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Music

Le nouvel album de Kroc Blanc est tellement raciste que ça en devient surréaliste

« Instinct » fait passer les pires commentaires de la page Facebook du Point pour des citations de Yannick Noah.
Genono
par Genono

Je passe la moitié de mon existence à digger sur d'étranges forums russes de rap français à la recherche de rappeurs parfaitement inconnus et incapables de se créer le moindre réseau pour communiquer avec le reste du monde et des médias. Je tombe parfois sur des pépites, souvent sur d'infâmes daubes, et, une fois de temps en temps, sur un obscur projet issu de la consternante catégorie du « rap identitaire ». Dernière trouvaille en date : l'album Instinct de Kroc Blanc, tête de proue de ce sous-genre qui fait de plus en plus d'émules auprès de la toute puissante « fachosphère ». Techniquement, l'album existe depuis l'automne, mais n'était pas disponible sur le net, réservé aux mecs motivés à l'idée d'acheter l'album via la boutique en ligne du rappeur –ce qui n'est clairement pas mon cas, malgré ma curiosité insatiable. Heureusement, la piraterie n'est jamais finie, et les hackers ont fini par se réveiller et balancer l'album sur les réseaux russes, à la grande surprise de Kroc Blanc, persuadé que personne, jamais, n'oserait le trahir (comme en témoigne son compte Twitter).

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Les groupes de musique ouvertement liés à des mouvances racistes ou identitaires existent dans la plupart des genres musicaux –hormis la funk, peut-être- et si les fans de rock, de metal, de country, et même de reggae ont du se coltiner toute une frange un peu débile de la population, il n'y a pas de raison que les fans de rap n'y aient pas droit.

Alors évidemment, avant de lancer l'écoute de cet album, il existe deux règles d'or à respecter : 1. Ne jamais faire l'erreur de prendre les propos du bonhomme au premier degré 2. Toujours garder en tête le potentiel immense de mongolerie de ce genre de musique. Attention, Kroc Blanc et ses acolytes sont évidemment très premier degré. Mais de la même manière que j'évite de prendre au sérieux Despo Rutti quand il part dans ses théories complotistes, je prends énormément de hauteur quand je lance l'écoute d'un album comme Instinct, et des titres comme « Bonobo », « Cheeta » ou encore « Nazi ». C'est un peu comme écouter une interview d'Henry de Lesquen uniquement pour se marrer : ça ne marche que si l'on prend beaucoup de hauteur. Vraiment beaucoup. Et puis, j'évite aussi de l'écouter à fond dans ma voiture quand je fais un tour au milieu du Val Fourré, et je fais extrêmement attention à ce que mes écouteurs ne s'arrachent pas dans les transports, laissant le haut parleur de mon téléphone cracher des punchlines du type « ils ne sont Français qu'au bureau de la CAF ! » ou encore « Je suis le Eminem blanc » (ok, celle-ci m'a fait mourir de rire).

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A partir du moment où l'on arrive à déceler le potentiel déconneur de la musique de Kroc Blanc, on s'éclate comme devant un bon nanar. En fait, c'est parfois tellement raciste que ça en devient complètement surréaliste, et la seule réaction possible est le rire, voire même l'admiration face à tant de surenchère, à faire passer les pires commentaires de la page Facebook du Point pour des citations de Yannick Noah. Et le pire dans cette histoire, c'est que Kroc Blanc, qui était, à la base, un rappeur clairement médiocre, livre plutôt une bonne partition sur cet album : non seulement c'est bien produit (avec notamment un sample de Gladiator assez fantastique sur le titre « Maximus »), mais en plus, d'un point de vue purement technique, le mec varie les flows en les maitrisant tous parfaitement, et balance d'authentiques punchlines –hyper-racistes, certes, mais punchlines quand même. Un exemple ? « A l'instar de Daesh j'viens mettre du plomb dans la tête des bobos » (rires gras).

Il faut dire que le mec est plutôt doué pour balancer des lines percutantes, comme le prouve cette fatality en plein tweetclash face au réalisateur Jules Gondry :

C'est d'ailleurs ce qui est assez fantastique avec Kroc Blanc : on pourrait croire que la chose qu'il déteste le plus, ce sont les Arabes et les Noirs, comme tout bon raciste français qui se respecte. Mais non, Krokro voue une haine bien plus féroce aux Blancs antiracistes. Dans une vidéo mise en ligne il y a quelques jours, il défend Vald, accusé par Soldat Killuminaty –un autre grand champion du net- d'être un pur raciste (ainsi qu'un sataniste, mais c'est une autre histoire). Kroc Blanc ne défend pas Vald par pure solidarité caucasienne : il « accuse » frontalement Vald d'être un antiraciste.  En gros, son message se résume au suivant : « Haha ! Vald et Biffty ne sont pas de vrais racistes. La honte ! JE suis un vrai raciste. Un raciste avec des vraies valeurs racistes. Mon racisme est authentique, pas le vôtre. » Le mec est un puriste du racisme. Vous vous rendez compte du bordel ?

