Dis-moi à quel festival tu vas, je te dirai qui tu es

Les festivals sont indiscutablement la meilleure façon de vivre sa différence. Goth de droite, hippie centriste, blogueuse mode, druide, zonard, skateur de plus de 40 ans, attaché commercial au bord du suicide, Breton : il y a forcément un festival fait pour vous et pour vous seul. Mais peut-être ne savez vous pas qui vous êtes vraiment ? Ou bien cherchez vous désespérément une manifestation qui vous corresponde réellement ? Pas de panique, nos experts en musique populaire occidentale sont là pour vous guider à travers la jungle des festivals d'été et vous aider à faire, enfin, connaissance avec vous-même.

Vous avez déjà vu Derrick May et Laurent Garnier plus de huit fois, mais les voir ensemble, à Brest, livrer un hommage vibrant et vinyl only de 6 heures à Underground Resistance sous la pluie (« oui, mais dans un chateau ! ») est pour vous la définition d'un été réussi. Bonne nouvelle, vous êtes Breton.

Entre 2000 et 2009, vous êtes allés à Benicassim entre 4 et 10 fois, parce que vous aviez alors entre 20 et 30 ans et que c'était techniquement le seul endroit où vous pouviez hésiter entre sexe, drogue et coups de soleil, vu que les trois étaient offerts à la volée et en quantités cyclopéennes autour de vous. Après quoi, comme tous les gens qui allaient à Benicassim entre 2000 et 2009, vous vous êtes calmés, vous êtes tombés amoureux, vous avez arrêté la drogue et vous avez aujourd'hui une vie qui vous correspond plutôt pas mal, avec ses joies, ses peines, ses factures, ses coups de fil et ses faire-parts de naissance - bref, globalement, ça roule. Le seul truc qui n'a pas changé, c'est que vous continuez à aller à Benicassim, de la même manière que les gens qui y travaillaient ont continué à y travailler, et vous êtes aujourd'hui à l'image de ce festival, le seul auquel vous vous rendez : un type un peu mou, mais heureux, pour qui le temps s'est arrêté en 2009 et qui ne demande rien d'autre qu'à se taper 8 vodka-Red Bull dans le seul endroit du monde où Florence + The Machine et Crystal Fighters sont considérés comme des têtes d'affiche.

Pourquoi claquer son PEL dans un Airbnb qui sent la MST et le rosé chaud à Calvi quand on peut rider la côte sur un cruiser en plastique et se gaver de gâteaux basques gluten-free ? Et puis ça tombe bien, votre beau-père a une villa à Guéthary.

Vous n'avez que 27 ans mais vous êtes en pleine midlife crisis. Vous décidez subitement de dire non à cette vie matérialiste qui vous force à rester assis 9 heures par jour devant un ordinateur, frustré de voir tous les Instagram de vos relations Linkedin qui vivent la wildlife sans limite aucune sur le Nouveau Continent. Vous cassez votre compte épargne dans un camping-car hyper bon marché que vous payez à plusieurs (à l'aide de vos désormais Burning friends) et que vous allez chercher en covoiturage à Lille. Vous retapez l'intérieur avec des tapis que votre mère, un peu prof, un peu écolo, vous a donné après avoir quand même tiqué lorsque vous lui avez annoncé que vous aviez quitté votre CDI à 2500 net sans même laisser de lettre de démission - elle vous conseille d'ailleurs de régulariser votre situation au Pôle Emploi avant de partir. Sauf que votre pote Marco vient de débarquer avec un pochon « d'un mois » d'acides et que vous avez une vie à refaire. Tout est fin prêt, votre père vous a même prêté son camescope Sony pour immortaliser cette expérience unique. Merde, vous aviez oublié un truc. Vous avez un océan à traverser.

Burning Man / Photo via

Vous êtes l'incarnation du joyeux luron, comme en témoigne ce coup de soleil rouge écarlate qui orne votre front. De votre propre aveu, vos goûts sont éclectiques, entre chanson engagée et électro déconneuse, en passant par la nouvelle sensation reggae du moment (qui n'arrivera cependant jamais à la cheville de Patrice). Bourré de bonnes intentions, vous aimeriez pouvoir dissiper la grisaille lorsqu'elle s'abat sur votre entourage. Malheureusement pour vous, vous ne faites que creuser un peu plus le fossé qui vous sépare de la Fin en radotant sur votre année de césure au Pérou et en pestant trop sérieusement contre cette caste qu'on nomme les « hipsters ».

