pas toujours un choix conscient, mais c’est une réalité. Prenons les transports, par exemple. Depuis des décennies, on a privilégié les lignes à grande vitesse. Résultat : les grandes villes françaises se sont rapprochées de Paris. Et ça, ça renforce le centralisme. Je vais souvent à Paris, mais pas tous les jours. Alors, que le trajet fasse une demi-heure de plus ou de moins, qu’est-ce que ça change ? En revanche, je vais à Nantes quatre fois par semaine et là, cette demi-heure change tout ! Beaucoup de Bretons sont dans ce cas. C’est parfois plus facile d’aller à Paris, que de voyager en train dans notre propre région. Si la Bretagne était plus autonome, elle pourrait améliorer les transports publics interrégionaux.

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Anaëlle Le Piolet, 23 ans, candidate de la Gauche Indépendantiste aux dernières élections régionales

Vice : Qu’est-ce qui vous a amené à vous engager pour la cause bretonne ?
Dans ma famille, la culture bretonne tient une place importante – même si je suis la seule à militer en faveur de l’indépendance. Par exemple, j’ai été scolarisée dans un collège Diwan, où j’ai appris le breton. Et puis, ma mère a créé le club de lutte bretonne de Louargat, en Côtes-d’Armor. C’est d’ailleurs quand j’ai commencé à pratiquer ce sport que j’ai rencontré de vrais militants. Et que j’ai décidé de m’engager.

Le référendum en Catalogne ou les succès électoraux des nationalistes corses vous donnent-ils espoir pour la cause bretonne ?
En tout cas, cela amène les gens à se poser des questions. Et à mieux saisir la légitimité des luttes pour l’indépendance. Je vais d’ailleurs en Corse la semaine prochaine pour comprendre et analyser comment ils en sont arrivés là. Il faut se nourrir et s’inspirer de cette expérience.

Concrètement, si la Bretagne devenait indépendante, ça changerait quoi ?
D’abord, cela permettrait de valoriser la langue bretonne. Bien sûr, nous avons déjà des écoles Diwan, qui sont bilingues. Mais ça n’est pas suffisant. Une grande majorité de Bretons n’ont jamais appris la langue de leur propre région ! Il faut la défendre et encourager ceux qui le souhaitent à le parler librement. C’est l’identité bretonne qui est en jeu.

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Arthur X, 22 ans, militant au parti d’extrême droite Adsav (« Renaissance » en breton)

Vice : Qu’est-ce qui vous a amené à vous engager pour la cause bretonne ?
Mon déclic a d’abord été intellectuel : en lisant des ouvrages sur l’histoire de la Bretagne, j’ai appris à ne pas m’attacher au cadre républicain français, au concept d’une France « une et indivisible ». Le déclic militant est venu avec la révolte des « Bonnets Rouges ». J’y ai participé mais après, j’ai décidé de m’engager vraiment parce que jeter des pavés et des pots de fleurs sur les CRS, ça va cinq minutes ! J’ai choisi Adsav parce que ce parti ne joue pas sur les mots comme l’UDB et le Parti Breton qui parlent parfois d’indépendance, parfois d’autonomie, parfois de régionalisation… Adsav, c’est le seul mouvement vraiment nationaliste – sans aucune ambiguïté. Et c’est aussi le seul à concevoir la défense du peuple breton dans le cadre d’un combat plus général contre l’immigration massive.

Pourquoi avoir demandé à conserver votre anonymat ?
Parce que lorsqu’on a l’ambition de mener des actions contre l’État, on s’expose à des ennuis judiciaires. Si je veux pouvoir mener ce type d’action, il n’est pas concevable de monter mon visage ou de vous dévoiler mon nom de famille. D’autres militants, d’autres partis, jouent le jeu de la République – en se présentant aux élections, par exemple. Ça n’est mon cas.

Concrètement, si la Bretagne devenait indépendante, ça changerait quoi ?
Quand on est Breton, on est forcément un ennemi de l’État français puisqu’il s’en est pris à notre héritage. On ne peut donc pas fonctionner dans le cadre l’État français. Prenez l’agriculture, par exemple : elle vit sous perfusion et pourtant, elle ne fonctionne pas. De toute façon, aux yeux de l’État, le seul potentiel économique de la Bretagne est le tourisme. Mais nous n’avons pas vocation à devenir la maison de retraite des Parisiens !

Joannic Martin, 25 ans, candidat du Parti Breton (centre droit) aux dernières élections législatives.

Vice : Qu’est-ce qui vous a amené à vous engager pour la cause bretonne ?
Je suis né à Paris mais ma famille d’origine bretonne. Même s’ils ne sont pas politisés, ils m’ont régulièrement emmené sur les sites historiques de Bretagne. Mais le vrai déclic a été le mouvement des « Bonnets Rouges » en 2013 et les grandes manifestations bretonnes contre l’écotaxe et les plans sociaux dans l’agroalimentaire. Je partageais la colère des manifestants : ma famille vient du monde agricole et j’avais parfaitement conscience des ravages induits par ce nouvel impôt. Mais à l’époque, je vivais dans le sud de la France et le fait de ne pas pouvoir participer au mouvement a été pour moi un électrochoc. J’ai décidé de m’installer à Saint-Brieuc et de m’engager au Parti Breton. Au départ, mes parents ont été surpris : ma mère m’a demandé si j’allais poser des bombes !

Mais le parti Breton, plutôt de centre droit, ne pratique pas d’action violente…
Tout à fait ! Et c’est justement ce qui m’a séduit : le refus de l’extrémisme. Je suis convaincu que notre génération peut militer pour l’indépendance sans reproduire les erreurs du passé – notamment le recours à la violence.

Concrètement, si la Bretagne devenait indépendante, ça changerait quoi ?
D’abord, la Bretagne aurait sa propre voix au niveau européen et pourrait mieux se faire entendre. Et puis, elle pourrait décider de son avenir. Le président Macron nous a promis une décentralisation mais… il fait exactement le contraire et concentre tout le pouvoir à Paris. L’indépendance nous permettrait de bénéficier de nos richesses, de protéger notre culture en y investissant, de bâtir un projet éducatif – bref, de prendre des décisions qui correspondent aux besoins de Bretons eux-mêmes.