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20 ans après ses débuts, L'Esprit Du Clan n'est toujours pas là pour divertir

Une interview avec Arsène, leader du groupe, où il est question de hardcore metal en français, de graffiti, de littérature, de religion et de Paris, ville éternelle.

« Poudoum pa ! Poudoum pa ! Poudoum pa ! On avance compaaact !!! » Lorsque le premier album de L'Esprit du Clan sort en 2001, personne n'est prêt. C'est quoi ce truc ? Les mecs portent des bandana, des bonnets, y'a un graffiti sur la pochette et ils font du metal ? NTM-core ? Vous êtes sérieux ? Eux le sont carrément ouais, le premier morceau du disque se termine d'ailleurs sur cette phrase : « pas là pour divertir ». Quelques références plus tard, on se rendra finalement compte que L'Esprit du CLan est la réponse la plus fidèle à ce que Merauder faisait à New York à la fin des années 90, et la suite du meilleur morceau rap-core jamais sorti en France, « Ruining the Show » de Kickback feat. Profecy.

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EDC font du harcore metal, avec du groove, une vibe rap, de l'agressivité et un gros mélange d'amertume et de fierté. Et le tout avec un chant en français, ce qui les met aussitôt à part de la scène hardcore de l'époque, et donne l'opportunité à des journalistes peu besogneux de les placer dans une horrible filiation fusion, dans le sillage Lofofora/Mass Hysteria, délire dans lequel ils ne se sont évidemment jamais retrouvés. Depuis la sortie de leur premier disque en 1999, L'Esprit du Clan n'a cessé d'évoluer, de grandir même, de métalliser leur son c'est vrai, en restant toujours humbles et sobres, fidèles à ce qu'ils sont et à ce qu'ils font. Après 5 ans de silence suivant la sortie de Drama, EDC sont revenus en avril dernier, avec Chapitre VI. C'était l'occase de poser quelques questions à Arsène sur leurs débuts, leur deal avec Universal, leur non-appartenance à une scène bien définie et leur département, la Seine St Denis.

Noisey : Quels étaient vos modèles avant de former EDC en 1995 ? Vous jouiez dans des groupes auparavant ?
Arsène : En 1995, ça devait sûrement être encore Metallica, Pantera, Rage Against The Machine, NTM, Body Count… Nos goûts se sont affinés ensuite, c’est d’ailleurs à cette période qu’on a découvert Madball et surtout Merauder. On a tous eu des groupes avant L’Esprit Du Clan, mais ça ressemblait plus à des groupes de lycées, c’était une sorte d’apprentissage. Sur Chapitre 3, vous aviez dédié un morceau à l’année 1992. Quels souvenirs il vous reste de cette année-là ?
De mémoire, je crois que c’est l’année où on s’est croisé au lycée pour la première fois. On se retrouvait dans une espèce de salle de musique, et puisqu’on écoutait les mêmes choses, les rapprochements se sont fait naturellement, on a fini par former un groupe.

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Qu’est ce qui a changé dans vos vies depuis la sortie de Chapitre 0 en 1999 ?
Tu imagines bien que résumer 17 ans c’est compliqué…on sortait à peine de l’adolescence à cette époque, et aujourd’hui on approche de la quarantaine. C’est un univers entier qui a changé. Mais je crois qu’on reste fondamentalement les mêmes.

Ce premier maxi est sorti chez Universal, mais vous quittez le label avec l’album qui suit. Ca s’est mal passé ? Hostile ne vous a approche pas à cette période ? D’où la création de votre propre label La Casta ?
Le rapport aux structures avec lesquelles on a travaillé n’a toujours été qu’un moyen. Donc pour être concret, non il n’y a eu aucun problème particulier avec Universal. On a toujours été là où nos intérêts étaient. Et à un moment il y avait plus d’intérêts à nous produire nous mêmes, d’où la création de La Casta. Je crois qu’on a testé toutes les formes de contrats possibles : autoproduction, contrat de licence et aujourd’hui nous sommes en contrat artistes chez Verycords. Tout ça n’a pas vraiment d’intérêt en fait, ce n’est qu’une question de thunes et de paperasses.

Pour Hostile je me souviens d’une anecdote. On avait rendez vous avec le boss du label, mais la veille, intelligents que nous étions, on s’est senti obligé d’aller défoncer la rue de Virgin à la bombe avec des centaines de graffs, près de la Place des Vosges, quartier historique. Le gars n’a pas apprécié, et le rendez-vous a été annulé.