Qui a déjà vécu l'expérience Calvi on the Rocks ? Quel habile trompeur vous a-t-il déjà annoncé qu'il y avait passé « un excellent week-end » ? Personne. L'explication la plus tangible, c'est que les gens de Calvi on the Rocks ont été rajoutés numériquement à des Getty Images de falaises corses sur le logiciel Paint à l'aide d'une technologie de motion capture avancée permettant de restituer avec précision la danse rituelle des habitués du club Le Showcase, au nez et à la barbe des pourfendeurs de la contrefaçon, et que personne ne s'est jamais posé la moindre question quant à l'existence ou non de ce festival de musique électronique destiné à de prétendus nababs de la communication niçois et autres fêtards impénitents du Grand Ordre du Canal Saint-Martin. Heureusement, un élément permet de prouver l'irréalité de l'événement à travers diverses vidéos retrouvées ça et là dans les archives YouTube : la bande-son, précisément un croisement entre un DJ set de Seth Troxler et la B.O. du jeu vidéo NBA Jam. En d'autres termes, si Calvi on the Rocks est votre festival préféré, c'est que vous êtes coincé dans un CD-Rom.

Coachella / Photo - Jason MacDonald

Vous êtes salariée de votre propre blog mode. Ni patron, ni soumise. Vous êtes toujours enthousiaste à l'idée d'écouter pendant des heures des sonorités mêlant musique électronique et instruments à vent. Vous allez chaque année à Roland-Garros. Vous achetez un chapeau blanc avant de rentrer sur le cour Philippe-Chatrier pour encourager Richard Gasquet lors de sa défaite contre un membre du Top 20 mondial. Ce que vous faites aussitôt entrée dans l'enceinte de « la Mecque des festivals », chapeau que vous avez mis un soin tout particulier à assortir avec cette robe mi-lin mi-cuir, pour vous démarquer de ces grossières pionnières. Hey, vous êtes Française, et vous tenez à ce qu'on le sache.

Jamie Jones ? Armand Van Buren ? Afrojack ? Aucune idée : les DJ's sont à des kilomètres de vous. Et d'ailleurs, vous vous en tapez copieusement, puisqu'ici, tout est KO et tout est kéta. Au fond de vous, vous n'aimez ni la techno, ni la France d'ailleurs : vous préférez écouter du « bon son anglais, comme Alan Braxe ».

Selon nos statistiques, il y a près de 3 chances sur 4 que vous soyez un homme blanc entre 19 et 28 ans, de taille moyenne, avec une affection particulière pour les accessoires de tête. Vous êtes dans 100 % des cas un digger pénible dont l'unique plaisir dans la vie se résume à connaître avec précision les horaires de passage de chacun des DJ's techno des soirées dans le 13ème arrondissement de la capitale. Enfin, depuis que vous avez lâché la drum'n'bass, vers 2010.

Vous venez de l'Est de la France, région désertée par les gros festivals d'été (à part Dour, mais c'est la Belgique, ça ne compte pas) pour de bonnes raisons : il pleut tout le temps, y'a pas la mer, et tout le monde parle avec un accent pittoresque. Vous aimez la musique « qui bouge », vous embrouiller avec vos semblables et vous vous trimballez tout le temps avec un camelback rempli de Vodka Redbull pour ne pas claquer votre blé inutilement au bar. Territoire de Belfort / Finistère : même combat.

Vous avez un peu galéré à trouver de la place pour coudre ce patch Sodom entre ceux des Misfits, de Kreator et Puddle of Mudd sur le perfecto de votre daron, mais cette fois, c'est la bonne : ce soir, vous perdrez votre pucelage dans votre tente Quechua, juste après le concert de Carcass, c'est décidé. Et puis votre cartouchière à 50€ s'est coincée dans la fermeture éclair de votre slim en cuir, et Svetlänaark (c'est le nom qu'elle portait ce week-end là) s'est mise à vous parler d'un possible mariage elfique alors que vous aviez à peine eu le temps de lire les runes tatouées dans le bas de son dos, entre deux lanières en cuir, et la soirée a pris une toute autre tournure.

