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Music

La boutique Born Bad fête ses 15 ans

À quelques jours d'une pharaonique soirée anniversaire à La Machine, retour sur le parcours du disquaire le plus sauvage de Paris.

L'enseigne « historique » de Born Bad, rue Keller. Je vais être honnête : je déteste les disquaires. C'est toujours plein de gens que t'as pas envie de croiser, de crétins qui ont misé ce qu'il leur restait d'amour et d'humanité dans des bouts de plastique, de gens qui courent désespérément après quelque chose qu'ils ne rattraperont plus, de potes relous du vendeur qui font des commentaires sur l'éclairage et qui n'achètent jamais rien, et de vieux débris en catogan et veste en velours prêts à tout pour entamer une discussion sur Bob Dylan. Heureusement, il existe toujours, quasiment dans chaque ville au monde, une exception, une irrégularité, une anomalie, bref, un endroit où vous pouvez tomber sur des passionnés capables de gérer leur affect, des gens encore prêts à se laisser porter par le hasard, et des vendeurs en mesure de vous faire découvrir, en moins de 10 minutes, deux disques mortels qui avaient échappé aux mailles de vos filets-internet. On citera notamment Total Heaven à Bordeaux ou La Face Cachée à Metz. À Paris, ce havre de paix s'appelle Born Bad et il fête cette année 15 ans d'un règne sans partage sur Bastille, rayon punk, hardcore, garage, rock, reggae, soul, calypso, merengue, lo-fi, synth-punk et folk cajun (mais pas que). On a été passer un moment avec Mark Adolph, batteur de Frustration et désormais seul maître à bord de la boutique qu'il a co-fondée, pour parler de son parcours, du paradoxe du Disquaire Day et des visites impromptues d'Etienne Daho. Noisey : Ça a commencé comment, Born Bad ?
Mark Adolph : À la base, il y a une relation de longue date entre trois potes : Iwan, Christian et moi. Iwan se retrouvait sans boulot après 5-6 ans comme vendeur au Silence De La Rue, et moi je galérais niveau taf de retour sur Paris après plusieurs séjours à l'étranger, à Londres et San Francisco. Comme on était jeunes et un peu insouciants, on s’est dit « pourquoi ne pas ouvrir une boutique de disques ? », vu qu'on était tous les trois passionnés de musique et qu'Iwan avait déjà une bonne expérience dans le domaine. On a donc cherché un endroit où s'implanter. À l'époque, on avait en gros le choix entre la rue des Écoles à Jussieu, où il y avait déjà pas mal d'enseignes, et la rue Keller, à Bastille, où quelques boutiques commençaient à apparaître. On a opté pour la rue Keller, et ça a démarré comme ça.

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Vous vous êtes donc lancés dans le truc quasiment en dilettantes.
Oui, à part Iwan, qui avait une certaine expérience, on était des débutants complets. Moi, j’avais jamais fait ça, et Christian avait un boulot sans aucun rapport à côté.

Ça a été difficile au début ?
Pas tant que ça, étonemment. Iwan était un vendeur assez connu et apprécié au Silence de la Rue, du coup toute sa clientèle l’a suivi. Et puis comme on faisait partie de la scène hardcore/punk depuis longtemps, les gens nous connaisaient, et l'info circulait pas mal. Après, ça a commencé comme n’importe quel commerce, plutôt doucement, mais ça a pris assez rapidement. Au bout de quelques mois, ça a commencé à tourner. C’est très vite devenu un point de ralliement, un lieu de passage, les gens venaient déposer leurs disques, discuter, se tenir au courant des concerts.

« Happy Family », tube méconnu des Splash Four, sur une compilation du fanzine Carbon 14, sur laquelle ils figuraient aux côtés de Turbonegro, des Pleasure Fuckers et des Crusaders.

Vous formiez déjà cette bande, la « Happy Family », ou bien c'est venu après ?

Oui, ça existait déjà. On était toute une bande, tout le temps fourrés ensemble, on faisait de la musique, on avait notre club de voitures… Il y avait Splash Four, les No Talents, les Teckels -le groupe dans lequel je jouais à l'époque, avec Fabrice, le chanteur de Frustration-, Anteenagers M.C., Steve & The Jerks. Et Laurent de Anteenagers M.C., a sorti une compilation avec tous ces groupes qui s’appelait justement

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Happy Family

, en référence au morceau des Ramones. C'est sorti en 1997, deux avant l'ouverture du magasin, qui a lui ouvert en 1999.