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Bon, rassurez-vous, malgré sa haine absolue des Blancs antiracistes, Kroc Blanc est aussi et surtout obsédé par une chose : l'Islam. Il suffit d'écouter « Lettre à Kery James » pour comprendre l'idée : le titre est censé s'adresser à l'ex-rappeur d'Ideal J, mais n'est en fait qu'une longue lettre d'insultes aux musulmans de France. A moins de voir en Kery James un ambassadeur d'une hypothétique entente internationale des pays musulmans, on peut se questionner sur la pertinence des attaques de Kroc Blanc, qui lui demande notamment quatre fois de suite « combien de pays musulmans pratiquent la liberté de culte ? », comme si Kery en avait quelque chose à foutre de la politique intérieure du Yemen ou de l'Iran.

Et puis, vous vous souvenez de cette rime légendaire de Lino, « un rap sans couilles, c'est comme un assassin sans cible (sensible) » ? Krokro tente la même figure de style, avec un tout petit moins de maitrise : « toutes ces nuées de petits cons pour qui la foi se résume à mépriser les jambons (gens bons) ». C'est d'ailleurs une leçon à retenir à destination de tous les rappeurs, racistes ou non : quand une rime est trop facile, ne la faites pas. Vraiment, vous vous affichez à chaque fois.

Pour le reste, Kroc Blanc représente le pendant patriote des djihadistes : de la même manière, il se rêve en héros, défenseur de la veuve (caucasienne) et de l'orphelin (blond), famas (de fabrication française) à la main, partant à la conquête de territoires hostiles (les banlieues). Le plus cocasse, c'est que le bonhomme passe sa vie d'artiste caché derrière un masque, pour ne pas avoir de problèmes, ce qui est tout de même une belle allégorie de ce qu'est la fachosphère, qui ne va généralement pas bien loin sans une photo de profil anonyme et un pseudo. Une allégorie poursuivie par Amalek, qui lâche le temps d'un featuring : « nos ancêtres étaient des braves, pas des gros lâches derrière leurs claviers » -le clavier étant l'arme favorite de la communauté identitaire, et le Français moyen des années 40 étant plus prompt à collaborer qu'à mourir au combat.

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Mais tout n'est pas noir (ni basané) dans cet album, et un titre comme « Ma gauchiste » est tout de même assez génial, pour peu que vous ayez un tant soit peu d'humour incorrect. Récit chantonné de sa relation éphémère avec une « petite bourgeoise venue chasser le prolo », « Ma Gauchiste » est un genre de « I Need me a Bitch » version identitaire. Si vous êtes néo-nazi, ne cherchez plus : il s'agit de la chanson d'amour parfaite : « Je t'ai si bien fracturé la raie qu'on y a débusqué du gaz de schiste, Lune de miel direction Auschwitz »… Si vous continuez d'appliquer les conseils distillés en début d'article, le refrain de « Ma gauchiste » est clairement l'un des plus drôles des derniers mois, avec sa ritournelle « Bébé, je ferai les chansons de Maître Gim's pour toi / J'aurai du fric pour toi / j'aimerai Cohn-Bendit pour toi / Je serai tout ce que t'aimes » franchement pas piquée des hannetons.

Dans le fond, Kroc Blanc est un mec plein d'humour –un humour excessivement raciste, certes-, et joue énormément sur l'autodérision et la perception parfois tout aussi excessive que les médias ou la masse intellectuelle peuvent avoir de sa communauté et de ses valeurs. Le titre « Nazi » est l'un des seuls de l'album à ne pas être ouvertement haineux et à jouer sur l'ironie, en partant du postulat selon lequel tout opposant à la pensée unique est immédiatement traité de nazi –le fameux point Godwin. « Si t'es pas de gauche t'es un nazi » ; « Tu trouves Eva Jolie moche, t'es un nazi » ; « Tu t'fous d'la gueule des démocrates, t'es un nazi » ; « Si parfois ton épaule te gratte, t'es un nazi » ; « Nazi » est d'ailleurs le titre qui ouvre l'album, et qui, je dois dire, m'a laissé croire que j'allais me taper des barres pendant les 14 pistes suivantes.

J'aurais peut-être dû lire la tracklist entière avant, et comprendre sans trop de difficultés que « Bonobo » et « Cheeta » n'étaient pas des hymnes à la nature, ou des storytellings inspirés par la Planète des Singes. « Si Cheeta rend la justice t'étonnes pas de prendre une banane » ; « j'prends la balle au bond, et la renvoie jusqu'en Afrique, on n'arrêtera pas d'la baiser tant qu'cette pute sera gratuite » : malheureusement, l'humour a lui aussi ses limites. Krokro fait tout de même des 500 000 vues sur ses titres les plus populaires, et il est loin d'être le seul identitaire à investir le monde du rap. Une tendance très drôle qui va certainement exploser en 2017, même si selon les dires de certains idéologues puissamment drogués, le rap reste la musique congoïde par excellence.

Le plus grand moment de l'album est probablement cette phase où Kroc Blanc clashe Bassem, puisqu'il nous laisser rêver d'un potentiel clash « raciste blanc VS raciste rebeu » qui rappellerait les meilleures heures du clash entre Morsay et les Noelistes. A moins que Krokro et Bassem n'arrivent à s'entendre sur leur mépris mutuel des Noirs, ce qui, avec un peu de chance, mènerait Patrice Quarteron à s'en mêler lui aussi. Ce jour-là, on pourra clairement considérer qu'Internet aura atteint son climax.

Genono attend ce moment sur Twitter.