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Interview

10 questions que vous avez toujours voulu poser à une femme-canon

Pour gagner sa vie, Robin Valencia se fait propulser à 70 km/h face à des spectateurs médusés.
Robin Valencia. Capture d'écran via YouTube

À la question « Et toi, tu fais quoi dans la vie ? », Robin Valencia est l’une des seules femmes à pouvoir sobrement répondre : « Je suis propulsée par un canon dans le vide, devant des milliers de spectateurs. » Valencia, prosaïquement surnommée « la femme-obus », travaille pour le cirque d’hiver Bouglione à Paris. Tous les jours ou presque, coiffée d’un casque et flanquée d’une combinaison moulante, elle surgit d’un canon à la manière d’une super-héroïne de comics, avant d’atterrir dans un airbag géant. Aujourd’hui âgée de 49 ans, cette Californienne est la seule femme au monde à réaliser ce numéro périlleux.

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Parce que s’offrir quotidiennement un shoot d’adrénaline à 70 km/h n’est pas sans risques, le raté n’est jamais bien loin. Dans cette discipline où les blessures sont légion, tout doit être précisément calculé. Pour en savoir plus, on lui a posé quelques questions.

VICE : Comment es-tu devenu femme-canon ?
Robin Valencia : J’ai commencé à 19 ans. Mon oncle, David Smith, était mathématicien et gymnaste. Il était fasciné par ce métier et a décidé de se construire un canon, avant de s’entraîner et de devenir homme-canon aux États-Unis. Il faisait le tour des grands parcs d’attractions grâce à ses spectacles. Quand j’étais plus jeune, j’ai voyagé avec lui pendant mes vacances scolaires. J’ai assisté à tous ses shows, et j’étais vraiment impressionnée. À ce jour, il détient encore le plus grand record de portée avec 200 pieds (60 mètres) à une vitesse de 110 km/h. Pour ma part, j’ai entamé des études généralistes à l’université, mais j’ai vite arrêté et demandé à mon oncle de me construire un canon sur mesure. Un jour, il m’a demandé de le remplacer sur un spectacle, ce que j’ai fait – et ça fait aujourd’hui trente ans que je n’ai pas arrêté. Je suis la seule femme à faire ça dans le monde.

Pourquoi es-tu la seule femme à pratiquer cette discipline ? Il n’y a eu que deux femmes canon dans le monde – moi et ma cousine, qui vient de prendre sa retraite. C’est rare pour une femme, parce que ça comporte tout un tas de risques. Il faut avoir une parfaite connaissance de la machine, qui doit être construite sur mesure. C’est une discipline qui demande beaucoup d’entraînement physique et de concentration. Tout est calculé : le poids, la taille, l’angle de portée et la vitesse à laquelle tu vas être propulsé. Il faut être extrêmement vigilant. La trajectoire doit être parfaite, sinon l’atterrissage ne le sera pas.

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Robin Valencia au cirque d’hiver. Photo publiée avec son aimable autorisation.

Comment ça fonctionne ?
Je suis éjectée grâce à un système de projection hydraulique. J’utilise de la poudre à canon, mais elle ne sert que pour le bruit et la fumée, et créer un effet de scène. À chaque tir, mon corps est soumis à une force de 4 g – si tu n’es pas habitué, tu risques de t’évanouir. Quand je suis dans le canon, je dois me mettre dans une position précise. Il faut que je me tienne bien droite, et que mon cou et ma colonne vertébrale soient parfaitement alignés. Le but est de contracter un maximum mes muscles pour contrer la pression.

À quels genres de risques t’exposes-tu ?
Si les calculs ne sont pas bien respectés, que je ne contracte pas mes muscles, ou que je ne me positionne pas correctement, mon corps peut partir dans tous les sens. Je peux mourir à la moindre erreur.

Tu t’es déjà blessée ?
Oui, les accidents arrivent dans une carrière. Une fois, pendant une représentation, je n’étais pas prête, je n’ai pas suffisamment contracté mes muscles. Mon corps n’a pas supporté la pression. Mes organes ont été touchés, j’ai eu des hémorragies internes. J’ai dû subir plusieurs interventions pour me remettre sur pied. Je n’aime pas beaucoup en parler, ce n’est pas facile de se relever d’une chose pareille.

À force de pratiquer, tu peux avoir des séquelles physiques et/ou neurologiques ?
C’est possible – si tu n’es pas suffisamment entraîné ou que tu multiplies les sauts, le corps aura du mal à supporter autant de pression. Mais je connais mes limites. J’ai une très bonne condition physique, je fais beaucoup de sport, et du yoga pour la concentration. Le tout, c’est de ne pas enchaîner les prestations. Je me restreins à une fréquence de deux ou trois sauts par jour, en fonction du nombre de représentations du cirque. Pas plus. Au-delà, tu te fatigues trop. Et surtout, je ne fais pas ça tout le temps. Environ cinq mois dans l’année, pour permettre à mon corps de se remettre, et de me reposer.

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Quel genre de sensations ressens-tu lorsque tu es propulsée ?
J’adore l’adrénaline que ça procure. Un jour, à Malmö en Suède, j’ai traversé deux buildings de toit en toit. C’était très excitant. C’est une sensation qui mêle à la fois la peur et la liberté. Tu as l’impression de voler et en même temps, ça va très vite. C’est ça que j’aime. Et puis, quand le public te récompense avec ses applaudissements, tu as envie de remettre ça !

C’est quoi ton record personnel ?
30 mètres à 70 km/h. Je ne peux pas faire plus car le canon est à ma taille, et donc il est petit. Plus le canon est petit, plus le temps d’accélération sera court, et par conséquent, le saut aussi.

On gagne bien sa vie en étant femme canon ?
En règle générale, oui. Je suis intermittente, alors c’est variable en fonction de la structure qui m’emploie. Parfois je suis déçue, parfois je suis surprise. En tout cas ça me permet de vivre en ne travaillant que cinq mois dans l’année.

Jusqu’à quel âge tu comptes faire ça ?
Tant que je peux continuer, je le ferai. Il n’y a pas vraiment d’âge pour arrêter, il faut surtout écouter son corps. Mon oncle a pris sa retraite à 72 ans. Moi, j’aimerais aller au-delà. Je me vois bien faire ça jusqu’à 80 ans si je peux.