Chuck D sait toujours ce qui se putain de passe

FYI.

This story is over 5 years old.

Music

Chuck D sait toujours ce qui se putain de passe

« De toute façon, vous, en France, vous avez toujours eu du style, B-Boy ou pas, on vous remarque. »

Chuck D est ce qu'on appelle un pilier du rap. Membre historique du groupe Public Enemy, il a fait partie des premiers à enfoncer des portes pour imposer ce style de musique, considéré à l'époque comme hautement indésirable sur le territoire américain. Aujourd'hui, il est vu comme l'un des précurseurs sans qui le rap ne serait pas ce qu'il est, que ce soit aux USA ou même ailleurs ; l'influence du groupe a pavé le chemin à beaucoup d'artistes qui ont pris la suite.

Publicité

Ces derniers temps, le bonhomme est plus actif que jamais grâce au collectif Prophets Of rage, qui sortira son premier album ce vendredi 15 septembre. Sorte de « supergroupe » qui réunit des membres de Cypress Hill (B-Real), Rage Against The Machine (Tom Morello, Tim Commerford, Brad Wilk) et Public Enemy (DJ Lord et Chuck D, donc), il s'agit d'un retour aux sources pour tous les musiciens qui renouent de plein fouet avec des morceaux engagés, en s'appuyant sur une fusion rap-rock de derrière les fagots.

Après avoir soufflé sa 57e bougie en août dernier, le rappeur qui revient tout juste de sa dernière tournée internationale nous a accordés un moment pour revenir sur Prophets Of Rage, son regard sur l'Amérique de Donald Trump, sa vision de l'évolution du rap depuis son époque jusqu'à aujourd'hui et le secret de l'éternelle jeunesse.

Noisey : Prophets Of Rage est un collectif qui réunit des artistes d'horizons différents, comment vous êtes-vous réunis ?
Chuck D : C'est un mélange de beaucoup de choses, par exemple l'intégralité de la campagne présidentielle puis l'élection présidentielle US de l'année dernière a été tellement ridicule qu'on s'est dit qu'en tant que musiciens il y avait peut-être autre chose à faire qu'envoyer des tweets sur le sujet. Au contraire, on peut raviver ce que les gens sont en droit d'attendre vis à vis de l'héritage de notre musique passée. On s'est donc retrouvés, tous, entre fin 2015 et début 2016, et c'est comme ça que c'est né. Pas seulement la naissance du supergroupe qui nous réunit mais aussi l'idée de se concentrer sur les problématiques de notre époque. Ça a pu se faire parce qu'on se connaissait et qu'on s'appréciait suffisamment pour ça.

Publicité

Le fait qu'après toutes ces années le public vous accueille toujours avec autant d'enthousiasme, tu t'y attendais dès le départ ?
C'était pas vraiment une surprise. Pas parce que c'était évident mais parce que chacun d'entre nous avait une réputation suffisante pour que notre union marque un peu le coup. On a tous apporté notre pierre à l'édifice niveau musique. Sans me surprendre, ça m'a quand même marqué au début, en 2016 : que ce soit en Amérique ou en Europe les gens nous attendaient, il y avait un public là pour nous, prêt. Une fois qu'on a fait ça chez nous aux États-Unis, c'était la suite logique de vous montrer à vous, Européens, de quoi on est capable [Sourire].

Tu penses toujours que la musique peut changer les choses ?
Oui. Les gens écoutent de la musique tous les jours. La beauté de la chose c'est que parfois le public se reconnaît bien plus dans les artistes que dans ceux qui les gouvernent. La musique parle directement à ton âme. C'est pour ça que c'est très important que Prophets Of Rage ne soit pas juste un collectif artificiel, mais qu'on possède une âme, que le groupe veuille dire quelque chose. On fait notre musique en y mettant beaucoup de cœur, en espérant que ça touche les gens.

Côté Public Enemy, vous avez décidé que votre dernier album en date serait gratuit. C'était important pour vous ?
Bien sûr. C'était crucial de faire ce cadeau au public, de leur dire simplement merci à tous. On ne trouvait pas ça juste d'exiger que les auditeurs soient obligés de se déplacer en magasin et de dépenser leur argent pour acheter cet album alors qu'on fête nos 30 ans. Ça sonnait faux.

Publicité

Ouais mais maintenant il y a internet, ils n'auraient pas été forcés de se déplacer tu sais.
[Rires] Je sais, je me tiens au courant, attention ! En gros l'idée c'était de les remercier du soutien pendant toutes ces années.

Les fans du hiphop de la première heure sont souvent très critiques à l'égard du rap actuel. Toi, tu te situes où ?
Hmm… Je pense que c'était différent. Je pense qu'avant tu devais prouver à tout le monde que tu valais le coup, défendre ton morceau. Tout reposait sur la performance. Si tu n'y arrivais pas, c'était fini. Tu ne pouvais pas te reposer sur des séances studio, il y avait tout un boulot de terrain. Comme tu disais, c'était aussi parce qu'il n'y avait pas tout le côté instantané d'internet. Même avec Prophets Of Rage, on a ce côté à l'ancienne, dans le sens où on ne se contente pas d'enregistrer des morceaux, c'est juste une étape dans un processus plus large. Jouer ta musique devant ton public représente toujours 75% de notre travail.

Tu as toi-même un show radio où tu ne négliges pas l'actu…
Tout à fait. Du coup tu pourrais penser que je continue d'écouter juste pour mon show radio mais ce n'est pas la seule raison heureusement. Ceci dit j'ai peut-être d'autres critères que les auditeurs actuels, dans le sens où je continue malgré tout de respecter la performance avant toute autre chose chez un artiste. La performance, ça fait tout.