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Vous n’avez jamais vraiment appartenu à une scène définie finalement. Quels sont vos rapports avec les autres groupes avec lesquels on vous compare alors : Lofofora, Mass Hysteria ou The ARRS ?
Au départ, jusqu’à disons 20 piges, on pensait faire du hardcore, l’imagerie « street » nous plaisait. Mais on s’est vite rendu compte qu’à Paris, c’était en fait une pâle imitation de ce qui se passait à New York, les mecs s’inventaient une vie. Du coup, on a vite été dans la provocation avec nos combinaisons Lacoste, parce qu’on savait que ça faisait chier les anciens. Mais cette période est aussi passée rapidement et aujourd’hui tout ça me fait marrer. A part au tout début où tu cherches un peu à savoir qui tu es, on a toujours été dans une démarche brute en fait, on ne met pas de chaussures compensées, on ne se maquille pas, on ne se déguise pas, on ne singe pas les Américains. Tu me croiseras dans les rues de Belleville exactement comme tu me vois sur scène.

Je connais les gars qui forment ces groupes, certains très bien même, parce qu’on bosse ensemble. D’autres parce qu’on s’est forcément croisé à un moment. J’ai une certaine forme de respect pour ces groupes-là. Mais le metal chanté en français n’est pas dans ma culture, je suis complètement passé à côté, ce qui peut paraître paradoxal avec L’Esprit du Clan, mais c’est la réalité. A partir de quel moment vous commencez à vous affranchir de la scène hardcore/metal pour aller taper ailleurs ?
Dès notre second album, Reverence, on a vite assimilé qu’on ne devait pas s’enfermer dans le concept « hardcore ». La musique s’en est ressenti rapidement d’ailleurs. Mais bon, les choses ne se sont pas dîtes formellement, on ne se posait même pas la question à vrai dire. Les influences s’additionnent et ne s’annulent pas en fait; musicalement on a toujours ce côté hardcore dans les titres du Chapitre VI qui vient de sortir. Votre meilleur souvenir de concert ?
Le meilleur concert… c’est dur. Mais puisqu’il faut en choisir un et que j’e n’ai aucune mémoire je dirais le dernier à Paris il y a seulement un mois, sincèrement. J’étais sur un nuage les jours suivants le show. Plus globalement, les tournées en Pologne étaient une vraie folie, et l’Islande une vraie expérience.

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Si l'on se réferre à votre célèbre adage ( « La mode c’est comme le vent, alors nique sa mère »), on comprend mieux pourquoi votre son et votre attitude n’ont finalement pas trop bougé en 15 ans. Jamais eu envie d’ajouter un beat electro, un DJ ou du vocoder à votre musique ?

Je dirais les choses différemment aujourd’hui. Mais il nous paraît évident à chacun dans le groupe que si on sort un album de folk expérimental sous le nom de L’Esprit du Clan, personne ne comprendrait, à juste titre. On tient à faire une musique puissante, le plus souvent avec du groove et quelques envolées. J’aime bien faire des beats electro ou hip-hop par exemple. Mais je le fais dans mon coin, pour moi. Et Ben ou Chamka font de même de leurs côtés. Il faut rester humble, on fait une musique identifiable, on ne va pas révolutionner la musique.

Vous avez des nouvelles de Big Red d'ailleurs, qui a été un des rares à avoir été en featuring sur vos disques ?

Oui, nous avons des amis en commun. Il continue comme nous à composer et faire de la scène. J’ai un très grand respect pour l’homme et son parcours.

Shiro a quitté le groupe depuis le dernier album, Chapitre V. Il s’est passé quoi ? Ca fait quoi de se retrouver seul chanteur ?

Il n’avait pas envie d’être un frein, sa boîte de coaching sportif lui prenant beaucoup de temps. J’y ai bien réfléchi après l’annonce de sa décision, mais au final je crois que ça m’a libéré de n’écrire que pour moi. J’adore partager la scène avec Shiro, mais j’aime vraiment aussi ce rôle de frontman désormais.