Aujourd'hui vous fêtez les 15 ans de la boutique. Entre temps, il y a eu un deuxième magasin, des changements d'adresse, et pas mal de choses qui ont évolué.
Effectivement. Bon, comme je te le disais, au départ on était trois : Iwan qui travaillait au magasin à plein temps, et Christian et moi, qui étions là à mi-temps seulement et qui avions d'autres boulots à côté. Au bout de deux ans environ, la boutique a commencé à prendre un peu d'ampleur et j'ai pu être salarié à plein temps. On a également senti qu’il y avait un manque sur Paris niveau fringues un peu rock'n roll, et on a donc ouvert Exotica, une deuxième boutique exclusivement dédiée à ça, rue Saint Sabin, là où se trouve Born Bad aujourd’hui. On s’est pas mal développés avec cette nouvelle enseigne, ça nous a beaucoup aidé, même si notre locomotive restait la boutique de disques, qui représentait le gros de notre activité. On a par la suite engagé une troisième personne, Benoît, qui était plus jeune que nous, et qui a fait pas mal de chemin lui aussi vu qu'il s'occupe aujourd'hui de deux bars, le Tiki Lounge, rue de la Fontaine au Roi, et le Lone Palm, rue Keller. Il y a eu une période plus difficile que d'autres durant ces 15 ans ?
Oui, en 2009, quand la crise a commencé à gagner l'Europe. Là, on a senti un vrai creux. C'est aussi durant cette période que la crise du disque s'est accentuée, principalement au niveau du CD, qui s’est complètement cassé la gueule. Chez Born Bad, on est avant tout des passionnés de vinyle, mais on a toujours tenu à ce qu’il y ait du CD. Au début, on était sur 60 % de vinyles et 40 % de CD, au pire 70/30. Mais avec la crise, le CD a commencé à moins se vendre, on l’a tout de suite senti dans les stocks. Et très vite, tu te retrouves pris dans l'engrenage : t’en commandes moins, donc t’en as moins, donc les gens en achètement moins, et tu finis par tout solder. Aujourd’hui, on est à 90 % de vinyle et 10 % de CD.

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Et les livres, fanzines ?
On en fait aussi beaucoup moins aujourd'hui. Au début d’Exotica, c'était quelque chose qui marchait bien, tout les livres sur le pop art, le lowbrow, la kustom kulture… Mais, avec le temps, ce sont des choses qui se ont un peu démocratisées, de plus en plus de librairies se sont mises à proposer ce genre de livres, du coup c'est devenu plus anecdotique chez nous.

« On The Rise », extrait de la compilation des premiers singles de Frustration éditée par la boutique pour le Disquaire Day.

Tu penses quoi du Disquaire Day ? Sur le principe, je trouve ça complètement nase mais j’ai l’impression que ça a un vrai impact en termes de ventes.

Ah, le Disquaire Day, y’aurait effectivement pas mal de choses à dire dessus… Pour être honnête, quand le truc a été lancé, ça ne nous a pas du tout intéressés. Cette idée de vendre des tirages limités une fois dans l’année, on n'a carrément pas adhéré au truc. Et du coup, on est passés à coté, on n'a pas vu le phénomène arriver. Là, c’est la première année où on l'a fait. On a d'ailleurs carrément pris les devants en sortant pour l’occasion une compilation des premiers singles de Frustration,

On The Rise

. Et, effectivement, ça a très bien marché. Sûrement pas autant que chez Ground Zero, qui le fait depuis le début, ou Fargo, chez qui il y’a la queue dès le matin, mais c'était une très bonne journée, on ne peut pas le nier.

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Là où je suis content, c’est que ce ne sont pas forcément les éditions limitées du Disquaire Day qui se sont vendues et qu'on a eu un flux constant de gens, du matin au soir, ce qui est plutôt cool. C'était pas l’abus comme chez Gibert où tout le monde venait en masse dès l'ouverture pour s’arracher la réédition de

An Ideal For Living

de Joy Division et déguerpir ensuite. D'ailleurs, nous, ce EP Joy Division, on en a commandé 30 exemplaires et on n'en a reçu que 2… Bref, ça te donne une idée du truc, et il y aurait encore plein d’autres choses à dire dessus, mais oui, dans l'absolu, ça fonctionne et il y’a un vrai impact commercial, c’est certain.

Aujourd'hui, Born Bad est séparé en deux, avec d'un côté Iwan, rue Keller, qui s'occupe des fringues sous le nom Born Bad Retro Clothing, et toi, rue Saint Sabin, qui gère les disques.
Oui, contrairement à la période Born Bad/Exotica, ce sont deux entités totalement séparées. Aujourd'hui, chacun vole de ses propres ailes, ce qui est asez naturel, après 15 ans. Iwan voulait vraiment se diriger vers les fringues, faire sa marque, s'investir à fond dans le truc. Mais on continue quand même sous la bannière Born Bad, ce qui est plutôt cool.