Fall Of Summer / Photo - Melchior Ferradou Tiersen

Vous êtes Selah Sue.

Vous avez un objectif clair et précis : voir aujourd'hui les groupes dont vous rirez demain.

Et voilà, vous y êtes. 355 jours que vous attendiez ça. Ça fait maintenant 10 jours que vous écoutez le même rip-off d'« Amazing Grace ». 10 jours à boire de la Guiness tiède. 10 jours que vos voisins portent le même kilt. 10 jours sans comprendre comment « ça » se danse. 10 jours sans la moindre techno. Et vous savez pertinemment que vous y serez encore l'année prochaine car, mauvaise nouvelle, vous êtes Breton.

Vous êtes Josiane Balasko.

Auditeur fidèle de France Inter depuis 1998, vous appréciez autant l'impertinence de Pascale Clark que l'humour parfois potache mais toujours juste de François Rollin. Mais si vous l'aimez tant, c'est avant tout pour la délicieuse programmation musicale concoctée par Jubaka, qui de Brigitte en Mathieu Boogaerts, vous fait voyager à travers la France des clients de la Fnac et de l'écologie politique. Certes, vous avez déjà vu Christine & the Queens trois fois cette année, mais vous serez quand même aux Francos parce que hey, il faut bien profiter de la culture avant le retour de SSarkozy ou l'arrivée du FHaine, pas vrai ?

Glastonbury / Photo - Jake Lewis

Vous êtes juggalo ou journaliste chez VICE.

Vous voulez vivre la légende et grimper tout en haut de la mythique Pyramid Stage où vous pointerez un doigt vers la lune en en plaçant une pour Stonehenge, Julian Cope et tous les putain de druides de l'Univers avant de vous lancer, ventre en avant, sur les 150 000 faces hurlantes tentant depuis 3 jours de décrypter le running order du festival, une polémique foireuse dans une main et une bouteille de cidre bouché dans l'autre.

Soit vous êtes Allemand, Polonais, Danois, ou toute nation à plus de 1000 km de Clisson. Soit vous ne connaissez pas l'existence du Hellfest. Et dans les deux cas, qu'est ce que vous foutez-là ?

Après le split de votre groupe de lycée et malgré une prestation convaincante au concert de la fête de fin d'année, personne ne vous a offert de contrat pour devenir les Green Day français. Aujourd'hui, vous bossez dans la pub, mais vous allez tous les ans en Belgique renouer avec vos racines anti-capitalistes autour d'une bonne vieille canette de Monster Energy Drink. Et alors que le mélange de ginseng et de taurine commence à faire son effet, vous réalisez que c'est quand même cool d'avoir un CDI pour pouvoir se payer ce nouveau T-Shirt Pennywise à 20 euros qui fera son petit effet à la terrasse du Tape.

Il y a quatre ans, vous avez dédié votre poignet droit aux bracelets du Hellfest plutôt qu'à votre sexualité, autant dire que le Metal, c'est toute votre vie. Bien que le nouveau design de l'affiche vous laisse dubitatif, vous avez quand même pris votre pass trois mois avant l'annonce du line-up. Depuis, vous vous êtes résigné à ne voir jouer que les groupes dont vous aviez reproduit les logos au blanco sur votre sac en 1ère S, en marmonnant « Still Loving You » dans un verre de muscadet tiède.

362 jours que vous bouffez de la Whey pour enfin être le plus BALEZE dans votre combo marcel-short-camo et espérer qu'une petite xhollandaisex vous confonde avec un mec des Cro-Mags. Autant dire que ça a intérêt à marcher, parce qu'avec les trois télés que vous avez dû racheter après avoir enchaîné les moulinets et les rondades dans votre studio, vous aurez à peine de quoi vous payer vos sandwiches vegan et vos smoothies au soja après le premier jour.