Quand tu fais un live avec Prophets Of Rage devant des jeunes bourrés et déchaînés, tu ne te dis jamais « je suis trop vieux pour ces conneries » ?
[Rires] Le secret c'est de jouer avec une bonne équipe ! Mes partenaires sont tous très sérieux et talentueux.

Publicité

Il t'arrive d'observer des artistes actuels et de penser qu'ils sont une part de « l'héritage » de P.E ?
Hmm… C'est plus compliqué que ça. Par exemple, Kendrick est génial. Il fait de la très bonne musique et il l'interprète très bien aussi. Après ça reste toujours compliqué de parler d'héritage direct en prenant d'autres artistes plus jeunes, mais il est fort.

Il n'y a pas longtemps, aux USA et à l'international, on a beaucoup parlé de certains événements, des déclarations de Trump, et je voulais connaître ton point de vue de l'intérieur.
Mon point de vue, il est simple. On n'a pas attendu Trump ou les derniers événements, on n'a jamais attendu de voir ça juste aujourd'hui pour le décrire dans nos textes, notre musique. Les gens font les étonnés actuellement, mais tu peux facilement trouver 12 morceaux, sans forcer, où on parlait de ces travers de l'Amérique. Pas parce qu'on était visionnaires mais parce que ça a toujours existé. Donc si les gens se réveillent aujourd'hui, tant mieux, nous à l'époque on nous traitait de tarés quand on en parlait. Avec Prophets Of Rage, on pense au-delà de Trump, parce que le mal est bien plus profond que ça, ça dépasse la personne. On a un morceau « Hail To The Chief », qui parle de tout ça, on pourrait croire que c'est centré sur Donald Trump, mais l'idée c'est plutôt de parler de la soumission ; le plus grand accomplissement dans une vie, c'est de couper sa propre laisse.

Publicité

Si on t'avait dit, quand tu étais plus jeune, que tu finirais aux côtés de Cypress Hill et Rage Against the machine, quelle aurait été ta réaction ?
Ça m'aurait étonné, surtout qu'à l'époque j'étais encore au bahut, donc j'aurais été abasourdi par tout ça, pas seulement le mélange rap-rock, j'aurais trouvé toute cette histoire dure à croire. En tant que rappeur, le mélange ne m'aurait pas non plus gêné, même si on m'avait dit ça à mes débuts. Dans la mesure où Cypress Hill tout comme Rage Against The Machine ont marqué les années 90, donc quelque part c'est un peu le prolongement, quoi qu'on en pense. Ils faisaient partie de mes préférés.

Malgré les années, sur scène tu retrouves une sorte de seconde jeunesse façon cure de jouvence, c'est quoi le secret ?
[Rires] Le même que Ray Charles, James Brown et tous les autres : jusqu'à 80 ans, tant que tu as la musique, tu peux continuer. C'est comme ça que je le vois. Sur scène, quand la musique part, tu retrouves une énergie juvénile, presque. Là, je me vois bien continuer jusqu'à… jusqu'à la fin. Avant Prophets Of Rage, je n'en aurais pas été si sûr, mais là avec le groupe, c'est bien parti pour.

Quel est ton meilleur souvenir ?
[Longue hésitation] Bon, j'ai l'embarras du choix en fait. Mais le top ça reste de pouvoir faire de la musique et la partager aux 4 coins du monde, d'ailleurs c'est simple je n'ai aucun mauvais souvenir lié à ça. Tant que je peux interpréter ma musique face à des gens, je suis heureux.

Quand tu as débuté, tu pensais que le rap perdurerait aussi longtemps ?
Ouais. En fait pour m'impliquer dans ce mouvement à ce point, je me devais de le prendre au sérieux, pas comme une mode. C'était du long terme. Ça a toujours été important pour moi de me tenir au courant du côté international du hiphop. Les artistes hiphop, où qu'ils soient dans le monde, m'intéressent. Mon souhait le plus cher ce n'était pas seulement que moi je puisse me faire entendre mais que partout, dans n'importe quel pays, des gens puissent se saisir de ce mouvement pour s'exprimer eux-même. On a toujours été contents que la France soit devenue le deuxième pays du rap, et on a toujours soutenu ça. C'est une fierté ! Bien sûr, parfois tu as quelques déceptions… Ouais, dans la mesure où je crois que le hiphop doit être un art de convictions. Les artistes devraient croire en ce qu'ils disent, plutôt que d'en faire un jeu permanent. Mais dans l'ensemble je n'ai eu que des agréables surprises, carrément. Le fait que cette musique traverse le monde entier, on ne se rend pas compte mais c'est une richesse inimaginable, rien que le fait de parler avec toi et de communiquer à travers la musique, c'est toujours une joie. Je ne peux plus imaginer ma vie sans ça.

À un niveau plus perso, tu as des projets ?
Laisser mes genoux se reposer ! Parce que la cure de jouvence a ses limites [Rires] Après la tournée, il faut que je me ménage un minimum quand même. Je vais prendre mon temps.

Quand tu vois l'évolution des modes en terme de fringues dans l'univers rap, ça t'arrive de penser « ça va trop loin » ?
[Rires] C'est l'évolution mec, tout simplement. L'évolution est super importante, ça montre que le mouvement est vivant, c'est très bien. Il faut essayer de comprendre ce qui se passe, comme avec tout le reste… De toute façon, vous, en France, vous avez toujours eu du style, B-Boy ou pas, on vous remarque. [Sourire] Yérim Sar sait se faire remarquer sur Twitter.