Du coup, tu t'occupes désormais la boutique seul. Tu arrives à gérer avec Frustration ?
Oui, ça me prend pas mal de temps, mais ça va, j’ai heureusement quelqu'un qui m’aide à la boutique, vu que je suis absent à peu près un week-end sur deux. C'est une période assez intense pour moi, mais c’est très motivant.

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Vous revenez d'une série de dates là, justement.
Ouais, une tournée en Allemagne, Belgique et Russie. En Allemagne et Belgique on avait pas mal de monde, ce sont les deux pays où le groupe marche le mieux, après la France. La Russie, ça a été toute une aventure… On a été invités à Moscou par un promoteur ultra-motivé, et on s'était calé deux jours off sur place pour visiter un peu, mais on a été refoulés à la frontière à cause d'un problème de visa, du coup on a passé les deux journées en question à courir après la paperasse et on a juste fait une visite express de la Place Rouge au final, mais le concert était cool, avec un public assez jeune, bien à fond, qui connaissait les paroles et tout, ça nous a pas mal surpris. On va sans doute y retourner d'ici la fin de l'année pour deux nouvelles dates à St petersbourg et Moscou. Maintenant qu'on a nos visas, autant en profiter [Rires].

Mark Adolph, à la boutique actuelle, rue Saint Sabin. Tu peux nous parler un peu plus en détails de la soirée d'anniversaire à la Machine ?
J’ai commencé à bosser dessus l’été dernier, je voulais une affiche à la fois éclectique et représentative du magasin. Frustration, c'était une évidence, vu que je joue dedans et que ça reste un groupe qui marche très bien dans cette scène là. Kid Congo, pour le symbole, c’est super de l’avoir parce qu’il a été guitariste des Cramps et que le nom « Born Bad » vient justement d’une compile d'originaux repris par les Cramps tout au long de leur parcours. Et puis ce qu’il fait en ce moment avec les Pinkmonkey Birds est vraiment génial. Shannon & The Clams, c'est un groupe que j'adore et que je suis depuis longtemps. Pareil pour Pierre & Bastien, dont je suis ultra-fan, et Holograms, dans un genre plus post-punk, assez proche de Frustration, mais en beaucoup plus jeune [Rires]. Il y aura aussi The Dictaphone, un one-man band de Tours mené par Jérémie Morin, qui est assez proche de The Intelligence et du Cheveu des débuts. Mama Rosin, un groupe suisse dans un délire un peu cajun, qui a sorti deux albums sur Voodoo Rhythm. Jonathan Toubin, le DJ américain hystérique des soirées New York Night Train et Soul Clap. Le mec est un show man absolu. Il y aura d'ailleurs un jury qui décernera un prix au meilleur danseur. Et puis Mimi de Montmartre, une copine de longue date de la Happy Family, qui viendra faire un show burlesque, et des potes qui passeront des disques, Elzo Durt [graphiste et moitié du label Teenage Menopause] et Abraham Toledano [co-fondateur du label Mind Records, également tous les mois dans Noisey pour sa rubrique 7 Ways], histoire que ça reste un peu familial aussi.

En 15 ans, il y a eu pas mal de rencontres au magasin, j'imagine.
Ah oui, il n'y a eu que ça ! De chouettes rencontres ou des têtes connues, ce qui reste toujours cool. Là, par exemple il y a quelques jours, Etienne Daho est passé, je ne l’ai pas capté tout de suite, je l’ai juste reconnu au moment où il s'est pointé au comptoir avec ses disques et qu’il attendait que je relève la tête pour l'encaisser [Rires]. Daniel Darc, qui nous a malheureusement quittés l'an dernier, lui passait très régulièrement, toutes les deux semaines. Il restait assez longtemps et achetait principalement du rock 'n roll. On s’est liés d’amitié avec beaucoup de clients aussi, parce qu’à force on discute, on fait connaissance. Et puis il y a les potes de toujours, qui vienent taper la discute même s’ils n’achètent rien [Rires] Mais c’est cool. C’est un lieu très vivant, c’est pour ça que je m'y sens bien. Les 15 ans de la boutique Born Bad, ça se passe ce vendredi à La Machine, avec -comme vous avez pu le lire dans l'interview et le flyer ci-dessus, mais on le rappelle quand même parce que c'est internet- Frustration, Kid Congo & The Pinkmonkey Birds, Shannon & The Clams, Holograms, Mama Rosin, Pierre & Bastien et The Dictaphone. Et on a évidemment des places à vous faire gagner ici. Lelo Jimmy Batista est le rédacteur en chef de Noisey France. Etienne Daho ne lui a jamais acheté de disques, mais il en a vendu deux à Henry Rollins et c'est déjà un de trop. Il est sur Twitter - @lelojbatista