LA DROGUE, C'EST VOTRE DADA ! Vous connaissez toutes ses variantes et ses appellations par coeur. Tout comme le premier album de The Jesus and Mary Chain, Psycho Candy, que vous avez tellement saigné que vous détestez tout ce qu'ils ont fait après. Vous zappez d'ailleurs leur set (afin d'enfin tuer le père) pour aller voir le 6ème side-project de Ty Segall qui a obtenu un 9.2 sur Pitchfork (pas mal). Vous n'avez pas retenu de performance particulière, mais putain, vous reviendrez l'année prochaine. Quitte à harceler Dailymotion pour qu'ils vous financent un docu (oui, vous avez des potes dans la prod).

Lol @ quoi ?

Lollapalooza / Photo - Petya Shalamanova

La musique ? Bof, pas trop votre délire. Si vous êtes là, c'est pour le cadre. Un écrin majestueux. Vous voulez décompresser, vraiment. Vous limitez d'ailleurs votre propre présence en ligne en vous mettant en mode avion, sauf peut-être quand vous partagez les études très sérieuses qui expliquent que les buveurs de bière et les gens bordéliques sont plus malins que les autres (en taggant tous les noms de vos amis bordéliques et buveurs de bière, héhé). Au fond de vous, vous aimeriez bien en profiter pour y trouver votre âme soeur.

Vous êtes un de ces petits ironistes de merde qui s'amusent du fait qu'un festival nommé Météo ait pris ses quartiers à Mulhouse, ville où il pleut 88 % du temps. Et vous vous indiquez en tant que « participant » chaque année sur Facebook sans jamais y avoir foutu les pieds, pour faire rire vos 543 amis. Un jour, vous souffrirez, et vous l'aurez cherché.

Tous les ans en mai, vous y allez de votre statut Facebook de 1500 signes pour dire : « MERCI aux artistes, aux équipes techniques, à l'équipe catering, à l'équipe accueil artistes, aux drivers, à l'équipe du bar, à l'équipe billetterie, à l'équipe merchandising, à l'équipe vente de jetons, à l'équipe montage/démontage, à l'équipe brigade éco, à l'équipe du snack, et à tous les autres festivaliers ! » et ce sans même faire partie de l'organisation parce que vous croyez dur comme fer que sans le soutien de tout un chacun, les scènes émergentes le resteront. Et puis, si au passage, ça vous permet de gratter un pass pour ne rien raquer l'année prochaine, ça ne mange pas de pain.

Pour vous, le mouv' le plus cool qui soit, ce n'est ni de casser sa guitare sur scène ni de réduire sa batterie en miettes en sautant dessus à pieds joints, mais simplement le fait de débrancher un cable d'un Moog Audiosonic Duotone Sequencing Stereophile System Board IV afin de le faire biper dans un autre port. Il est là le turfu, les mecs. Dans la machine !

Panoramas / Photo : Jacob Khirst

Vous êtes Quincy Jones. Ou alors juste vieux.

De l'ensemble du corps enseignant breton spécialisé en Sciences et Vie de la Terre, vous êtes le seul à porter un T-Shirt Def Leppard sous votre blouse et à ne pas être allé à la Route du Rock cette année. Ce qui vous permet de gagner sans plus attendre trois tickets pour une ration de heavy whisky à retirer sans tarder sous le chapiteau J&B.

Vous utilisez les expressions « élite parisienne », « bien-pensance » et « bobo-hipsters ». Vous ne dites pas non à un rail de coke coupé au lévamisole pendant une after de Ben Klock. Pouvoir boire de l'alcool dans le métro est pour vous ce qui se rapproche le plus de l'idée de liberté. Vous pestez contre les gens qui n'assument pas leurs idées. Comment ça, quelles idées ?

Le Hellfest ? Truc de poseurs. Le Graspop ? Trop commercial. Le Wacken ? Pas assez extrême. Votre truc ? Vous éclater 3 jours non-stop en République Tchèque devant 46 groupes de death-grind. Et absolument personne ne viendra vous emmerder pour ça.

Vous avez 18 ans, et à 18 ans, on n'aime que deux choses : les énormes races et les Bloody Beetroots.