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Tu as aussi monté Parisian Walls en parallèle. T’avais besoin d’un exutoire en anglais à côté ? Qui forme ce groupe ?
D’un exutoire en anglais, non. Par contre, de continuer à créer et faire de la scène, c’était vital. Nous avons composé l’album avec Ben de L’Esprit du Clan, mais il n’a pas souhaité partir sur les routes. J’ai donc demandé à quelques gars s'ils étaient chauds (des membres de DCA, Déluge, Your Pride, Galère…), et on a fait quelques jolies dates pour défendre l’album avec The Ghost Inside ou Madball par exemple. Quel est le public d’EDC en 2016 ?
Ce sont des gens de 40 ans et plus qui viennent de nous découvrir, des jeunes qui ont fait leur culture musicale sur Youtube et nous découvrent, mais surtout beaucoup de gens qui nous suivent depuis longtemps et que nous croisons à chaque concert. Vous venez du 93, mais vous vous identifiez régulièrement à Paris dans son ensemble, contrairement à d’autres groupes de banlieue, dans le rap par exemple.
On ne vient pas du 93, mais on y a vécu 10 ans, à St Denis. Je revendique le fait d’être Parisien même si géographiquement je n’y ai jamais vécu. Ceux qui y vivent en 2016 sont pour la plupart des provinciaux. Mais les loyers intra muros sont indécents. Mes parents sont nés à Paris et Argenteuil, mes grands-parents aussi, je suis moi-même né à Argenteuil. Je suis un banlieusard de Paris, un Parisien.

Justement, parle-moi un peu du morceau et du clip « Rat des villes », sorti après les Attentats de novembre. C’était un passage obligé pour marquer votre compassion et votre enracinement ?
Il semble bien que oui. Mais plutôt que de m’apitoyer sur notre sort, ou pire encore, de prier pour Paris, ce qui équivaut à éteindre un feu avec de l’huile, j’ai ressenti le besoin de souligner l’énergie, la beauté et la force de notre ville. Plus que de la compassion, c’est un cri d’amour. J’ai vu dans les comments YouTube que certains étaient étonnés que vous vous revendiquiez « antifas ». Vous leur répondez quoi ?
Je leur réponds que nous ne sommes pas antifas. C’est un véritable mouvement dont nous ne sommes pas. D’ailleurs, nous n’avons jamais soutenu aucun mouvement. Mais évidemment nous sommes antifascistes, dans le sens premier du terme. Les échanges sur les réseaux sociaux sont souvent le fait de gamins, auxquels il faut donner le moins d’importance possible. Qu’est ce qui fait que Paris ne ressemble à rien d’autre ? Vous le voyez comment le futur ici ? Dans la « mélasse » ? J’imagine que l’évolution de la ville ne doit pas trop vous réjouir…
Paris sera toujours Paris. Ne compte pas sur moi pour dire que « c’était mieux avant », que « c’était différent à notre époque ». Le futur de Paris sera comme cette ville à toujours été: en fusion, en permanente évolution, au croisement de différentes cultures et c’est très bien ainsi. Après je suis lucide, et il est évident que Paris se transforme en musée et qu’il est désormais presque impossible d’y vivre sans gagner au moins 3 fois le smic, ce qui en fait de moins en moins une ville populaire. Il n’empêche qu’il reste encore des endroits incroyables, et que Paris est unique. C’est comme dans toutes les capitales du monde, il faut connaître les bons spots.

Malgré le titre-manifeste « Atheist Metal » en ouverture de Chapitre V, les thématiques relatives à la religion sont souvent présentes en filigrane dans vos morceaux. Est-ce que comme beaucoup d’écrivains nihilistes, vous pensez que l’âge finira par vous faire croire au Tout-Puissant ?
Je dois bien concéder que le thème de la religion revient souvent dans mes textes. Je crois que je suis en sidération devant tant d’immaturité et devant l’assurance que professent les religieux sur la vérité de leur Livre. C’est un sujet inépuisable. Mais je ne suis pas nihiliste, bien au contraire. Il existe une voie entre le religieux et le nihilisme, et selon moi elle se situe entre la culture et la philosophie. Finir croyant ? Que l’art m’en préserve… A propos, vu le boulot que vous apportez à vos textes, j’imagine que vous avez pas mal de références littéraires ? Qu'est ce qui vous a marqué dernièrement ?
C’est la première que l’on me parle de littérature… je t’en remercie. J’alterne souvent les livres récents et les classiques, la philosophie et les romans, j’aime aussi les biographies de grands sportifs. Je ne vais pas te faire une liste de ma bibliothèque, mais dernièrement je me suis plongé avec bonheur dans L’Oeuvre au noir et Mémoire d’Hadrien de Marguerite Yourcenar. C’est vertigineux de beauté. J’aime aussi piocher souvent dans le Pensées pour moi-même de Marc-Aurèle. Quand je sens une certaine tension monter en moi, il m’aide énormément. En 2016, toujours « pas là pour divertir » ?
Pas là pour divertir, mais pas là pour casser les couilles au public en leur faisant la morale, en nous apitoyant sur notre sort ou en ne leur parlant que des nos névroses… Un peu de plaisirs simples et de légèreté me semblent important.

Rod Glacial est là pour divertir sur Twitter.