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Music

La dernière confession de Dillinger Escape Plan

« On voulait faire un plan Seinfield : quitter la scène alors que le groupe est au top »

Toutes les photos sont de Jake Lewis, sauf mention contraire. Niveau espérance de vie, les grands groupes de rock pourraient être comparés à d’imposants mammifères, capable de se maintenir en vie des décennies. Mais dans cette zootopie musicale, les groupes de Hardcore appartiendraient, eux, davantage à la classe des insectes, tendance diptères. Un monde où le temps est resserré, le son fulgurant, les albums très courts. Ici, une poignée d’années d’existence compte pour une vie entière. Séparation-reformation, tournées d’adieu à rallonge, montage-démontage de side-projects, recyclage et partouze no-limit des line-up : les groupes de Hardcore se font et se défont au gré des saisons*. Au royaume de l’éternelle jeunesse, mieux vaut crever tôt. C’est la raison pour laquelle Dillinger Escape Plan ne sera bientôt plus. 20 ans de hardcore chaotique, six albums cultes au compteur et un amour sans borne pour Mike Patton, avec qui ils enregistrèrent un EP – Irony Is A Dead Scene – sur Epitaph, il y a une quinzaine d’années. Dans un mois, Dillinger sortira son dernier album, Dissociation, sur son propre label, Party Smasher Inc. « On voulait faire un plan Seinfield : quitter la scène alors que le groupe est au top », vanne le guitariste Ben Weinman, un oeil au beurre noir, parce qu’il s’est mis un coup de gratte dans la gueule la veille : « Dillinger Escape Plan n’a jamais été aussi prolifique et populaire qu’à ce jour. Belle occasion pour splitter non ? » La vérité est un moins spectaculaire, mais tout aussi respectable.

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Série de polaroids signés James Perou, pris à Londres, juste après notre entretien et avant le concert du groupe au Old Blue Last, d'où proviennent les photos de cet article. Noisey : Est-ce que votre côté crossover, ces incartades jazz ou électroniques dans lesquelles vous vous êtes toujours aventurés, a joué dans la longévité de Dillinger Escape Plan ? Cette façon de repousser le langage du hardcore a dû constituer de vraies respirations au fil des années.
Ben Weinman : Oui, mais au-delà de la technicité ou du côté intello qu’on a toujours essayé de coller à DEP, ce qui domine avant tout, c’est l’énergie. On se sent pas Math-core pour un sou, mec ! Le creuset d’influences de Dillinger va bien au-delà de la musique. Ce côté instinctif, pulsionnel, on l'a davantage puisé dans une toile de Rothko que dans des disques. On s’inspire de nos propres tragédies, pas des autres groupes. Composer un morceau, c’est faire cohabiter une intention, une envie et des circonstances de vie. Cela dit, on vous a toujours sentis attentifs aux expériences musicales nouvelles.
Pour moi, s'il faut coller une étiquette à notre musique, ce serait « cinématique » ou « viscérale » et sûrement pas « Metalcore progressif » ou je ne sais quelle autre connerie dont on nous a affublé. On a également toujours entretenu un rapport très intense avec l’intégrité. L’honnêteté créative est un geste qui domine tous les autres chez Dillinger. Composer et jouer un morceau que nous n’assumons pas, ce serait comme un avoir un gamin avec quelqu’un que tu détestes. Non, pire, ce serait comme si un couple de crackheads avaient un gosse dont ils ne voudraient pas. Genre un putain de non-sens. Et tu vois paradoxalement, Dissociation notre album à venir, a été haï par tous les membres du groupe jusqu’à ce qu’ils y trouvent chacun leur place… Curieux, non ? Tu détestes un morceau parce que tu n’arrives pas y trouver ta place, finalement tu rentres dedans, tu explores le morceau et là, tu l’adores ! Bon, la question que, fatalement, tout le monde se pose : pourquoi arrêter ?
Déjà si on existe encore à ce jour, c’est parce qu’on a toujours pris soin de s’entourer d’un minimum de staff. Dis-toi qu’on a pas de manager. La volonté de contrôle qu’on applique sur notre musique, on l’exerce aussi sur le schéma économique du groupe. Et c'est justement pour ça que nous arrêtons Dillinger maintenant : parce que nous le pouvons. Nous n’arrêtons pas par ennui ou parce qu'on s'est embrouillés, nous arrêtons parce que nous l’avons décidé. On a la main sur le destin du groupe. Genre samouraï en plein seppuku, totale maîtrise quoi.
Complètement. On ne va pas ralentir la cadence ou jouer moins souvent pour se ménager. Nous n’avons jamais fait de break avec le groupe d’ailleurs. L’idée c’est d’être à bloc, tout le temps. D'emmener la scène et notre musique à une forme de paroxysme, d’extrême. Je nous vois comme des pirates, mec. On dévaste tout sur notre route. On pille et on ravage toutes les salles de concert où l’on passe. Donc, tu vois, si on n'a pas envie de faire Dillinger Escape Plan jusqu'à 60 piges, c'est aussi par souci de réalisme et surtout par honnêteté envers les gens qui nous suivent depuis notre premier EP sorti en 97. Normal. Classe. Du coup le début de la fin de Dillinger, ça ressemble à quoi ?
On va accompagner ce nouvel album jusqu’au bout… Et puis ce sera la fin. Mais il y aura plein de choses dans cette dernière boucle. Un grosse tournée aux États-Unis à l’automne, plein de dates en Europe cet hiver qui devraient vraisemblablement nous emmener jusqu’en Australie. De retour aux States, je pense que nous passerons par sur les gros festivals de l’été, avant de voir comment s’organiseront nos concerts d’adieu. Cool, ça vous laisse plein de temps pour revenir sur votre décision [Rires]
Je trouve déjà complètement dingue d’avoir été si actif, aussi longtemps, avec des membres aussi proches. Tu sais, il en faut de l’amour pour dédier une part aussi importante de sa vie à tout ça. Peu de groupes peuvent s’en vanter. Dillinger est une expérience hyper intense, qui nous marquera tous à jamais. Ce groupe nous a donné une belle vie. Nous en sommes tous très reconnaissants. Théophile cherche l’éternelle jeunesse sur Twitter.