On ne pourra pas vous le reprocher, vous savez vous mettre à l'aise. Sourire, crop-top et baskets blanches, vous faites monter la température en Région Ile de France (car Paris c'est fini, c'est en Proche-Banlieue que ça se passe !) dès les premiers rayons de soleil. Ce que vous ne savez pas encore, c'est que vous êtes le premier échantillon d'êtres humains à avoir subi une greffe d'iPhone – dans un endroit suffisamment stratégique pour pouvoir instagrammer vos pieds sans effort.

Pitchfork Music Festival / Photo - Ellie Pritts

Félicitations, vous avez tué l'indie-rock.

Les Siestes Electroniques ? Vous a-d-o-r-e-z ! Pétanque électronique ? Vous n'en loupez pas une ! Foodtruck electro ? Vous avez versé 50€ sur Kisskissbankbank ! Todd Terje ? Un g-é-n-i-e !

Haha, tous ces ploucs qui vont patauger dans la gadoue à Glastonbury vous font bien marrer. Vous voyez exactement le même line-up là-bas, avec 20° de plus et 20 fois moins de nuages. Seulement au prix du pass, pas d'hôtel ni de commodités, et c'est désormais vous le pauvre avec de la boue sous ses chaussures. On se moque de vous. Vous n'y retournerez pas l'année prochaine. Même si Oasis y joue. Vous avez toujours préféré Blur de toute façon. Oui, vous faites tout le temps les mauvais choix.

Vous répondez toujours « de tout » quand on vous demande ce que vous écoutez, parce que « vous êtes musique ». Vous êtes Brigitte, vous êtes Christine, vous êtes Féfé, vous êtes Tété, vous êtes Pépé aussi. Vous êtes de toutes les causes lorsqu'on cause « artistes ». Du bout de cette dread jusqu'au type qui fait la moustache avec son doigt sur votre T-Shirt, vous respirez « musique ». Vous dites « Yes I » en 2017 quand vous trinquez. Vous êtes Nature. Crédit Mutuel ? Oui, vous êtes aussi.

Ces trois-là, c'est un peu comme David Lynch ou William Friedkin : il leur a suffi d'enchaîner les coups de génie pendant deux décennies pour se permettre de continuer à faire le plein en faisant à peu près n'importe quoi (annoncer la reprise de Twin Peaks, sortir un blu-ray de Sorcerer, coller Metallica et les Libertines en tête d'affiche). En gros, vous êtes soit terriblement naïf, soit extrêmement peu regardant avec les autres (et donc avec vous-mêmes), soit hyper à l'aise dans votre époque, c'est selon.

Q : T'as pas vu mon Drum ?
R : Regarde dans le camtar, si Champote et Psilo l'ont pas bouffé.

_La Route du Rock / Photo [via ](http://alter1fo.com/route-du-rock-2014-bottes-is-not-dead-83658)_

Rock en Seine est le meilleur endroit au monde pour 0,06 % de la population active et 32 % de la population estudiantine française. Ils font jouer les mêmes groupes à toutes les éditions, comme Primavera, sauf qu'eux se sont spécialisés dans un segment particulier et un poil moins vendeur : le rock à cravates de la première moitié des années 2000. C'est comme faire le con avec une table Ouija où les seuls mots inscrits seraient Interpol, Hot Chip et Kasabian. Vous êtes sûrs de tomber sur eux, vous êtes toujours contents, mais la contrepartie c'est que vous êtes toujours à peu près certain de vous retrouver avec un hoodie gris quelque part sur un coin d'herbe, en train d'attendre un live des Libertines. Si vous aimez Rock en Seine, c'est que vous êtes quelqu'un qui aime revivre l'été de ses 18 ans tous les ans depuis 15 ans - et que vous savez qui sont les Rakes.

Quelque soit le style du rock, vous êtez présents, tous les ans. Fier de soutenir le festival avec la meilleure URL de France : lerock.org.

Non content d'avoir gentrifié l'ensemble de l'est parisien, vous vous ramenez chaque année dans l'Ille-et-Vilaine avec un pass presse qu'un pote de pote qui « bosse » à Konbini vous a filé pour étaler votre crédibilité indie-rock en faisant des seflies devant ces quelques groupes que vous savez cultes, sans jamais en avoir eu grand chose à foutre (votre truc, c'est plutôt Drake de toute façon). Une fois ces quelques photos uploadées, vous retournez vous la coller au sec entre Parisiens dans l'espace VIP pendant que les Bretons, qui eux ont payé leur pass 3 jours plein pot, sont en train de se noyer dans la boue (et de mourir).

Vous portez fièrement votre casquette Uniqlo quand vous passez le portail de votre lycée. Vous vous sentez bien dans cette marque - qui vous le reprocherait ? Vous avez prévu de fêter la fin du bac avec vos potes en vous mettant « une race monumentale » devant la grosse scène. Vous n'avez jamais utilisé de capote parce qu'au fond, vous savez que ça n'arrive qu'aux autres. D'ailleurs, vous ne connaissez aucun sidéen. Vous ne savez pas que le mot sidéen existe.

Vous savez que Richie Hawtin et Plastikman sont une seule et même personne. D'ailleurs, vous le dîtes à tous les weedés que vous croisez dans l'espoir qu'ils vous filent quelques lattes après cette épiphanie radicale. Vous appelez Ricardo Villalobos par son prénom depuis que vous avez dansé 5 heures derrière lui lors d'une Boiler Room et que vous lui avez tendu une bouteille de 33cl de Volvic (car vous avez lu dans Tsugi qu'il détestait la Vittel). Hey mais d'ailleurs, c'est pas lui là-bas ? « Hey, Ricardooo ! »

SXSW / Photo - Steven Ruud

C'était pas gagné, mais vous avez finalement réussi à trouver une semaine entre deux charrettes dans votre agenda d'e-influenceur pour vous envoler vers Austin, et vous voilà finalement en T-shirt « Brooklyn parle français », pass autour du cou, pour un selfie avec deux membres de Thee Oh Sees qui devrait vous valoir un joli petit lot de likes sur Instagram. Vous HALLUCINEZ du prix de la bière, tout comme les 800 abonnés de votre Snapchat à qui vous relayez tout EN LIVE et qui HALLUCINENT de l'ambiance TELLEMENT meilleure qu'en France. Vous êtes le Futur de la Musique, vous n'avez pas le temps d'être ici, vous êtes déjà là-bas. Vous êtes une borne wi-fi.

C'est sur un terrain militaire désert que des musiciens budapestois, désireux de remonter le moral national suite au déclin du communisme, ont bâti les fondations de ce qui allait devenir le plus proche équivalent de L'Île de la tentation au beau milieu du Danube. Sur la trentaine de kilomètres carrés de cette auto-proclamée « île de la Liberté », l'entrée coûte à peu près le tiers du SMIC hongrois, le festival a été successivement qualifié d'équivalent européen de Woodstock, de temple de la débauche et de repaire de manches à couilles. Je ne sais pas ce qu'il faut de plus pour comprendre que vous êtes le dernier des enfoirés à casquette si vous comptez ce festival parmi vos préférés. Vous l'aviez probablement déjà senti au moment où vous avez réalisé que vous étiez le genre de personne à avoir une liste de ses festivals préférés - mais merde, ils en disent du bien dans Neon donc bon.

Carl Cox a beau être votre Dieu, l'atmosphère jet-set et la flambée des prix sur Ryanair vous tiennent éloigné des plages d'Ibiza. Ce qui compte, c'est le partage avant tout et vous savez vous contenter de peu : un marcel à message ironique, une poignée de champis achetés sur Internet, un selfie stick et le mince espoir de matcher une fille déguisée en guerrière d'heroic fantasy sur Tinder, oui, avec le même look que Tina Turner dans la pire sequel de l'histoire du cinéma, Mad Max 3 - Beyond Thunderdome, dont le festival tire son nom. Ce petit détail aurait dû vous mettre la puce à l'oreille. Ce n'est pas encore pour cette année.

Vous êtes Brodinski.

_Tomorrowland / Photo [via ](https://www.billboard.com/articles/columns/code/5139806/tomorrowland-the-world-cup-of-dance-music-review)_

Vous êtes la réincarnation d'un odieux criminel de guerre qui, faute d'avoir été jugé de son vivant, est condamné chaque année à errer dans les allées du camping « des Charrues » à la recherche de sa 2 secondes. Se taper 4 jours de unes Ouest France jouant sur l'homophonie « carré/Carhaix » fait bien sûr partie du châtiment et selon la gravité de vos crimes, vous pouvez en sus être amené à faire partie de Rasta Bigoud.

Vous avez un bar préféré et vous savez que si vous débarquez dans ce bar préféré, n'importe quel soir de la semaine, vous tomberez sur un pote, ou un pote de pote, ou au moins un pote de pote de pote, et une discussion qui justifiera de descendre 3 pintes en moins d'1 heure 30. Cette certitude vous rassure. C'est pourquoi votre festival préféré est Villette Sonique. Car vous savez que si vous y débarquez, n'importe quel soir de la semaine, vous tomberez sur un pote, ou un pote de pote, ou au moins un pote de pote de pote, dans des positions parfois inconvenantes – en tongs, par exemple – et par une température résolument clémente (26° en moyenne), ainsi qu'une programmation pleine de garage-rock, de groupes de noise japonais et de vieux tarés mystiques, qui justifiera une dizaine de discussions autour de la scène lo-fi de Loire-Atlantique, du son de la Grande Halle et des meufs qui vous ont tapé vos clopes au Village Labels, et vous permettra de descendre 16 pintes en moins de 4 heures.

Vous conduisez une Laguna. Le concept d'un mélange entre station balnéaire et musique classique vous paraît un peu délicat mais permet de vivre une expérience culturelle en famille. C'est d'ailleurs pour ça que vous prenez chaque année vos vacances au camping trois étoiles de La Mouette Bleue de Royan en fonction des dates du festival. Mais… comment avez-vous atterri sur Noisey, au juste ?

Vous aviez prévenu votre mère, mais cette connasse n'avait pas osé vous réveiller. Putain. Et évidemment, vous avez raté les préventes. Cette année encore. Et vous ne pensez pas ce que vous venez de lui dire. Et ça y est, elle pleure, depuis ce coup de ranger que vous avez mis dans le frigo. Bien joué, Lord Nekropzis.

Vous portez toujours des jeans de 2 tailles trop grands, même si les ourlets passent par-dessus vos Vans, et ce malgré vos 34 ans. Dès que vous êtes entre potes, vous vous remémorez l'époque où Blink-182 était encore un bon groupe, et aussi ce concert de folie de Satanic Surfers à l'Elysée Montmartre. Vous regrettez les belles heures du forum Warmzine. Sinon, ça va ?

Warped Tour / Photo via

Vous détestez le concept de festival et c'est bien pour ça que vous ne vous mélangez jamais au peuple, sauf cette fois, allez, parce que votre nouvelle meuf, Desdemonia87 vous y a filé rencard en vous présentant l'endroit comme le meilleur lieu pour ceux qui ne trouvent leur place nulle part. Vous regrettez déjà de vous être inscrit sur cette chatroom Gothixxx en franchissant l'entrée surplombée de 6 épouvantails sur échasses avec la tête de Robert Smith.

Vous dénoncez les méfaits de notre société globalisée consumériste qui détruit sa jeunesse en lui faisant miroiter des plaisirs éphémères tout en l'obligeant à adopter un mode de vie uniforme. Vous êtes d'ailleurs complètement d'accord avec ce titre d'un article du Monde Diplomatique que vous avez retweeté après avoir lu l'intro qui disait que la gentrification était en voie de consumer une par une les grandes métropoles européennes. Mais vous n'aviez pas le temps d'aller plus loin, l'appel de Marcel Dettmann était plus fort que celui de Frédéric Lordon.

Votre vessie a une telle extensibilité que vous pouvez faire la queue pendant des heures aux toilettes sèches. Vous perdez tout le temps votre éco-gobelet. Vous ADOREZ le Comptoir Général à Paris et ses cocktails à base de vodka et de concombre. L'annulation d'A Tribe Called Quest remplacés par Justice ne vous pose aucun problème, puisque tout est une question de vibe, et que tout est musique. Enfin, vous tiquez tout de même à la vue de l'annonce de Camille, à la place de Frank Ocean.

Ça n'existe même plus. Sérieux, vous êtes vraiment vieux.